DECO | Visite au coeur du Brabant wallon, chez le photographe Julien Claessens
Le photographe Julien Claessens s’est aménagé un havre de paix dans une « mid-century modern house ». On se croirait à Palm Springs, pourtant, on est dans le Brabant wallon. Tout ici témoigne de son exigence, de ses amours, des hasards de sa vie où compta l’argentique désormais détrôné par le numérique, sans regrets.
Dans sa maison, il n’y a au mur aucune photographie de lui, ni derrière, ni devant l’appareil si ce n’est un portrait en duo, au très beau grain, au noir et blanc mythique griffé Harcourt et qui signe leur amour. Julien Claessens a offert en cadeau de mariage au couple qu’il forme avec la psychologue Aurélie Bodson une séance de pose dans ce studio parisien qui se nourrit toujours, et fort heureusement, de l’âge d’or du cinéma français, d’une élégance parée d’ombre et de lumière, de glamour flouté atemporel – on pensera à leur chiper l’idée, tellement romanesque.
Et si donc rien aux cimaises n’est signé Julien Claessens, cela dit en silence sa modestie et, par transparence, son goût pour les artistes des années 60 et 70 surtout, le mouvement Supports/Surfaces cher à Claude Viallat, les lithographies de Paul Rebeyrolle, Maria Helena Vieiria da Silva ou Henri Cueco. Ce penchant-là lui vient de son grand-père d’origine belge mais installé dans le sud de la France et qui travaillait dans l’édition de livres d’art, l’imprégnation a du bon. Pourtant, enfant, il n’aurait jamais osé imaginer embrasser le monde de la photographie, avec pour sujet la mode, l’architecture, les parfums, la haute joaillerie. Il grandit en Auvergne, à Vichy, au mitan des années 70, et n’envisage aucunement de fuir la province. Jusqu’à ce qu’il s’inscrive ado dans un « club de photo de campagne ». Il passe alors ses nuits dans un labo bidouillé dans la cave de sa mère et décide d’en faire son métier. Il a 17 ans, il n’y a pas de parce que. Il veut mettre tous les atouts de son côté, étudie l’histoire de l’art à l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand et choisit ensuite La Cambre, pour son atelier photo réputé. On est en 1995, il est « monté » à la capitale pour s’inscrire à l’examen d’entrée de cette école des arts visuels du sud de Bruxelles, il a pris le tram, il est un peu perdu. « Je venais de la campagne, je n’étais pas super débrouillard dans une grande ville. Je cherchais qui allait pouvoir me renseigner. J’ai vu un mec avec un look particulier, je me suis dit qu’il saurait où se trouvait l’école, c’était Olivier Theyskens. On est allés s’inscrire ensemble… » Voilà comment naissent les binômes, ce n’est pas une légende, juste l’un des jolis hasards de la vie qui fait bien les choses. Depuis, Julien Claessens a tout documenté du travail de ce créateur qui a habillé Madonna, Emma Watson ou Cate Blanchett, lancé sa marque à son nom à 20 ans à peine, été directeur artistique de Rochas, Nina Ricci, Theory et poursuit aujourd’hui son aventure stylistique pour lui et pour la maison Azzaro depuis février 2020.
Le sens du détail
Ce quart de siècle de compagnonnage et d’intimité partagée se trouve rassemblé là, sur la table basse de la mezzanine qui fait office de bureau, dans les ouvrages The Other Side of the Pictures, éditions Assouline, et She Walks in Beauty, éditions Rizzoli. Dans la pile de livres et de monographies qui portent la signature de Julien Claessens, on reconnaît son noir et blanc narratif, sa quête incessante de la lumière, son exigence, ses défis, les noms de l’architecte Nicolas Schuybroek, de Dior, Cartier, Chaumet, Chanel. Il n’en tire aucune gloire, il constate juste que « de fil en aiguille, on est vite repéré dans ce monde-là, j’étais tombé dedans comme Obélix dans sa potion magique, j’ai continué mon chemin… » Qui le mènera à New York, à Paris, en Inde, avec allers-retours à Anvers et place Vendôme. Une vie exigeante, excitante et frénétique, voilà pourquoi il lui fallait un endroit calme et serein où se reposer quand il ne travaille pas, un havre de paix loin de la ville, dans ses rêves, ceint de grands pins, de bambous et de palmiers exotiques. Et si sa maison à la campagne pouvait en plus ressembler à une « mid-century modern house », ce serait parfait. Comme Julien Claessens a l’oeil, forcément, il repère une petite annonce qui traîne depuis un chapelet d’années dans une agence, avec une seule photo d’un terrain « avec un détail étrange, une poutre noire, métallique qui sort de la végétation »: « Quand j’ai poussé la porte, j’ai découvert ses volumes, je me suis dit ok, je l’achète. Elle était abandonnée depuis dix ou quinze ans, il pleuvait dedans, il y avait encore tous les meubles, les clés de voiture au clou, les pantoufles et les casseroles sur la cuisinière, comme si la dame qui habitait ici était partie juste en éteignant la lumière. »
Il ne changera rien de cette maison « très bien pensée », préférant le respect, la ressuscitant avec doigté et justesse, s’inspirant des maisons californiennes de Ray Kappe, son architecte « préféré ». Sur la table de la salle à manger qui par ses grandes baies vitrées semble s’enfoncer dans la jungle si verte, il étale les plans d’origine, signés Edmond Falise. « Je l’ai retrouvé, il vivait en France, il avait 90 ans. Je l’ai remercié pour son travail, lui ai assuré que sa maison aurait une seconde vie et je lui envoyé les photos de la restauration. Il m’a dit de me méfier du système d’épuration des eaux qui était catastrophique dans la région. On comprenait qu’il avait souffert de ne pas avoir eu de reconnaissance… » Voilà qui est réparé.
Sur 240 m2, et quatre niveaux, cette villa respecte tous les codes de l’architecture moderne du milieu de siècle, le XXe: lignes nettes, espaces ouverts, fenêtres du sol au plafond, grande intimité avec la nature, décoration minimaliste. La petite famille qui y vit s’y trouve bien. Dans le salon, sur le petit bureau trouvé à l’Armée du Salut, du temps où Julien Claessens étudiait la photo, les crayons de couleurs, les listes de vocabulaire calligraphié et les dessins de sa fillette, Marion, s’empilent, c’est son territoire, à n’en pas douter. Juste en dessous, en guise de fondations, de l’immense cave devenue buanderie, il ne reste que les murs du labo photo qu’avait dessiné l’architecte, les plans en témoignent, l’hôte esquisse un sourire rêveur. Ainsi, cette maison avait été construite pour un photographe. Le hasard fait si bien les choses.
En bref – Julien Claessens
Il est né à Vichy en 1974 et vit dans le Brabant wallon avec sa femme psychologue, Aurélie Bodson, et leur fillette Marion.
Il a étudié la photographie à La Cambre (ENSAV), à Bruxelles, de 1995 à 2000.
Il documente depuis le début le travail du créateur de mode Olivier Theyskens et de l’architecte Nicolas Schuybroek. Il travaille, entre autres, pour les maisons Chanel, Cartier, Chaumet où il excelle à photographier la haute joaillerie.
Il est désormais également spécialiste du rendu 3D pour la joaillerie au sein d’Ananke studio dont il est le cofondateur.
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