Ces mères qui regrettent de l’être, l’ultime tabou?

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La sociologue israélienne Orna Donath ose s’attaquer à l’ultime tabou. Et si certaines mères déploraient ce rôle entravant leur liberté?

Née en 1976, Orna Donath grandit auprès d’une mère active lui transmettant l’importance de l’indépendance financière. « Elle m’a appris qu’une femme peut être autre chose qu’une maman. Déculpabilisante par rapport à cette fonction consumante, elle m’a encouragée à suivre ma voie. » La jeune fille s’inscrit en anthropologie et en sociologie, à Tel-Aviv – « J’aime dévoiler la part cachée des vies humaines », dit-elle. Sa thèse, consacrée au refus de la parentalité, fait grand bruit dans ce pays traditionnel qu’est Israël. Donath pousse le bouchon plus loin, en se demandant si certaines femmes n’auraient pas préféré ne pas endosser ce rôle sacré. Les langues se délient… Même si elles aiment leurs enfants, ces mères « piégées » auraient adoré emprunter un chemin plus en adéquation avec leurs sentiments profonds. Explications.

La maternité est encouragée par des pressions familiales, sociales et religieuses. Pourquoi reste-t-elle aussi mythique?

D’après la féministe canadienne Shulamith Firestone, « la mère représente une institution, sans laquelle tout le système s’écroulerait ». Cette figure mythique de l’amour s’avère bénéfique pour l’ensemble des nations et des intérêts patriarcaux. On dit que la maternité n’est qu’une question de nature. Que toutes les femmes veulent être mères car c’est inhérent à leur condition de « femelles ». Nous sommes censées avoir les mêmes rêves, besoins et capacités. Pour alléger le poids de la maternité, il faudrait réduire cette pression, conduisant tant de femmes à devenir mère, contre leur volonté réelle. Le modèle éducatif occidental induit beaucoup de souffrance dans leur vie. Les mamans devraient être plus soutenues socialement et intimement, en incluant davantage les hommes.

Ce livre nous parle du regret de la maternité, pourquoi est-ce si tabou?

Parce que cela touche aux valeurs véhiculées par notre société. La maternité incarne un sens différent pour chaque femme. Comme tout autre lien humain, elle renferme la joie, l’ennui, la haine, la jalousie, l’amour, la rage et même les regrets. On nous fait croire que cette histoire linéaire symbolise l’essence de l’existence, or parmi les témoins de mon livre, certaines grands-mères avouent leur « erreur ». Un discours scandaleux.

Les routes de la maternité semblent obstruées par les non-dits, mais les femmes doivent réaliser qu’elles sont maîtresses de leur corps.

Qu’est-ce qui vous a surprise dans leurs constats?

Rien, si ce n’est le déni dont elles font l’objet. Il y a une déshumanisation des mères. Alors qu’on a le droit de déplorer un tatouage ou un mariage, on ne peut pas l’exprimer pour la maternité. On pousse les femmes à devenir des mères parfaites, mais elles n’existent pas. Dès lors, elles ne se sentent pas à la hauteur. Cela les dévalorise et les affaiblit.

Comment expliquer le paradoxe suivant: elles aiment leurs enfants, mais regrettent d’être mères?

Eprouvant de l’amour envers leurs enfants, elles ont plutôt du mal à gérer le rôle maternel. L’une m’a dit: « Je les aime, mais je n’ai pas aimé devenir mère. » Certaines ressentent des regrets dès la grossesse. Ce n’est pas lié à la personnalité de l’enfant, mais à la prise de conscience que la maternité n’était pas pour elles. Ce sujet s’avère si complexe qu’on ne peut pas le réduire à une émotion binaire.

Notre ère nous encourage à se réaliser en tant qu’individu. La maternité est-elle trop sacrificielle?

C’est très personnel, puisqu’elle rejoint souvent une réalisation de soi. Toutes n’aspirent pas à une carrière, mais on ne peut guère nier les inégalités sociales, ethniques ou religieuses. Lorsqu’elles combinent maternité et travail, elles sont tiraillées. D’autant que c’est sur elles que repose la charge des enfants. Dans le bouquin, Odelya soutient qu’enceinte, elle avait « déjà l’impression de renoncer à [sa] propre vie ». Un autre témoin, Achinoam, la rejoint, disant avoir perdu sa liberté. Mais malgré le malaise, elles font d’autres enfants, parce que c’est ce qu’on attend d’elles.

Grâce aux réseaux sociaux, la parole des mères se libère. En quoi votre livre contribue-t-il à ce phénomène?

Plus les femmes vont dévoiler leurs sentiments ambivalents, plus on réduira leurs souffrances et celles de leurs enfants. Ce partage prouve qu’elles ne sont pas de mauvaises mères, mais qu’il est temps de relâcher la pression. La société entière en serait bénéficiaire, alors offrons-leur un espace où soulager leurs doutes et leurs peines. Ainsi, elles poursuivraient leur tâche, en étant écoutées dans leur détresse. Cela apporterait de profonds changements à leur bien-être. Mon livre ouvre un dialogue, déjà entamé par des articles, des documentaires ou des oeuvres d’art. Les routes de la maternité semblent obstruées par les non-dits, mais les femmes doivent réaliser qu’elles sont maîtresses de leurs corps, désirs et rêves. Nous sommes les seules à pouvoir décider si la maternité est pour nous ou pas. On aidera aussi la prochaine génération de parents en nuançant les mythes idéalisés. Rien n’est noir ou blanc!

Lire sur la question de la parentalité >>> « J’aime mes enfants, mais ils me pourrissent la vie »

Le regret d'être mère, par Orna Donath, Odile Jacob, 240 pages.
Le regret d’être mère, par Orna Donath, Odile Jacob, 240 pages.

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