La technique de l’écureuil: place à l’alimentation intuitive et au respect de sa faim
L’alimentation intuitive fait de plus en plus d’adeptes. Vantant une approche à l’écoute de sa faim, elle invite à reconstruire une relation saine avec la nourriture… comme ce petit rongeur.
Régimes Dunkan, Keto, hypocalorique ou encore jeûne intermittent, les méthodes ne manquent pas pour viser une perte de poids. Lorsque certains s’entêtent à compter assidûment chaque calorie ingurgitée, d’autres font le choix de se tuer au sport pour éliminer les excès de la veille.
Toutefois, malgré une période de restriction intensive, le mythe voudrait que nous reprenions systématiquement le poids perdu lors de celle-ci. Un cercle vicieux duquel il est difficile de s’extirper. « J’étais dans ma dixième année de régimes à répétition, avec une phase d’anorexie qui s’était ensuite transformée en hyperphagie. Je suivais mon régime sans faute du lundi au vendredi, et le week-end, c’était l’orgie alimentaire à en avoir mal au ventre. L’estime de soi et la confiance en soi tombent au plus bas, je m’étais résignée à vivre avec jusqu’à la fin de mes jours », témoigne Valentine Schoepperlé.
En réaction à cette expérience malheureuse, cette dernière est aujourd’hui devenue diététicienne nutritionniste-comportementaliste et dénonce ces diktats qui obligent d’aucuns à contrôler sévèrement leur assiette.
Des études démontrent en effet que 95% des patients ayant entrepris un régime reprennent inévitablement le poids perdu au cours de celui-ci, voire plus. Les 5% restants ne sortent pas victorieux pour autant, puisqu’une bonne partie d’entre eux développent par la suite des troubles du comportement alimentaire, les plus connus étant l’anorexie et la boulimie.
Et malgré cela, de nombreux professionnels continuent à prescrire ce type de programmes pour maigrir. Ils préconisent ainsi de se nourrir à heures fixes, de ne pas manger entre les repas, même si la faim se fait ressentir, de choisir ses aliments selon des règles diététiques, etc… Cette méthode alimentaire implique qu’il faille se sustenter en se servant de sa raison: c’est l’alimentation réflexive ou raisonnée.
Les compteurs à zéro
Tout l’inverse de l’approche qui nous intéresse ici. Approuvée et reconnue depuis 1995, l’alimentation intuitive est le fruit des recherches de deux nutritionnistes américaines, Evelyn Tribole et Elyse Resch, qui ont choisi de délaisser le principe restrictif des régimes pour créer un concept impliquant un nouveau rapport à la nourriture, plus respectueux de notre corps.
En 2018, Elyane Cloarec devient la première Française certifiée en alimentation intuitive, après s’être formée auprès de ses deux créatrices. D’après elle, « toute méthode visant à penser la nourriture avec sa tête, plutôt que de la ressentir avec le corps, est forcément vouée à l’échec ».
« Avant, j’alternais entre les phases de restriction et de compulsion. Ces dernières sont extrêmement difficiles à vivre émotionnellement et psychologiquement. La nourriture et mon corps prenaient 80% de mon espace mental, ne me laissant que très peu de place pour vivre pleinement », avoue la jeune femme.
Toute méthode visant à penser la nourriture avec sa tête, plutôt que de la ressentir avec le corps, est forcément vouée à l’échec.
Elyane Cloarec
Un véritable voyage introspectif
L’alimentation intuitive consiste davantage en un voyage introspectif, une thérapie permettant ainsi de recréer une relation saine avec son alimentation. Le focus du poids étant l’un des pires ennemis des compulsions, cette méthode n’est dès lors absolument pas un moyen de perdre quelques kilos rapidement. Elle vise d’ailleurs à bannir la mentalité des régimes, et ce compris les très branchés « rééquilibrages alimentaires ou plans alimentaires ».
« Un des principes fondamentaux est d’écouter son corps. Sauf qu’après des années passées à avoir refouler ses sensations de faim, il n’est pas aisé de les retrouver. Cela demande du temps mais surtout un accompagnement », résume Valentine Schoepperlé qui, aujourd’hui, a emprunté cette voie nutritionnelle.
D’autre part, cette approche implique forcément qu’il faille faire table rase de tout ce qui a été appris auparavant. Les compteurs doivent être remis à zéro et cette étape peut paraître déroutante. « C’est difficile de s’entendre dire: « Autorise-toi à manger. » On a juste envie de répliquer: « Mais je ne fais que ça de m’autoriser à manger… C’est justement mon problème! » On ne se rend pas toujours compte que nos compulsions sont des compulsions, et donc un mal à traiter. On pense qu’on est gourmand et qu’on a surtout un problème de discipline », analyse Elyane Cloarec.
Ne pas abuser de noisettes
Pour bien comprendre l’approche, ses défenseurs utilisent la métaphore de l’écureuil qui, malgré sa réserve de noisettes, ne grossit pas, simplement car il écoute sa faim! Une fois entièrement rassasié, le rongeur n’ira pas dénicher une énième noisette, même s’il les apprécie, car il se nourrit dans un but de survie et, par conséquent, écoute les signaux de satiété que lui envoie son organisme. S’articulant autour de dix principes (lire par encadré), l’alimentation intuitive invite donc à distinguer la véritable faim de l’envie. Ainsi, l’attrait de la nourriture interdite disparaît et les compulsions s’atténuent.
Plusieurs études attestent d’ailleurs que cette approche aurait des effets positifs sur la santé physique et mentale, et réduirait les risques d’obésité ainsi que de troubles alimentaires.
