Le sexe, en mieux: quelque chose est en train de changer sous les draps

© Harmke Antonissen

Désormais, la sexualité s’envisage de manière positive, et beaucoup plus subtile que par le passé. La règle, c’est qu’il n’y en a plus. A chacun ses petits plaisirs. Décryptage.

« J’étais sexuellement active depuis des années, et pourtant j’avais toujours l’impression d’être débutante. » C’est par ces mots que la Britannique Lucy-Anne Holmes ouvre son livre Don’t Hold My Head Down. « Je n’étais pas une femme forte et sûre de moi sexuellement parlant. Au contraire, je me sentais comme une jeune novice, explique-t-elle. Le sexe moyen, presque pornographique, que je connaissais, ressemblait plus à une performance qu’à un moment de plaisir et j’essayais surtout d’être désirable, au lieu d’écouter mes propres désirs. J’ai donc voulu en apprendre plus. » L’auteure s’est dès lors penchée sur ce que représentait la sexualité pour elle, sur l’importance (considérable) de l’image qu’elle avait d’elle-même et sur le rôle (encore plus considérable) de la représentation de la femme et de la sexualité dans la société. Ensuite, elle a établi une liste des choses qu’elle voulait essayer: du sexe plus lent, quatorze orgasmes différents, satisfaire quelqu’un avec ses mains, le faire avec une femme… Désormais, pour elle, plus question d’accepter une relation sexuelle qui soit un douloureux test d’endurance. Elle envisage dorénavant la chose comme un moment tendre et créatif, au cours duquel deux personnes se touchent comme si elles étaient précieuses. De préférence avec de longues caresses sur la poitrine… et quelques fessées occasionnelles.

Le sexe, en mieux: quelque chose est en train de changer sous les draps
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Et cette femme est loin d’être une exception dans sa recherche d’un sexe meilleur. Ces dernières années, le sujet est partout dans les médias et dans tous les formats. Depuis 2017, Daphné Bürki anime par exemple, tous les après-midi, dès 15 heures, sur France 2, Je t’aime, etc…, une émission dans laquelle il est question d’amour des autres et d’estime de soi, du couple et de la vie familiale, mais aussi de sexe. La sexologue belge Alexandra Hubin, qui signe Entre mes lèvres mon clitoris – confidences d’un organe mystérieux (Eyrolles), en est d’ailleurs l’une des chroniqueuses régulières. Dans Le Monde, la rubrique hebdomadaire « Le sexe selon Maïa » de Maïa Mazaurette, autrefois journaliste chez Playboy, est aujourd’hui l’une des plus lues et des plus commentées du vénérable quotidien parisien. Et sur les plates-formes digitales, aussi, sexo-influenceurs et sexopodcasteurs ne jurent plus que par la « sexologie positive », ce courant qui s’intéresse à tout ce qui nous rend affectivement, relationnellement et sexuellement épanouis. Dans son podcast hebdomadaire Première & Dernière Fois, la journaliste Lucile Bellan raconte les sexualités au travers d’interviews intimistes de personnes aux profils très différents. Sur le compte Instagram Jouissance Club, la Française Jüne Pla distille, elle aussi, ses conseils « pour amants créatifs », compilés il y a peu dans un ouvrage du même nom (Marabout).

Rien n’est (a)normal

En sexologie positive, les notions de consentement et d’image de soi sont bien sûr essentielles mais aussi l’idée que la sexualité n’est jamais figée. « Elle nous aide à rester ou à devenir acteur de notre épanouissement individuel et conjugal, explique Alexandra Hubin sur le site de son cabinet de consultation. Cibler les difficultés sans les dramatiser est une excellente stratégie pour évoluer positivement. »

La sexualité, c’est un art aussi complexe que la musique.

