Contraception: et si les hommes prenaient aussi leurs responsabilités?

© PIETER VAN EENOGE

Techniquement, financièrement et mentalement, la contraception reste encore majoritairement l’affaire des femmes. Des alternatives à la pilule ou au préservatif existent pourtant. Et séduisent de plus en plus de jeunes couples tentés par ces méthodes zéro déchet, garanties sans hormones.

Le constat est imparable: les femmes ne sont fertiles que quelques heures par mois, les hommes H24 et 7 jours sur 7. Pourtant, ils sont encore très peu nombreux à partager dans les faits la charge mentale et financière de la contraception au sein du couple. Aujourd’hui, les femmes composent près de 85% du public des plannings familiaux. Ce sont elles aussi qui, dès l’adolescence, instaurent un dialogue sur le sujet avec leur gynécologue. Ces messieurs, eux, n’ont pas de référent analogue et l’information qu’ils reçoivent – quand ils en reçoivent une – se limite bien souvent à la mise en avant du préservatif présenté avant tout comme un moyen de protection contre les maladies sexuellement transmissibles, plutôt que comme un outil efficace pour éviter les grossesses. « Depuis l’arrivée de la pilule dans les années 60, les femmes sont coincées dans le rôle de gardiennes de la contraception, de la reproduction, de la maternité et du soin du couple, pointe Laurence Stevelinck, chargée de mission auprès de la Fédération laïque de centres de planning familial et auteure d’un mémoire en études de genre sur la place des hommes dans la contraception. Même la prise en charge du préservatif n’est pas majoritairement masculine mais plutôt féminine, qu’il s’agisse de l’achat ou de la négociation d’utilisation, bien souvent limitée aux prémices de la relation. Dès que le couple s’installe, c’est généralement vers un moyen de contraception dit féminin qu’il va se tourner. »

En offrant aux femmes la possibilité de maîtriser leur fertilité, la société et le corps médical ont eu tendance à leur faire porter, seules, la responsabilité de la contraception implicitement liée à l’idée de grossesse. « Cela part sans doute d’une bonne intention et il n’est pas question de remettre en cause ce droit, insiste Sophie Peloux, coordinatrice du pôle pédagogique de l’ASBL O’YES, active dans le domaine de la promotion et de l’éducation à la santé sexuelle. Nous militons pour que cette responsabilité soit partagée: chacun devrait être capable de maîtriser sa propre fertilité comme il ou elle maîtrise le risque lié à la propagation des maladies sexuellement transmissibles. Pour cela, il est essentiel d’ouvrir le discours sur la contraception, d’offrir des espaces de parole. Et cela passe aussi par une meilleure formation du personnel de santé sur les différentes alternatives possibles, notamment en matière de contraception testiculaire. Car elles existent. »

Contraception: et si les hommes prenaient aussi leurs responsabilités?
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Un slip à porter 15 heures

Si la pilule pour hommes, attendue depuis plus de trente ans, ne verra probablement jamais le jour, il est déjà possible, sous suivi médical très strict, de se « contracepter » en recevant des injections de testostérone capables de faire diminuer la concentration en spermatozoïdes. « Je le propose, mais très peu d’hommes acceptent, admet Daniel Murillo, andrologue au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles. Car c’est très astreignant… et c’est surtout très cher car cette technique « off-label » (NDLR: le médicament est prescrit pour un autre usage que celui pour lequel il a été mis sur le marché) n’est pas remboursée. Les hommes redoutent aussi les effets secondaires. Des freins qui ont pourtant été surmontés pour la pilule féminine grâce à ce que l’on appelle le risque bénéfique: l’absence de contraceptif impliquait des grossesses non désirées et des avortements clandestins potentiellement mortels. Un risque vital face auquel la pilule était vue comme un moindre mal. » Ce supposé manque de motivation des hommes – pourquoi mettre potentiellement en danger sa santé si rien ne vous y oblige? – expliquerait en partie le désintérêt complet pour ces méthodes de l’industrie pharmaceutique, peu encline à investir dans ce qui ne lui rapportera rien.

On n’a pas pris autant de précautions avant de mettre les médicaments destinés aux femmes sur le marché.

Cette tiédeur s’applique aussi à tout ce qui touche à la contraception thermique popularisée en France dans les années 80 par Ardecom (association pour la recherche et le développement de la contraception masculine) et mise à l’honneur lors du colloque « Focus sur les couilles », organisé à Bruxelles en ce début d’année. Le principe? Augmenter légèrement la température des testicules grâce à la chaleur corporelle à l’aide d’un sous-vêtement ou d’un accessoire adapté. Portés pendant 15 heures par jour, ces équipements font diminuer le taux de spermatozoïdes mobiles dans le sperme, assez pour que celui-ci soit considéré comme stérile, ce dont il convient de s’assurer en effectuant régulièrement un spermogramme. Ce n’est en effet qu’au bout de trois mois que l’on peut espérer arriver à ce résultat. Pour retrouver progressivement sa fertilité, il suffit de cesser de porter le slip ou l’anneau. « L’efficacité de la méthode a bel et bien été démontrée, principalement dans la littérature médicale française, précise le Dr Murillo. L’idée est innovante et bien dans l’air du temps: c’est un procédé totalement naturel, écologique qui répond aux préoccupations des couples d’aujourd’hui. Mais pour être véritablement validée, elle devrait faire l’objet de tests à beaucoup plus grande échelle afin d’en mesurer aussi l’innocuité et la réversibilité, notamment chez les hommes hypofertiles. Pour connaître les effets à long terme éventuels sur les testicules ou la prostate, il faudrait attendre trente à quarante ans. On n’a pas pris autant de précautions avant de mettre les médicaments destinés aux femmes sur le marché. Le développement de cette technique passera donc par la volonté d’hommes décidés à prendre leur fertilité en main. »