Françoise, 53 ans, témoigne: « Je sais enfin faire la différence entre avoir faim, avoir envie de manger et avoir des habitudes alimentaires. Maintenant, je mange un repas savoureux quand j’ai faim car j’ai appris à satisfaire mes papilles. Je grignote une petite douceur quand j’ai envie d’un moment de plaisir et je ne mange plus par habitude. J’ai retrouvé un ventre plat et une taille en moins tout en continuant à préparer des recettes habituelles sans ingrédients compliqués, sans me priver. »
- Rejeter la mentalité des régimes amaigrissants.
- Honorer sa faim… quand on a faim.
- Faire la paix avec la nourriture.
- Cesser de classer les aliments comme bons ou mauvais.
- Ecouter les signaux de satiété.
- Redécouvrir la satisfaction et le plaisir de manger.
- Gérer ses émotions sans nécessairement utiliser la nourriture.
- Respecter son corps.
- Faire de l’exercice, avec plaisir.
- Prendre soin de sa santé.
The Intuitive Eating Workbook, par Evelyn Tribole et Elyse Resch, New Harbinger Publications.
Déconstruire les croyances
Nathalie Hallot, diététicienne agréée en Belgique et spécialisée dans l’approche bio-psycho-sensorielle, se base aussi sur ce concept pour conseiller sa patientèle. « Dans un premier temps, je travaille sur leurs croyances, c’est-à-dire les règles alimentaires que chacun s’impose, explique-t-elle. En partant de la propre expérience de la personne, l’objet de la première consultation consiste à lui faire prendre conscience que les techniques qu’elle a utilisées jusqu’à présent ne fonctionnent pas. »
Si l’alimentation intuitive n’a pas pour objectif principal d’entraîner une perte de poids, elle permet d’abord de retrouver une liberté dans le choix des repas. Sans règle et sans frustration, un accompagnement avec un professionnel permet alors d’atteindre le poids d’équilibre. « Entre chaque consultation, je vais donner un exercice pratique pour se reconnecter à ses sensations. Par exemple, je propose de sauter le petit-déjeuner et d’attendre d’avoir faim pour manger, mais je vais également délivrer des conseils comportementaux, comme celui de savourer ses repas. Je fais donc beaucoup de dégustations, car c’est un outil idéal pour faire prendre conscience des aliments que l’on aime ou pas, et introduire la notion de plaisir, qui est essentielle. C’est ce que j’appelle la vraie gourmandise », explique Nathalie Hallot.
Gare aux interférences
Si cette méthode semble à première vue séduisante, elle reste pourtant déconseillée auprès de certains. Notamment en cas de pathologies et de traitements médicaux lourds, mais également chez les patients souffrant de troubles du comportement alimentaire. « Une personne sujette à l’anorexie, si elle s’écoute vraiment, ne ressentira jamais la faim. Et pourra donc se laisser mourir en ne s’alimentant pas », précise Valentine Schoepperlé.
De plus, si l’alimentation intuitive se base sur l’écoute des sensations, il peut y avoir des interférences: « La principale difficulté est le fait que nous ne sommes pas conscients de certains de nos mécanismes. Sinon nous arrêterions de les reproduire et tout rentrerait dans l’ordre », précise Elyane Cloarec.
Chez tout individu, des déclencheurs tels que la fatigue, l’anxiété, la tristesse, l’éloignement et même la joie ou l’amusement peuvent nous faire ressentir une faim subite ou perdre l’appétit. Des histoires de vie compliquées, ayant entraîné des traumatismes, sont également susceptibles de bloquer un rapport sain à la nourriture.
Enfin, certains patients présentent diverses dépendances au sucre, à l’amidon ou encore au gras. C’est pourquoi, pour pouvoir retrouver son poids d’équilibre et renouer avec son alimentation, le travail doit non seulement porter sur l’écoute attentive des sensations alimentaires, mais aussi, parallèlement, sur sa problématique émotionnelle. Ce n’est pas toujours le cas et cela pourrait expliquer certains échecs.
Oublier le culte de la minceur
Néanmoins, un facteur de réussite important réside dans l’acceptation de sa morphologie et de son paquet génétique. Pas toujours facile quand le culte de la minceur prédomine dans notre société: « Il n’est pas près de s’éteindre car il fait vendre, s’exclame Valentine Schoepperlé. Les lobbys l’entretiennent et ils en ont tout intérêt. Mais je pense sincèrement qu’il n’y a que notre propre personne qui peut entretenir ou non ce culte. » Dans notre monde, la place du physique revêt une telle importance qu’il n’est pas rare de délibérément se priver de certains aliments, de sauter un repas, ou encore de se ruer sur le dernier remède minceur miracle.
Mais c’est exactement de cette manière que nous provoquons inconsciemment la déconnexion à nos sens vitaux et jouons avec l’effet yoyo, si néfaste.
Si l’alimentation intuitive paraît simple sur papier, un laps de temps plus ou moins important est toutefois nécessaire. Bien souvent freinée par la restriction cognitive, cette approche invite à se déconditionner progressivement en cheminant par étapes afin d’atteindre un réel détachement vis-à-vis de la nourriture. « Cette thérapie représente, selon moi, un espoir pour toutes les personnes qui ont un rapport compliqué avec la nourriture », conclut énergiquement Elyane Cloarec. De quoi revoir ses habitudes en s’autorisant, par exemple, un morceau de chocolat noir en guise de dessert… Il paraît d’ailleurs que cette gourmandise aux multiples bienfaits constitue un excellent allié santé! On aurait tort de s’en priver.
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