Balade à Bruxelles sur les traces du Bauhaus
L’illustre école d’art et d’architecture allemande, qui fête ses 100 ans cette année, a laissé sa marque sur le paysage de notre capitale. Nous avons sélectionné huit pépites du patrimoine incontournables. Bonne promenade.
Si des trésors architecturaux des années 20 et 30 se cachent un peu partout en Belgique, c’est à Bruxelles, berceau de l’école d’art de La Cambre, qu’on en dénombre le plus. L’établissement a été fondé en 1926, par l’architecte Henry Van De Velde. Celui-ci n’en était pas à son coup d’essai puisqu’il est également à l’origine de l’école des beaux-arts de Weimar, précurseur du célèbre Bauhaus qui, dés 1919, fit entrer l’art de bâtir et le design dans un univers d’avant-garde, révolutionnant la façon de construire dans le monde entier. La Cambre était donc « notre » Bauhaus, et aux quatre coins de la capitale, des projets contemporains et fonctionnels ont vu le jour. Mais qu’ont donc ces deux institutions en commun? Un rejet de la surdécoration des années 1900 (où les bâtiments enduits de stuc ressemblaient souvent à des pièces montées). La nouvelle génération d’architectes aspirait à un style international plus sobre, centré sur la fonctionnalité. Leurs matériaux de prédilection étaient le verre, l’acier ou le béton armé, et la modernité n’était alors plus réservée à l’élite. L’ambition sociale était claire: même les gens ordinaires avaient droit à une maison soignée, bien isolée et lumineuse. Démonstration en huit édifices.
1. La maison Bertaux
59, avenue du Fort Jaco, à 1180 Bruxelles.
La carrière d’Herman de Koninck a pris son envol tout juste après la Première Guerre mondiale, période à laquelle le Bauhaus a également vu le jour. Il a tout de suite accroché au style Neues Bauen. Il ne jurait que par les lignes droites, les volumes géométriques et les matériaux industriels comme le béton armé ou le préfabriqué. Herman de Koninck est également à l’origine des cuisines Cubex, créées dans les années 30 et qui connaissent aujourd’hui un regain de popularité. Ici aussi, il s’est inspiré de l’école allemande. En 1936, il imagina la maison Bertaux à Uccle, une construction unique pensée comme une sculpture constructiviste et inspirée des compositions du peintre-photographe Moholy-Nagy, qui enseignait alors au Bauhaus.
2. La villa Dirickx
28, avenue Marie-Jeanne, à 1640 Rhode-Saint-Genèse.
Avec ses allures de paquebot et son style américain, cette gigantesque villa blanche semble sortie tout droit d’une scène Art déco de Memphis. Les frères Marcel et Henri Leborgne se sont lancés comme architectes en 1922. Parmi leurs sources d’inspiration, on retrouve le Bruxellois Victor Bourgeois, mais également Gerrit Rietveld, Robert Mallet-Stevens et Le Corbusier. La villa Dirickx, conçue pour un homme d’affaires entre 1929 et 1933, a de nombreux points communs avec les créations de ces derniers, notamment les fenêtres en bandeau, le toit-terrasse ou l’escalier en colimaçon. Il s’agit du projet le plus spectaculaire des frères Leborgne, qui ont également signé de belles constructions dans les environs de Charleroi.
3. La Maison de verre
69, rue Jules Lejeune, à 1180 Bruxelles.
L’architecte bruxellois Paul-Amaury Michel était tout juste diplômé lorsqu’il a conçu, en 1935, cette maison particulière. Il venait alors de rencontrer Le Corbusier. A Paris, il avait visité la « maison de verre » de l’architecte Pierre Chareau, qui lui a inspiré cette construction, avec sa façade arrière vitrée, des pilotis, des fenêtres en bandeau, un toit-terrasse et un plan libre. Le concepteur cherchait ici à atteindre la simplicité et l’ouverture du Neues Bauen, un des autres noms du style du Bauhaus.
4. La maison Wolfers
60, rue Alphonse Renard, à 1050 Bruxelles.
