Anne-Françoise Moyson
Génération bistouri
Elle ne lâche rien, la jeunesse. Après s’être affamée, protéinée, musclée, épilée, scrubée, elle est passée à la vitesse supérieure – la faute à l’application Facetune, aux Kardashian, aux confinements, à la téléréalité, aux réseaux sociaux… Car désormais ces jeunes qui haïssent leurs disgrâces se laissent découper, aspirer, rembourrer, implanter et réinjecter leur graisse en «un claquement de doigts».
«On affiche ses nouveaux seins comme son nouveau sac à main. On pousse la porte du cabinet médical comme on irait faire du shopping», constatent les journalistes françaises Elsa Mari et Ariane Riou dans leur livre Génération bistouri. Et de s’inquiéter de cette «condamnation du corps naturel» et de ce recours au scalpel et à la seringue en augmentation auprès des 18-34 ans (lire aussi ici).
Dans ce monde en haute définition, close-up et meetings Zoom, l’idéal de perfection sent l’algorithme à plein nez. Surtout pour les jeunes femmes, l’adjectif est redondant: petit nez, lèvres pulpeuses, yeux de chat, pommettes hautes, taille de guêpe, fesses rebondies… Ce portrait-robot pourrait être plus détaillé, jusqu’au vagin, puisque la nymphoplastie, historiquement pratiquée dans le milieu du porno, a aussi fait tache d’huile car la fabrique de nos fantasmes et de nos canons de beauté ne tombe pas du ciel.
On croyait naïvement que le body positivisme lutterait contre ces injonctions qui poussent à torturer le corps en prônant la réparation de la psyché. Hélas, le matraquage est puissant et la crainte d’être disqualifié.e si terriblement humaine. Devenir la meilleure version de soi sans se faire du mal, c’est pas un beau défi, ça?
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