Ultraviolet, le restaurant multisensoriel ultra exclusif
Loin des néons de Shanghai, un des restaurants les plus exclusifs au monde se tient à l’abri des regards, dans un entrepôt de banlieue. Projet d’une vie, Ultraviolet by Paul Pairet propose une expérience multisensorielle unique, que l’on vous fait vivre en backstage.
C’est un must pour tout voyageur gastronome de passage à Shanghai : réserver une table dans l’un des endroits les plus prisés du moment, Ultraviolet by Paul Pairet. Notre visite à nous ne débute toutefois pas dans ce temple de la gastronomie 2.0, mais chez Mr & Mrs Bund, la seconde adresse du chef d’origine catalane, pour faire connaissance avec les autres chanceux qui nous accompagneront dans cette aventure d’un soir. Ici, on sert de grands classiques de la cuisine française, concoctés par une armée de cuisiniers dirigés par le Belge Raphaël Vetri, sous-chef de Pairet. A la 11e position du 50 Best Asia, classement des meilleurs restaurants de ce continent – alors qu’Ultraviolet occupe le 8e rang -, Mr & Mrs Bund est un lieu contemporain bourré d’énergie. Paul Pairet y supervise jusqu’aux choix musicaux éclectiques, passant de Jacques Brel à des sonorités rock ou jazz.
Nous quittons cette brasserie chic en longeant le fleuve Huangpu, à bord d’un minibus aux vitres teintées, dans lequel est projeté… un épisode de l’inspecteur Colombo ! Un choix judicieux puisque cette fiction démontre comment on peut influencer psychologiquement la perception des saveurs. La scène dont il est question se passe dans un cinéma. Au moyen d’images suggestives qui donnent soif, l’assassin attire sa victime dans les toilettes et l’exécute. » Bienvenue dans l’univers du psycho-taste « , lance le grand chef. L’objectif premier du bus est toutefois d’ordre pratique : s’assurer que tous les convives arrivent chez Ultraviolet au même moment. » D’un point de vue technique, nous avons énormément travaillé sur le rythme du menu. Nous pouvons dire à la seconde près quand un plat sera servi. Mais cela suppose que les dix participants au repas passent à table au même instant. Cette dynamique est fondamentale car ils vont vivre ensemble une série d’expériences inhabituelles. Nous ne pouvons donc pas nous permettre que, pour des raisons de trafic par exemple, quelqu’un se pointe en retard. «
Mise en bouche
Une fois arrivés sur place, l’effet de surprise est total. Nous débarquons dans un garage. De l’autre côté de la lourde porte, Sasha Speckemeier, le maître de cérémonie, assure l’accueil, en gardant l’oeil sur les écrans de contrôle. Des haut-parleurs déversent l’ouverture de Ainsi parlait Zarathoustra, le poème symphonique de Richard Strauss. La pièce principale s’ouvre enfin, laissant apparaître une grande table blanche entourée de dix fauteuils en cuir, blancs eux-aussi. La première projection peut commencer. Elle enveloppe toute la salle. A l’évidence, on se trouve quelque part dans une banlieue française. Dans les murs couverts de lierre (virtuel), on distingue nettement une porte de remise à la peinture usée, une surface taguée et une double porte rouge de maison bourgeoise. Par le biais de l’image et du son, l’endroit se transforme ensuite en un monte-charge qui s’enfonce dans les entrailles du bâtiment. » C’est bien entendu une illusion, explique Paul Pairet. Mais il arrive fréquemment qu’à la fin de la soirée, des convives nous avouent qu’ils ne se sont pas rendu compte qu’ils remontaient ! »
Le spectacle peut commencer. La cuisine est prête, les hôtes aussi. Tout le monde est effectivement servi en même temps. Rien n’est laissé au hasard puisque l’équipe compte vingt-cinq personnes : cuisiniers, personnel de salle, plongeurs, ingénieurs et techniciens… Un ratio jamais vu jusqu’ici de 2,5 personnes par couvert.
Premier round
Les menus d’Ultraviolet – il en existe deux, le UVA et le UVB – comptent, à la mode espagnole, une longue succession de plats. Ce soir-là, le chef nous propose sa version A. En tout, vingt-trois services depuis le premier amuse-bouche – une combinaison de pomme et wasabi servie sous la forme d’une ostie – jusqu’à la dernière douceur appelée Ispahan Dishwash, hommage au fameux dessert orientaliste du pâtisser Pierre Hermé. A la manière de ces dénominations peu banales, rien n’est anodin chez Paul Pairet. Celui qui apprécie les équilibres et les compromis n’y trouvera pas son compte ; l’homme aime les contrastes. Au fil du show, les instants de relâche sont rares, mais les papilles sont toujours séduites, notamment avec le Foie Gras – Can’t Quit, une cigarette composée d’une feuille de fruits rouges et dont les » cendres » sont réalisées avec du chou.