Jüne Pla

Et comme le démontre Jüne Pla au fil de ses posts et de ses stories, « le sexe, ça s’apprend et nous avons besoin d’informations et d’images qui nous permettent de comprendre notre corps, sans crainte ». C’est pourquoi elle a publié un bouquin rempli de dessins destinés à expliquer notre anatomie, et ce que nous pouvons faire avec. « Les conseils que nous trouvons aujourd’hui ne nous apprennent toujours pas à aborder notre sexualité sainement. On ne nous parle pas assez de plaisir. Beaucoup pensent que la sexualité est une compétence innée, mais ce n’est pas le cas. Pour moi, c’est un art aussi complexe que la musique, par exemple. Il faut connaître les bases avant de composer une symphonie. J’ai donc établi une sorte de Kama sutra basé sur des références visuelles adaptées à tous les genres et toutes les orientations sexuelles. » A chaque page, elle s’emploie à déconstruire « la normalité », « cette construction sexuellement motivée par le porno et la culture populaire. On y glorifie la pénétration hétérosexuelle car personne ne nous a appris à regarder au-delà. Les cours d’éducation sexuelle tels qu’on les enseigne aujourd’hui se contentent de parler de contraception et de protection contre les maladies sexuellement transmissibles. On ne nous enseigne pas le plaisir. Or on sait bien par exemple que la majorité des personnes dotées d’un clitoris ne peuvent atteindre l’orgasme que par stimulation extérieure. Ce que la plupart de gens qualifient de « préliminaires » est en réalité la meilleure manière d’apporter du plaisir ».

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En filigrane apparaît la question de la satisfaction sexuelle. Selon une enquête réalisée fin 2019 par le magazine Femmes d’Aujourd’hui et RTL-TVI, 43% des interrogées assurent atteindre l’orgasme à chaque rapport (plusieurs fois pour 18% d’entre elles), tandis que 47% disent « ne pas jouir systématiquement, mais trouver cela agréable ». Une femme sur 10 reconnaît toutefois n’en avoir jamais fait l’expérience. Une étude commandée l’an dernier par Durex sur les Pays-Bas et la Belgique avance quant à elle des chiffres pour les hommes affirmant que 28% d’entre eux éprouvent parfois des difficultés à atteindre l’orgasme, seuls 2% d’entre eux n’y arrivant jamais. Un peu plus ancien, le sondage réalisé en 2013 par Mylan, leader des médicaments génériques, présentait des résultats plutôt encourageants: plus de 65% des Belges s’y disent satisfaits de leur vie sexuelle. La performance sexuelle serait secondaire pour 71% des hommes et des femmes, la priorité allant au désir et le plaisir dépendant avant tout de l’entente entre partenaires (77%).

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Satisfait ou formaté

« Nous avons été formatés pour penser que la pénétration est la seule et unique manière d’atteindre l’orgasme pour les deux partenaires en même temps, dénonce pour sa part Jüne Pla. Sauf que c’est extrêmement réducteur. Mon but n’est certainement pas de la diaboliser mais pour les personnes qui souffrent par exemple de dyspareunie, de problèmes d’érection ou d’éjaculation précoce ou tardive, c’est une source potentielle de stress. Le souci, c’est que l’on ne nous a jamais rien proposé de différent. Il y a d’autres manières de faire l’amour. L’un des buts de mon bouquin, c’est justement de montrer de manière imagée ces alternatives, que la pénétration cesse d’être une injonction. »

Un modèle que les nouveaux ouvrages destinés aux adolescents tendent également à remettre en question. Dans Sexe sans complexe (Acte Sud Junior), Bérangère Portalier, l’une des fondatrices du magazine féministe Causette, tente ainsi d’aborder sereinement l’entrée dans la sexualité sans tourner pour autant autour du pot quand il est question de parler de masturbation, de pornographie, de virginité, d’homosexualité et de genre. La journaliste n’hésite pas à y dénoncer les ravages de la pression sociale qui s’infiltrent jusque sous les draps à travers le culte de la performance et la course à l’orgasme. « Lorsque l’on devient adulte, il est normal de se poser des questions sur le sexe, plaide l’auteure. Sans tabous, mon but est de renverser les blocages et les préjugés. Car l’amour ne devrait pas être une source de complexes et d’inquiétudes mais de plaisir et d’épanouissement. »

