JO de Paris 2024 : quand la manucure olympique devient star des podiums

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Nafissatou Thiam a voulu un nail art à la fois élégant et empouvoirant qui ne la gênera pas non plus lors des épreuves. © Benoît Doppagne/Belga
Isabelle Willot

Sha’Carri Richardson, Noah Lyles et même notre Nafi Thiam nationale : les ongles des athlètes font le show. Dans les épreuves et sur les réseaux.

Des ongles joliment sertis des 5 anneaux olympiques tracés à la laque chromée : depuis son arrivée au village olympique, le nail art stylé de Nafi Thiam est partout sur la toile. Ce design élégant est signé Noémie Servatÿ, du salon Le Garage, à Liège. C’est elle qui réalise les manucures de notre championne depuis plusieurs années déjà.

« Nous avons opté pour une base ombrée plutôt nude, nous explique-t-elle. Un ton qui permettrait d’anticiper les repousses tout en gardant des ongles soignés. Pour l’effet tie-and-dye, j’ai mélangé les couleurs des anneaux – sauf le noir – pour que cela reste très lumineux. Pour les anneaux eux-mêmes, l’argent que nous avons choisi apporte un petit côté bijou, un rien « bad ass » aussi qui donne une sensation d’empouvoirement. »

Un shoot de dopamine

Ce boost de confiance en soi, la jeune femme l’observe chez toutes les personnes qui viennent chez elle se faire une manucure. Sans qu’elle puisse vraiment expliquer pourquoi. « C’est une toute petite zone du corps… mais que tout le monde regarde. Et surtout une zone que l’on voit soi-même. Dès que l’on pose le regard dessus, cela procure comme un shoot de dopamine. Que l’on soit une athlète ou pas ».

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Nafi Thiam qui vise son troisième titre olympique en heptathlon est loin d’être la seule à avoir cédé à la folie des manucures spéciales JO qui s’est emparée du village olympique. Courts ou longilignes, mattes ou brillants, patriotiques ou simplement « olympiques », les ongles attirent tous les regards. Lors des points presse comme au départ des compétitions. Mais aussi au moment stratégique de la remise des médailles.

Un espace rare de liberté

« Une manucure soignée est devenu le moyen idéal d’exprimer sa singularité dans l’univers ultra codifié et réglementé des Jeux Olympiques, pointe Jules-Aloïs Amand, co-fondateur de l’agence Black Mint Communications qui travaille notamment pour le créateur belge Jean-Paul Lespagnard. Cela permet d’affirmer ses convictions, son esprit olympique ou tout simplement ses goûts esthétiques sans toucher aux uniformes cooptés par les fédérations ni aux équipements des sponsors. »

Gros plan sur les ongles de l’archère néerlandaise Laura van der Winkel qui a même ajouté des tulipes sur l’un de ses ongles. © Rene Nijhuis/Getty

A défaut de pouvoir choisir leurs tenues, les athlètes misent ainsi sur le nail art pour créer la surprise et marquer les esprits. Pour bon nombre d’entre eux, se faire les ongles fait partie du rituel de mise en condition, comme en attestent de nombreuses vidéos postées sur le réseau TikTok.

Une arme secrète

Ainsi, ces sportives britanniques interviewées par la BBC n’hésitent pas à parler « d’arme secrète » à propos de la manucure très patriotique qu’elles arborent fièrement. « Nous avons l’habitude de nous faire les ongles mutuellement, assurent-elles. Cela nous porte chance. Nous espérons la garder le plus longtemps possible ».

@bbcsport

The GB inspired nails bringing the luck 🇬🇧 #Olympics #Paris2024 #TeamGB #Nails

♬ original sound – BBC Sport
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Même fierté chez la gymnase américaine Simone Biles qui prend plaisir à dévoiler pour ses fans les différentes étapes de sa « pre olympic prep » et la très élégante « french » qui va avec.

@simonebilesowens

a girls version of GTL, hahahaha hair, nails, wax & lashes for obvious reasons I didn’t film my wax appt & I do my own lashes so there’s that. ❤️ paris olympics

♬ original sound – Simone Biles
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« Depuis une bonne dizaine d’année, le nail art est omniprésent dans notre environnement visuel, à travers les réseaux sociaux, détaille Didier Vervaeren, professeur et directeur du master Accessoires à La Cambre. Plus aucune célébrité de la pop culture au sens large ne se montre sans un travail sur les ongles importants ». Un phénomène qui touche également les sportifs.

