« Ça fera 30 euros par personne pour le repas du réveillon », ou comment le PAF se généralise aux réunions de famille

Faire payer les invités pour le repas de Noël pourrait bientôt être la norme - Getty Images
Faire payer les invités pour le repas de Noël pourrait bientôt être la norme - Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Contrairement à chez soi, où on se tape tout le travail, ou au restaurant, où chaque bouchée se monnaie, jusqu’ici, être reçu chez les autres garantissait de se régaler sans rien payer ni préparer. Mais ça, c’était avant la hausse faramineuse du coût de la vie, car désormais, la pratique du PAF lors des repas entre proches se généralise.

C’était hier, c’était il y a deux ans, mais en décembre 2022 déjà, la rédaction s’interrogeait sur une nouvelle pratique lors des fêtes de fin d’année: faire payer les invités pour le festin qu’ils viennent d’ingurgiter. Pas une addition, non, une PAF (ou participation aux frais) donc, comme c’était déjà de mise lors des soirées grand public.

Mais comment donc cette pratique est-elle entrée dans le domaine de l’intime? Et surtout, demander 25 euros à Mamie Michèle pour le repas de Noël, est-ce que cela ne va pas à l’encontre même de tout ce que la période est supposée représenter?

« Les personnes qui demandent à leurs convives d’apporter, qui les bulles, qui le dessert et qui encore le pain (« Sorry, j’ai oublié, tu sais passer en chemin? ») ne devraient inviter personne à leur table. Mot clef: « inviter », pas solliciter une contribution financière, même sous forme matérielle, auquel cas, cela s’appelle « aller manger au restaurant » – bien que je ne suis pas certaine qu’on puisse y régler l’addition d’une tarte achetée à la va-vite après le boulot, mais je digresse » dénonçait l’auteure de cet article lors de notre traitement du sujet il y a deux réveillons de ça.

Sauf que depuis, le pouvoir d’achat a fondu à une vitesse rivalisant celle de la disparition de la couche de glace, et ce qui n’était jusqu’ici qu’une pratique relativement marginale est en train de se généraliser.

Des matières premières toujours plus chères

Selon une étude réalisée au Royaume-Uni par MoneySuperMarket, près de la moitié (46%) des sujets de sa Majesté prévoient ainsi de demander à leurs invités une contribution financière au repas de la Noël.

Plus proche de chez nous, en France, une étude conduite ces dernières semaines par Appinio révèle que près de la moitié des habitants de l’Hexagone (43 %) prévoient de réduire leurs dépenses durant cette période de fêtes de fin d’année. Plus facile à dire qu’à faire, sachant que les répondants indiquent aussi que leurs incontournables sur les tables du réveillon sont le foie gras ( pour 62 % des Français), la bûche glacée (51 %) et le saumon fumé (50 %), sans oublier le chapon (27 %) et les fruits de mer (23 %)?

S’il n’existe pas encore d’enquête similaire chez nous, un tour d’horizon récent réalisé par nos confrères de RTL Info démontre en effet que cette année, le repas de fête va coûter encore plus cher à préparer – surtout si vos goûts sont alignés sur ceux des Français.

Et de citer, entre autres, une augmentation de près de 2 euros du kilo pour les coquilles Saint-Jacques (de 10 euros en décembre 2023 à 11.8 euros cet hiver) ainsi qu’une hausse de 1 à 2 euros du prix des bûches de Noël. En cause, l’augmentation du prix des matières premières ainsi que des coûts de l’énergie.

Des coûts qui se répercutent aussi sur les ménages, qui voient le prix moyen de leur budget repas de Noël augmenter alors même que le menu est, lui, resté virtuellement inchangé. Et si, justement, une solution peut être de revoir le contenu du repas, et de se dire qu’un bon spaghetti bolognaise, il n’y a que ça de vrai le 24 décembre comme le reste de l’année, l’amortissement des coûts peut aussi passer par le fait de faire payer une participation aux invités.

Le coût de l’invit’

Scandale, hérésie, audace? Et bien, tout dépend à qui on en parle.

Prenez Grant Harrold, par exemple. Son nom ne vous évoque peut-être rien, mais sachez que sur son CV, il est écrit « majordome à Buckingham Palace ». Et interrogé par Femail sur la généralisation du PAF aux fêtes de famille, il s’est exprimé en faveur de cette pratique pourtant susceptible de faire grincer quelques dents le 24 décembre.

Ainsi, selon lui, « tout le monde devrait envisager de faire payer ses invités pour leur repas de fête à notre époque, car il est de plus en plus coûteux à organiser ».

« Autrefois, les gens proposaient d’apporter un plat, une entrée ou un dessert. Si cela se fait encore, aujourd’hui, il s’agit davantage de dire : « Puis-je contribuer financièrement au repas ? » et à ce moment-là, vous répondez oui, s’il vous plaît, ce serait formidable »

a encore précisé celui qui note toutefois qu’il ne s’agit pas d’attribuer des prix aux différents mets comme au restaurant, mais bien plutôt de partir sur une contribution générale.