Difficile de dire qu’Henry Van de Velde était influencé par le Bauhaus, puisque c’est lui qui est à l’origine même de cette architecture moderne. Avant la Première Guerre mondiale, il s’est fait un nom avec un style Art Nouveau sobre, dont il ne reste presque plus rien dans le présent bâtiment, sauf dans les arrondis et les briques qui rappellent l’architecture de l’école d’Amsterdam. La silhouette générale, avec le toit plat, reste moderne, mais la demeure ixelloise dégage la robustesse d’un bunker. La terrasse du dernier étage est un clin d’oeil au style paquebot. Le bâtiment a été construit en 1929 pour la famille bruxelloise Wolfers, dans un quartier riche rempli de maisons particulières, avec lesquelles il offrait déjà un contraste de modernité.
5. La maison Gombert
333, avenue de Tervuren, à 1150 Bruxelles.
Durant la Première Guerre mondiale, le Brugeois Huib Hoste a séjourné aux Pays-Bas, où il est tombé sous le charme des designers du mouvement De Stijl, tels que Theo van Doesburg ou Gerrit Rietveld. Dans les années 20, il est devenu l’un des ténors du modernisme. L’influence du Bauhaus se fait sentir dans cette maison de 1933 aux lignes droites et aux façades géométriques, avec ses fenêtres-bandeau et son toit-terrasse. Le concepteur l’a imaginée le long du parc de Woluwe, près du Palais Stoclet, déjà considéré comme l’une des icônes architecturales de notre pays.
6. La maison Goffay
43, avenue du Hockey, à 1150 Bruxelles.
Emile Goffay, alors jeune architecte, a construit cette villa expérimentale blanche pour ses parents, en 1935. Une fois encore, on y retrouve les principes de Le Corbusier: des pilotis, des fenêtres en bandeau, un toit-terrasse et une passerelle. Grâce aux publications et aux revues d’architecture évoquant ses idées et concepts, le Bauhaus s’est fait connaître dans les milieux francophones. Cette maison est régulièrement ouverte aux visites.
7. L’ancienne imprimerie Le Peuple
28, rue Saint-Laurent, à 1000 Bruxelles.
Bien que ce bâtiment date de 1932, on y retrouve quand même l’ambiance expérimentale des années 20. La façade de l’ancienne imprimerie présente les caractéristiques du Bauhaus et la construction, tour-étendard incluse, a été pensée comme un symbole futuriste. Ses concepteurs, Fernand Brunfaut et son fils Maxime, étaient des architectes influents et des urbanistes en quête d’une nouvelle société. Ils ont tiré un trait sur le passé pour réclamer haut et fort plus de pouvoir aux travailleurs, moins à la bourgeoisie. Ils étaient également actifs en politique, et avec leur style qui faisait fièrement penser à ce qui était appelé à l’époque la Nouvelle Objectivité, ils voulaient montrer que les temps changeaient pour Bruxelles.
8. La Cité Moderne
8, rue de la Gérance, à 1082 Bruxelles.
Après la Première Guerre mondiale, les travailleurs ont finalement obtenu plus d’attention avec l’introduction du suffrage universel masculin et, plus tard, des congés payés. Mais l’immobilier demandait aussi à être amélioré, car le peuple était mal logé. Les socialistes et les architectes engagés voulaient construire des cités-jardins sociales. En 1922, l’architecte bruxellois Victor Bourgeois, un des pionniers du modernisme pur, a été le premier à concrétiser cette idée avec la Cité Moderne de Berchem-Sainte-Agathe et ses 275 logements disponibles. Un projet révolutionnaire, en parfait accord avec le style du Bauhaus, avec une composition constructiviste, des toits plats, de larges fenêtres et un confort inédit. Le succès ne se fit pas attendre pour Victor Bourgeois, et ce dans le monde entier. En 1925, il fut mis à l’honneur par l’illustre Exposition internationale des Arts décoratifs de Paris. Deux ans plus tard, il est le seul Belge à être approché par Mies van der Rohe pour concevoir une maison pour la Wiesenhofsiedlung de Stuttgart, un quartier résidentiel expérimental conçu par la crème de l’avant-garde européenne. Toutefois, à l’échelle mondiale, la cité bruxelloise est aujourd’hui largement sous-estimée en tant que monument.
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