Aux mains des fédérations

« Si par le passé, les ongles un peu extravagants ont pu être vus comme quelque chose de marginal, d’un peu vulgaire même parfois, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, renchérit notre expert. Le nail art est perçu désormais comme de petites oeuvres d’art. Il a atteint un degré de sophistication hors du commun qui séduit toute une génération. Et qui est très largement descendu dans la rue. »

En ce qui concerne les Jeux, le CIO n’a pas encore édicté de règles spécifiques à ce sujet. Il laisse cette responsabilité aux diverses fédérations sportives : ainsi, des disciplines comme la lutte, la natation ou la gymnastique exigent-elles des ongles courts tant pour des raisons évidentes de sécurité que de praticité. En athlétisme en revanche, dans les épreuves de course en particulier, il se semble pas y avoir de limites.

Florence Griffith-Joyner lors des Jeux de Séoul en 1988. © Getty

L’effet Flo-Jo

Il est loin le temps où feu Florence Griffith-Joyner, superstar de l’athlétisme aux Etats-Unis, défrayait la chronique en 1988 à Séoul, avec ses ongles XXL. Ces griffes de gel aux couleurs de la bannière étoilée ont contribué autant que les records du monde du 100 et du 200 mètres qu’elle détient toujours à la faire entrer dans la légende. « Aujourd’hui encore, je me souviens des zooms sur ses mains au moment du départ », s’enthousiasme Noémie Servatÿ.

Popularisé par l’athlétisme, le nail art s’est d’abord imposé grâce aux athlètes afro descendantes, premières porte-parole de ces manucures hors normes, historiquement ancrées dans la culture de la communauté noire américaine. La sprinteuse Sha’Carri Richardson en est aujourd’hui l’une des plus flamboyantes héritières.

Les ongles de Sha’Carri Richardson lors de la demi-finale du 100 m. © Andrej ISAKOVIC/AFP via Getty

Du nail art au village olympique

« Elle (Florence) arrivait sur la piste et elle savait qu’elle allait dominer », confiait Sha’Carri Richardson à l’agence de presse américaine AP en juin 2021, quelques semaines avant les Jeux de Tokyo. « La manière dont elle le faisait était toujours pleine de grâce. J’ai toujours aimé ça. Si l’incroyable Flo-Jo avait des ongles longs, il n’y a pas de raisons pour que je n’aie pas moi aussi des ongles longs ».

Preuve que la pratique est aujourd’hui très loin d’être marginale, le village olympique accueille même une onglerie dans son salon de beauté. L’endroit aurait selon France TV Info déjà accueilli plus de 500 athlètes de plus de 100 nationalités. « On nous demande beaucoup les anneaux olympiques, les couleurs du drapeau du pays représenté ou du maillot, ou encore les symboles de Paris, comme la tour Eiffel », confie à la chaîne la directrice de la communication de Procter & Gamble, qui gère l’institut. 

Une certaine idée de l’oisiveté

« Les athlètes sont les stars du moment, analyse Didier Vervaeren. Le monde entier va les scruter. C’est un moment de visibilité maximale. Celui où ils peuvent s’amuser tout en travaillant leur image. Il est intéressant aussi de remarquer que les ongles XXL ou très travaillés sont souvent associés à l’idée d’oisiveté: cela prend des heures à faire. Et toute une série de tâches sont rendues compliquées voire impossibles à effectuer lorsqu’on a ça au bout des doigts ».

Dans l’inconscient collectif, on se dit que ça colle bien avec l’idée que l’on se fait des stars du showbizz que l’on imagine – à tord – oisives. « Mais ici, on parle de sportifs de très très haut niveau qui bossent des heures et des heures et très dur pour atteindre leurs objectifs, s’amuse le gourou de la mode. Et qui pourtant arrivent à se faire les ongles. De quoi chambouler nos esprits cartésiens ».