Un objet assimilé à un sextoy

A ce jour donc, ces « outils » qui assurent le maintien des testicules au contact de la chaleur corporelle ne sont pas officiellement considérés comme des contraceptifs. Impossible de se les procurer en poussant la porte d’une pharmacie. Sur le Web, de nombreux tutos existent à destination de ceux qui souhaiteraient fabriquer leur slip chauffant. Quant à l’anneau Andro-switch, développé par Maxime Labrit et commercialisé en ligne sur le site thoreme.com, il est à ce jour assimilé à un sextoy. « Seul, il m’est impossible de trouver les fonds nécessaires au développement des essais cliniques et personne à ce jour ne me suit, regrette l’infirmier français. L’industrie pharmaceutique n’a aucun intérêt à encourager la commercialisation d’un objet durable car réutilisable. Cette méthode ne nécessite aucun acte médical invasif ou occlusif. Tout ce qu’elle demande, c’est de faire de temps en temps un spermogramme qui peut être vu comme un gage de confiance, un moyen pour l’homme de prouver à sa partenaire que sa pratique est bonne. » A ceux qui lui objectent le caractère contraignant de la méthode, le jeune militant parle lui de réflexe à acquérir, de geste à ritualiser. « Mutualisé avec la symptothermie (NDLR: la prise quotidienne de température au réveil par la femme qui permet de déterminer les jours de fécondité), le port de l’anneau ou du slip chauffant est d’une efficacité redoutable. Exit la question de genre, chaque membre du couple prend ici ses responsabilités grâce à des pratiques naturelles, sans impact hormonal pour soi ou la biodiversité. »

La sexualité ne se résume pas à un pénis qui pénètre un vagin avec une éjaculation à la fin.

Un discours qui semble faire mouche auprès des jeunes générations. Consultant en informatique, Aurélien, 28 ans, se définit comme un militant anti-sexiste en constante déconstruction. Lors du festival féministe Ladyfest organisé l’an dernier par l’ULB, il a animé un stand consacré aux différentes méthodes de contraception masculine. « L’endroit s’est avéré idéal pour interpeller les gens et nouer une discussion même sur un sujet aussi sensible et personnel que celui-là, assure-t-il. L’occasion de rappeler aussi que la sexualité ne se résume pas à un pénis qui pénètre un vagin avec une éjaculation à la fin. Que le préservatif peut aussi être un excellent moyen de contraception sur le long terme si l’on a pris le temps de correctement le choisir, de trouver la bonne taille, la bonne forme pour que son usage ne soit pas désagréable. Tout dépend aussi de la manière dont le couple est prêt à accepter ou non le risque d’enfant. Et à l’assumer ensemble quelle que soit la méthode choisie. C’est là qu’intervient véritablement la notion de contraception partagée: envisager ensemble les options, assumer à deux la charge financière et mentale. »

Des peurs à déconstruire

Car, comme le rappelle Laurence Stevelinck, il n’existe pas de contraception sûre à 100%. « Il est donc essentiel de pouvoir informer correctement les deux parties, notamment grâce aux séances d’Evras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) organisées dans les écoles. Ce sont des outils précieux pour apprendre aux jeunes à mieux se connaître, à se respecter davantage les uns les autres et présenter aussi d’autres modèles de responsabilité. Aujourd’hui, le phallus reste encore le symbole suprême auquel il ne faut pas porter atteinte. On touche ainsi à des peurs imaginaires qui ne reposent sur aucun fait scientifique. » Et notre experte de pointer ce chiffre interpellant: près de 2/3 des femmes qui souhaitent avorter ont été enceintes alors qu’elles utilisaient un moyen de contraception. « Si chacun le fait, on double la protection, insiste-t-elle. On peut aussi faire le choix de l’alternance pour diminuer les effets secondaires. » Un réflexion qui amène de plus en plus d’hommes, surtout au nord du pays, à envisager la vasectomie lorsqu’il n’y a plus de désir d’enfant, pour libérer leur compagne de la contrainte de la pilule ou du stérilet.

« La contraception reste hélas le parent pauvre des études de médecine, regrette Daniel Murillo. Il n’y a pas de véritable formation dans le cursus universitaire. Rien n’est mis en place non plus pour informer les hommes sur leur vie sexuelle, affective et contraceptive. Or les soucis existent, je pense aux disfonctions érectiles, aux éjaculations précoces, à propos desquelles ils ne savent pas où chercher de l’aide. Il faudrait des lieux de parole au sein des plannings qui prennent en charge la santé sexuelle et reproductive des hommes. » Sans interférence avec la liberté de choix qui doit être laissée à la femme en matière de contraception. « Amener l’homme au centre du débat ne me semble pas toujours opportun, conclut le spécialiste de la fertilité. Le partage ne doit pas lui donner le droit de s’immiscer dans ce qui finalement ne le regarde pas. »

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