Et pour celles qui n’arrivent pas à atteindre l’orgasme et pourraient avoir tendance à se décourager, à se dire que le plaisir n’est pas fait pour elles et à laisser peu à peu le désir disparaître, il existe également une panoplie de gadgets, bien loin des gods traditionnels. Lorsque ces filles en quête d’une sexualité épanouie poussent la porte de Lady Paname, Chantal Desmet, conceptrice de ce boudoir spécialisé dans la lingerie et les accessoires érotiques installé en plein coeur de Bruxelles depuis dix-sept ans déjà, les aide tout d’abord à reprendre contact avec leur corps. « Avec celui de leur partenaire aussi, détaille-t-elle. Cela implique de prendre le temps et de (ré)apprendre à se caresser. C’est très important. A partir de là, c’est pour certaines découvrir où se trouve leur clito, la base des lèvres, les zones érogènes. Les sex toys peuvent aussi permettre de découvrir son anatomie car les vibrations aident à trouver la trajectoire du plaisir. L’essentiel, pour les hommes comme pour les femmes, c’est de reprendre confiance en soi, de cesser de stresser, car si l’on stresse, on aura du mal à lâcher prise. » Dans la mouvance de ce que l’on appelle aujourd’hui la sex-tech, de plus en plus de femmes créent désormais des sex toys à utiliser en solo ou en couple dans des formes et des matières n’ayant plus rien à voir avec les vibros « à l’ancienne ». Des objets séduisants qu’Océane Taquoi, fondatrice de la boutique de cosmétiques Label Chic, a tout naturellement voulu proposer à ses clientes. « Cela s’inscrit tout à fait dans une démarche de bien-être global, plaide la jeune femme. Pour que les femmes se sentent bien dans leur peau mais aussi dans leur corps. »

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Se faire un film

A contrario de ces approches douces, on trouve évidemment la pornographie, qui sert encore pour beaucoup de personnes de source d’inspiration, voire de pseudo-information. Elles y trouvent un script bien ficelé: on s’embrasse, on se touche un peu puis place à la fellation, à la pénétration, et le tour est joué. Mais le porno n’est pas un bon professeur, précise l’actrice et militante body-positive Jameela Jamil. « Apprendre à faire l’amour en regardant du porno, c’est comme apprendre à conduire devant Fast & Furious. Ce n’est pas la vraie vie, a-t-elle affirmé récemment à la Makers Conference. Les acteurs des films pornos jouent un rôle, qui donne bien à la caméra, mais qui ne procure pas spécialement de plaisir. De plus, leurs corps comme leurs prestations ne sont pas à 100% naturels. »

Ce qu’il nous faut, c’est du porno auquel nous pouvons nous identifier.

Ellen Laan

« C’est aussi toujours très sérieux », estime Ellen Laan, docteur en psychologie néerlandaise, connue internationalement. Les acteurs ne sourient et ne rient jamais. Beaucoup de spectateurs ne trouvent pas spécialement le porno très stimulant. Mais nous avons tous des zones de notre cerveau qui reconnaissent une situation censée être sexuelle, et qui réagissent en libérant différentes hormones. Il n’est pas nécessaire de chercher l’excitation, elle arrive toute seule. C’est déroutant, surtout pour les jeunes. Ils regardent du porno, et ils sentent leur corps réagir très rapidement, et s’attendent alors à ce que l’excitation soit aussi instantanée dans la vraie vie. Ce n’est pas le cas. Faire l’amour avec une autre personne crée une situation extrêmement complexe socialement. Si vous pensez qu’il y a une solution toute faite et que vous brillerez en suivant un script détaillé, vous serez déçus. Les films pornographiques ne sont pas mauvais en soi. Le monde du X doit juste se réinventer. Les films mainstream sont ennuyants et irréalistes. Ce qu’il nous faut, c’est du porno auquel nous pouvons nous identifier. »