Noah Lyles au départ de la demi-finale du 100 mètres. ©Tim Clayton/Corbis via Getty

Une portée politique

Pour certains, le nail art peut s’avérer moins neutre qu’il n’y paraît au premier abord. Et cela tout en évitant de contrevenir à la charte olympique qui interdit strictement toute forme de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale. Ainsi, la nageuse palestinienne Valerie Tarazi n’a pas hésité à associer le motif très symbolique du keffieh au drapeau de son pays et aux anneaux olympiques.

Capture d’écran du compte Instagram de la nageuse palestinienne Valerie Tarazi 

« Les ongles ou les cheveux, en particulier pour certaines cultures minorisées, permettent de faire passer un message, de se positionner même sans dire un mot », poursuit Didier Vervaeren. Et pourquoi pas, dans la foulée, déstabiliser l’adversaire en créant un effet de surprise. C’est notamment le cas chez les hommes qui commencent eux aussi à oser les manis en sus des tatouages.

Les hommes aussi

Noah Lyles, désormais iconique depuis la conférence de presse des JO. ©Mike Lawrie/Getty

« Dans le sport, les hommes sont encore rares à franchir le pas, constate Jules-Aloïs Amand. Mais ce n’est à mon sens qu’une question de temps. Noah Lyles affiche fièrement ses couleurs auprès de ses 1.3 millions de followers et c’est un bel exemple ». Même chose pour le volleyeur français Rémi Bassereau qui arbore sur ses mains les couleurs du drapeau national.

« On ne peut que regretter que mettre du vernis reste encore trop souvent associé à une préférence sexuelle, nuance notre communicant. C’est un peu petit et réducteur mais c’est hélas ce qui peut parfois ressortir de la lecture de certains commentaires. Heureusement, les lignes bougent. L’ouverture de la société à de nouvelles formes d’expressions créatives permet aussi aux athlètes, en particulier les hommes, de se permettre cette fantaisie, sans pour autant être montrés du doigt ». 

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Des anneaux à gogo

Les spectateurs non plus ne sont pas en reste puisque l’on a vu émerger ces dernières semaines des manucures « top topicals » comme on peut en voir au moment de la Saint Valentin ou des fêtes de fin d’année.

« Des événements comme ceux-là ou des fêtes sont propices à créer de jolis contenus pour les réseaux sociaux, même si ce que l’on expose n’est pas vraiment destiné à toutes nos clientes, reconnaît Noémie Servatÿ. Les JO par exemple, en Belgique cela reste très niche. La coupe du monde chez nous a généré davantage d’enthousiasme. »

A Paris en revanche, l’opportunité est bien là pour celles et ceux qui espèrent sortir leur épingle du jeu. Ainsi, la nail artist Lili Chrétien mieux connue sous le nom de Lili Creuk a-t-elle décroché la timbale en offrant ses services à Puma pour pimper les ongles des athlètes sponsorisés par l’équipementier.

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Un juteux business… bientôt sponsorié?

«Elle m’a dit qu’elle appréciait le rouge et qu’elle aimait que ce soit chargé, mais elle m’a laissé carte blanche», confiait ainsi Lili Chrétien au sujet de l’athlète jamaïcaine Stacey Ann Williams au magazine Capital. Un job pour lequel elle toucherait entre 1000 et 3000 euros la journée. Un sacré business quand on sait que les manucures les plus complexes peuvent coûter jusqu’à 250 euros pour une tenue moyenne de deux à trois semaines maximum.

De là à imaginer qu’un jour certaines marques de vernis et de gel se verraient bien intégrer le très sélect club des partenaires des JO, il n’y a qu’un pas… qui risquerait hélas de verrouiller l’un des derniers espaces de liberté des athlètes.

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Car qui dit sponsor, dit contrôle… voire obligation d’utiliser uniquement certains produits. Et regard sur les designs qui pourraient être ou non autorisés. « Cela reste peut-être un espace encore trop transgressif pour les marques, se réjouit Didier Vervaeren. Parce que trop associé à des univers jugés encore politiquement incorrects pour une part importante de la bonne société. » Trop encline à montrer du doigt ces nails arts disruptifs qu’elle ne saurait voir s’en s’indigner.

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