« L’arbre, la meilleure machine climatique possible »: rencontre avec le paysagiste belge Bas Smets

© Bas Smets
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Le paysagiste bruxellois Bas Smets a signé le parc du complexe artistique LUMA, inauguré cet été à Arles et qui compte une tour du starchitecte Frank Gehry. Créer des paysages urbains est selon lui la solution pour contrecarrer le dérèglement climatique. Il est l’invité de la prochaine conférence Lunch with an architect.

Quel était le concept du projet de la Fondation LUMA, à Arles ?

Cet ancien site industriel creusé dans la roche, sans terre ni eau, était une dalle invivable. Il y régnait un climat semi-désertique et trente ans après la fermeture de l’usine, il n’y avait toujours pas de végétation. Or Maja Hoffmann (NDLR : à la tête de la Fondation LUMA) désirait  » un parc luxuriant « . Nous nous sommes donc demandé comment la nature aurait fait pour finalement reprendre possession des lieux et avons réalisé des simulations.

© juliansalinas.ch

Nous avons supposé qu’avec le mistral, au fil du temps, des sédiments se seraient déposés et qu’une topographie de dune se serait formée, que des plantes pionnières auraient pris racine sur cette couche fine de sol fertile, qui aurait grossi avec le temps. Et nous avons dès lors essayé d’accélérer 200 ans de processus naturel et tout planté en 2 ans. Aujourd’hui, on a sur ce site un climat méditerranéen et la température ressentie est passée de 45 à 25 °C. Et grâce aux 80000 plantes qu’on a plantées, les grenouilles, les oiseaux… arrivent. On a ramené la vie sur ce site stérile depuis un siècle à cause de l’homme.

© Iwan Baan

Lors de ce projet, avez-vous eu des liens avec l’architecte américain Frank Gehry, qui signe l’étonnante tour du complexe ?

Absolument. Maja Hoffmann est le chef d’orchestre de ce projet et elle désirait travailler avec les artistes, les architectes et les paysagistes impliqués, tous ensemble. Elle voulait vraiment que l’on se parle. Elle voyait ce projet de complexe artistique comme une archipel d’événements et de lieux, avec une tour phare. Le parc tout autour, c’est un peu la mer qui relie tout cela.

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.© AFP / Pascal Guyot

Vous dites que votre métier de paysagiste a évolué ces dernières années…

En effet. Le grand public et donc aussi les décideurs se sont rendu compte de l’urgence climatique et du fait que que la végétation était plus qu’un simple embellissement. Nous, nous avions déjà intuitivement cette approche mais désormais la prise de conscience est générale. La végétation est maintenant perçue comme un élément nécessaire pour rendre la ville habitable. Cet été, on a vu dans certaines parties du monde des incendies, dans d’autres des inondations, partout on a subi des conditions météorologiques extrêmes. Ce n’est pas juste un réchauffement, c’est une dérégulation du climat et on aura de plus en plus besoin d’un nouveau partenariat avec la nature pour faire face à cela. L’architecte de paysage est celui qui arrive le mieux à forger ce partenariat et créer un microclimat là où il intervient. Dès lors, les arbres ne sont plus utilisés  » parce qu’ils font joli  » mais pour capturer le CO2, bloquer les particules fines, garder l’eau de pluie là où elle tombe… On se rend compte que ce n’est pas l’urbaniste qui va trouver la solution. Là où ce dernier travaillait surtout à partir du programme bâti, le paysagiste essaye de partir de l’existant – topographie, hydrographie, végétation. Il essaye de lire un territoire et de comprendre l’urbanisme comme une liaison entre ce qui est en bas et en haut, la terre et le ciel, la géologie et la météorologie. Et l’arbre s’y prête évidemment parfaitement, vu sa verticalité. C’est la meilleure machine climatique possible.

A ce titre, votre travail sur le site de la Défense à Paris, est exemplatif…

On vient en effet de terminer l’extension de la dalle de la Défense. Ce projet Trinity consiste en la construction d’un nouveau gratte-ciel au-dessus d’un boulevard urbain et notre bureau a aménagé les 4000 m² d’espaces public qui connectent la dalle avec la commune de Courbevoie, à travers des escaliers et escalators.

© Bas Smets

Pour ramener la nature, nous avons donc planté 100 arbres dans une couche de 50 cm au-dessus de ce boulevard urbain, ce qui forme une forêt urbaine flottante. Nous avons travaillé avec une pépinière pour préparer les arbres à avoir des racines plus horizontales que verticales et avec des ingénieurs pour obtenir des surfaces de terre continues afin que les plantations puissent s’épanouir. Et cela pousse bien : elles font déjà 10 mètres de hauteur !

Et en Belgique, de tels projets voient-ils aussi le jour?

Récemment, on a remporté le concours pour repenser la Jonction nord-midi, une infrastructure démesurée au-dessus du chemin de fer, à Bruxelles. Dans notre proposition, on suggère de voir ce tunnel comme une digue souterraine qui peut être utilisée pour bloquer les eaux pluviales qui viennent de la ville haute. L’idée est de déminéraliser le bitume des ponts et de former une forêt urbaine en hauteur, alimentée par ces eaux souterraines. Cette compréhension du territoire permet d’inventer d’autres paysages.

© Bas Smets

Bas Smets donnera une conférence dans le cadre de Lunch with an Architect, ce 4 octobre à Bruxelles. Réservation : lunchwithanarchitect.be

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