Une approche qui ne fait toutefois pas (encore?) l’unanimité.

Sur le forum Quora, où de nombreuses discussions sont dédiées à la question, une certaine Rachel Runner pointe ainsi que « le terme « invitation  » est explicite », tandis qu’une utilisatrice répondant au pseudonyme de Maison Lune argumente pour sa part que demander aux convives de payer un montant forfaitaire « peut être considéré comme impoli ou maladroit » puisqu’il est d’usage que « l’hôte paie pour le repas de ses invités ».

« Quand j’invite, j’invite »

Au sein de la rédaction, il s’avère après un rapide sondage que la pratique gagne en popularité, voire même, est déjà la norme depuis plusieurs années. « J’ai déjà demandé une participation au repas de Noël quand j’étais un peu dans la dèche, en expliquant à mes invités que c’était compliqué pour moi financièrement et que je ne savais pas assumer seule le coût du repas » confie une journaliste, tandis qu’une autre pratique une forme de PAF depuis des années avec son frère et sa soeur, « puisque désormais, ce ne sont plus nos parents qui régalent à la Noël ».

Mais au sein de notre équipe comme de la société, les avis sont divisés.

« Je n’ai jamais demandé de participation à mes proches: quand j’invite, j’invite. Par contre, en temps de vaches maigres, cela m’est arrivé de proposer une auberge espagnole »

explique ainsi une de nos journalistes.

Et un autre d’assurer qu’il n’est pas prêt non plus à demander à ses invités de mettre la main à la poche, notant que « si je n’ai pas les moyens de le payer, alors je n’organise pas de dîner chez moi. Quitte à partager les coûts, je préfère fixer rendez-vous au restaurant, où on divisera de toute façon l’addition ».

Voici pour les fêtes de famille. Mais lors des fêtes entre amis, par contre, le partage des coûts semble être la norme plutôt que l’exception. Même si pour la plupart des membres de la rédaction, l’alternative de choix consiste à partager la préparation plutôt que l’addition.

Comprendre: « je m’occupe du plat et toi de l’entrée » plutôt que « tu me dois 20 euros ».

Une manière de rendre le partage des coûts plus digeste? Car si la plupart des invités proposent déjà d’emblée d’amener le dessert ou une bonne bouteille, sous nos latitudes, glisser quelques billets dans la poche de son hôte ne fait pas vraiment partie des moeurs.

Voire même, cela risquerait de gâcher quelque peu l’ambiance des fêtes.

On n’a rien, donc on donne tout

Pour Xavier, le chef qui se cache derrière la plateforme dédiée à l’alimentation éthique Eatic, diviser les coûts entre les invités est toutefois appelé à se généraliser.

En cause, « l’inflation galopante et la flambée des prix alimentaires », qui font que la participation financière est toujours plus courante lors des repas de fête. Et selon lui, celle-ci présente de nombreux avantages, non seulement niveau équité (« Ainsi, un seul foyer ne supporte pas toute la charge financière ») mais aussi du point de vue de la convivialité (« Tout le monde se sent impliqué dans l’organisation ») et qualité, puisqu’avec un budget plus confortable, on peut « acheter des ingrédients plus nobles ».

Reste toutefois à bien aborder le sujet.

« Surtout, on ne balance pas ça comme une bombe au milieu du repas. On aborde le sujet en amont, de préférence lors de l’invitation, en disant par exemple : J’aimerais organiser un super repas pour nous tous, mais vu les prix actuels, je me demandais si on pouvait envisager de partager les frais. Qu’en pensez-vous? »

suggère le chef français.

Qui invite à laisser l’option d’une participation financière, mais aussi d’un apport en nature (« Je me charge du dessert ») ou encore d’une aide logistique (« Je fais la vaisselle ») afin que « chaque personne puisse contribuer selon ses moyens ».

Car si le coût galopant de la vie vous met à genoux, cela vaut probablement aussi pour vos proches, qui n’ont pas forcément budgétisé une participation au repas du réveillon dans leurs dépenses de fin d’année.

Ceci étant dit, « il faut prendre le contexte en compte, car si c’est la même personne qui accueille toute la famille chez elle à chaque Noël, ce n’est que juste que les autres contribuent, plutôt que de laisser tous les coûts et toute la préparation pour l’autre » suggère notre journaliste éthique. « Chez nous, on organise les fêtes en famille, donc on ne demande aucune contribution financière, mais on alterne chaque année, histoire que ce ne soient pas toujours les mêmes qui trinquent » renchérit une collègue, qui confie que lorsqu’elle a envie de recevoir mais que son budget ne le lui permet pas vraiment, elle trouve un chouette concept, « par exemple, en demandant à chaque convive d’amener son fromage préféré ».

Même si, ainsi que le souligne un autre membre de la rédaction, une autre alternative est de partir du principe que c’est justement quand on est fauché qu’il ne faut pas compter. « J’applique la mentalité espagnole: personne n’a un rond, donc tout le monde paie sa tournée » sourit-il. À vous les 10 repas de Noël chez chaque membre de la famille cet hiver?



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