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Face à ce constat, Cindy Gallop a eu l’idée, discutable mais dans la mouvance positive en tous cas, de développer la plate-forme Make Love Not Porn (MLNP), alimentée par ses utilisateurs. On y trouve des vidéos de vraies personnes durant de vrais ébats. Ceux qui veulent peuvent se filmer et partager leur vidéo. Si celle-ci est visionnée, la moitié des bénéfices revient à MLNP et l’autre au propriétaire. « L’idée m’est venue de mon expérience avec des amants plus jeunes, raconte-t-elle dans une TED talk. Ils avaient toujours l’air de s’en tenir à un plan. Je trouvais cela dommage et inquiétant. Avec cet outil, je veux montrer le sexe dans toute son humanité, glorieux, beau, bordélique, rassurant… et peut-être que nos vidéos réalistes d’amour intime et de connexion entre partenaires favoriseront les discussions au sein d’un couple. »

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Le plaisir au masculin

Et les hommes dans tout ça? Toutes les initiatives que nous avons jusqu’à présent mentionnées ont en effet été lancées par des femmes. « Elles ont effectivement beaucoup à y gagner, analyse Ellen Laan. Mais les hommes aussi. L’une de leurs plaintes les plus fréquentes concerne la pression qu’ils ressentent, car ils pensent que la réussite d’une relation sexuelle dépend de leur pénis. Mais ce n’est pas le cas. Les femmes jouissent le plus souvent suite à la stimulation de leur clitoris. L’orgasme clitoridien associé à une stimulation vaginale est plus fréquent lorsque le partenaire utilise ses doigts plutôt que son pénis, car ils sont bien plus mobiles et polyvalents. Et heureusement, les hommes aussi ont été pourvus de doigts. Le message selon lequel tout ne tourne pas autour de la pénétration et qu’il existe des centaines de choses agréables à faire pour prendre du plaisir signifie qu’ils n’ont pas à se soucier de savoir si leur pénis est assez gros ou assez rigide. »

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En outre, les hommes devraient aussi se demander ce qu’ils apprécient vraiment, eux, précise l’experte néerlandaise. « Nous avons une idée beaucoup trop fixe de la sexualité masculine, notamment parce que la culture populaire et les hommes entre eux confirment constamment les stéréotypes. Le plaisir masculin se réduit trop souvent à la possibilité de quelques va-et-vient dans un vagin. Pathétique, n’est-ce pas? Alors que quand on leur pose la question, ils ont souvent les mêmes désirs que les femmes. Se sentir désirés, valorisés, pouvoir être eux-mêmes et une connexion intime. En matière de sexualité, les hommes et les femmes sont très semblables. Et c’est là un message d’une importance capitale. Que vous soyez un homme ou une femme, que votre partenaire soit une femme ou un homme, un bon amant ne sera pas celui qui suivra à la perfection une liste d’actions bien définies. Un bon amant est un amant qui se connaît, qui est sensible et curieux, qui cherche à donner du plaisir à l’autre. Pour tous, la sexualité est une quête sans fin. Les jeunes la découvrent, et prennent conscience de leurs préférences et de leurs limites, les couples cherchent à entretenir la flamme, et de nombreuses options restent possibles, à condition de continuer à en parler. »

Le missionnaire du samedi soir pratiqué par des couples qui vivent ensemble depuis longtemps n’est pas moins intéressant parce qu’il est moins spectaculaire.

Maïa Mazaurette

Reste que ce désir de « sexploration » à tout va prôné ici ne convient pas nécessairement à tout le monde. Chacun est aussi libre de ne pas innover, si c’est ainsi qu’il conçoit ce moment d’intimité partagée. Pour la chroniqueuse du Monde Maïa Mazaurette, « le missionnaire du samedi soir pratiqué par des couples qui vivent ensemble depuis longtemps n’est pas moins intéressant parce qu’il est moins spectaculaire ».

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« Nous avons donné une place beaucoup trop importante au sexe dans notre société, conclut Ellen Laan. Le danger est que la positivité sexuelle devienne une nouvelle norme. La nuance est essentielle: rien n’est obligé, mais tout est permis. L’autonomie sexuelle est la plus haute récompense, car elle va de pair avec le plaisir et la satisfaction. C’est beau de voir qu’aujourd’hui, de nombreuses femmes ne sont plus d’accord d’être uniquement le stimulus et attendent également quelque chose de leur partenaire. Les temps changent. Qui sait, peut-être que des hommes se joindront à notre combat. »

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