Chaque plat est par ailleurs associé à une musique et à une projection d’images. Ainsi, pour la cigarette, passe une B.O. d’Ennio Morricone. » Nous diffusons également parfois des parfums, ajoute l’avant-gardiste cuisinier. Pour une des entrées, la truffe au pain brûlé, la salle est transportée dans une forêt. Au même moment, des odeurs de terre mouillée parviennent aux narines des convives. Il s’agit de placer chaque personne dans un univers émotionnel qui lui parle. Les sons et les vidéos ont été soigneusement choisis mais chacun les perçoit à sa façon, en fonction de son vécu. » Ce qu’illustre très bien le Micro Fish no Chips, servi alors que les cloisons se parent des fenêtres sur lesquelles larmoient des gouttes de pluie et que résonne Ob-La-D, Ob-La-Da des Beatles. La référence est claire. Il s’agit bien entendu de Londres et de cette culture très britannique du Fish and chips, que l’on consomme dans les pubs alors qu’il pleut dehors… Les influences se succèdent au cours du menu : Istanbul a ainsi soufflé au chef ses aubergines fumées, servies avec une sauce similaire au houmous ; quant au concombre congelé, le Cucumber Lollipop, il vient d’Indonésie – » là-bas, on vous propose des pastèques gelées « , affirme Paul Pairet.
Deuxième salve
Après le dixième plat, un entracte permet aux invités de se remettre de leurs émotions. Durant cet intermède, la salle change de look, devenant plus glamour. Des chandeliers et des bougies sont placés sur la table ; la seconde partie des agapes ne faiblira pourtant pas d’intensité. Après les » grosses pièces » – bar, agneau et boeuf wagyu -, le traditionnel fromage est accompagné d’une salade. Il s’agit d’un Calvamenbert, un camembert au Calvados agrémenté d’un cidre normand…
Pour les desserts, on peut épingler trois étapes. Tout d’abord Mandarine-Mandarine. » Ce qui m’intéresse dans ce cas, c’est de montrer la beauté du fruit. Selon la recette, nous servons un citron, une orange ou une mandarine entiers, confits et farcis. A l’intérieur du citron, par exemple, vous trouvez des segments frais de pamplemousse, d’orange et de citron, de la chantilly à la vanille, de la crème et du sorbet au citron. On peut parler de tarte parce que ce citron est accompagné d’une réglette de pâte sablée. » Et cela va crescendo. Juste avant les mignardises, les murs illustrent une piste de stade pour accueillir Hibernatus gummies, une assiette de gommes de différentes couleurs et saveurs, que Pairet voit comme une paraphrase du goût artificiel. La projection donne à voir des coureurs symbolisés par de petits oursons Haribo. L’ambiance monte, toute l’équipe, coiffée de la casquette grise de révolutionnaire latino dont Paul Pairet lui-même ne se sépare jamais, débarque et se lance dans une course endiablée, chacun essayant de dépasser l’autre. Les convives amusés n’en croient pas leurs yeux.
Bouquet final
Reste l’apothéose. » Nous avons filmé en gros plan des images de nos plongeurs, les mains dans la mousse. Elles sont projetées sur les parois et la table. Le plat s’appelle Ispahan dishwash, en hommage aux notes aromatiques de Pierre Hermé – la rose, le litchi, la framboise. » Il se présente de manière complètement déstructurée, tel un plateau que l’on ramènerait après avoir mangé. Comme au cinéma, des écrans laissent apparaître le générique de fin. Et comme si Pairet voulait désacraliser ce qu’il a tant peaufiné, un grand mur s’efface pour réunir salle et cuisine. Les convives se mêlent aux cuistots. Le rideau tombe.
Itinéraire d’un cuisinier voyageur p>
Comme ses fameux homologues espagnols, les frères Adrià (El Bulli) ou les frères Roca (El Celler de Can Roca), Paul Pairet, 50 ans cette année, est Catalan, du côté français il est vrai. Coiffé de son éternelle casquette kaki de guérillero latino-américain, il est mu par un besoin viscéral d’innover. Cette singularité lui est reconnue depuis la fin des années 90, lorsqu’il ouvre à Paris, sur les Champs Elysées, le café Mosaïc. En 2000, la vente de l’immeuble le contraint à mettre la clé sous le paillasson. Apprenant l’imminence de la fermeture, le quotidien Libération titre alors : » Sauvez Paul Pairet, le meilleur chef de l’avant-garde « . p>
A Shanghai, où il a définitivement trouvé sa place, le Catalan avait déjà marqué les esprits. Il était alors le chef de Jade on 36, le restaurant de prestige de l’hôtel Shangri-La. Quittant l’enseigne, et sa cuisine gastronomique, on le retrouve de l’autre côté du fleuve où il développe Mr & Mrs Bund, qui propose une carte de brasserie chic. Il y sert une cuisine internationale. Plusieurs années de recherches et de mises au point ont été nécessaires pour en arriver au 17 mai 2012, jour de l’ouverture d’Ultraviolet. Il lui a fallu réunir tous les ingrédients techniques et technologiques qui permettent de transformer un moment passé à table en une expérience qui veut exacerber nos sens : l’odorat, la vue, le toucher… p>
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