Le monde des cosmétiques bientôt 100% végan? Comment expliquer ce boom
Nos cosmétiques seront-ils bientôt tous formulés sans plus aucun ingrédient d’origine animale? L’offre végane, dopée par les attentes de la génération Z, est en pleine croissance. L’interdiction de testing sur les animaux déjà effective en Europe gagne aussi du terrain dans le reste du monde.
Le business de la beauté végane pèsera, selon les estimations des analystes, plus de 21 milliards d’euros d’ici 2025. Un montant comparable au poids actuel du groupe L’Oréal, N°1 mondial, qui annonçait en septembre dernier un chiffre d’affaires de 23,19 milliards d’euros. Il suit en ce sens une tendance de fond qui touche bien sûr l’alimentation, mais aussi la mode et qui vise à limiter autant que possible notre recours à des matières premières d’origine animale. Autrefois marginale, cette catégorie de produits, qui ne s’adresse pas uniquement aux végans ni même aux seuls végétariens, est peu à peu en train d’imposer ses standards à tous les acteurs du secteur, de la microgamme vendue online par un influenceur au géant sommé de reformuler ses best-sellers. La pandémie du Covid-19, reconnu comme zoonose, pourrait aussi expliquer en partie la méfiance pour certains ingrédients d’origine animale dont la provenance reste parfois nébuleuse.
Dans un marché américain nettement moins régulé que l’Europe, toute nouvelle marque qui se lance aujourd’hui se doit d’être « clean » et naturelle mais surtout végane et « cruelty free ». Et la tendance percole chez nous aussi. Ces normes, qui ne reposent sur aucune base légale, sont pourtant en passe de devenir de sérieux critères d’évaluation pour toute l’industrie, en particulier auprès des jeunes adultes soucieux du bien-être animal, et ce même s’ils restent parfois consommateurs de viande ou qu’ils acceptent encore de porter du cuir ou de la laine. Ces règles aux contours plus que flous varient souvent selon les sites, voire même les organismes certificateurs consultés. Ainsi, si un produit « cruelty free » – soit non testé sur les animaux – ne se doit pas d’être végan, la réciproque est souvent implicitement sous-entendue.
« Les marques qui proposent aujourd’hui des produits végans répondent aux demandes des consommateurs de plus en plus en recherche d’ingrédients d’origine naturelle, de préférence végétale, qu’ils considèrent, pas toujours à raison d’ailleurs, comme plus sûrs et meilleurs pour l’environnement », note Frédérick Warzée, cosmétologue et porte-parole de la fédération de l’industrie cosmétique belge. Chez Weleda, qui a fait du 100% naturel son mantra depuis 100 ans déjà, la part végane de l’assortiment tourne désormais autour des 73% et elle ne fait que croître. « Depuis cinq ans, nous développons davantage de produits végans en réponse aux attentes des générations Y et Z, elles-mêmes encouragées par les nombreuses personnalités publiques qui militent en faveur du véganisme en montrant ainsi leur amour pour une planète plus saine et pour les animaux, souligne Kim Goppel, brand manager pour le label suisse. Pour l’industrie cosmétique, c’est aussi une indiscutable opportunité pour l’innovation et la différenciation dans un segment du marché à très haut potentiel de croissance. »
Une lame de fond
Et les annonces allant dans ce sens se multiplient. L’an dernier, en éliminant tous les composants dérivés de l’abeille qui figuraient encore dans ses formules, Aveda est devenu 100% végan. The Body Shop promet pour sa part le basculement de l’ensemble de son portfolio d’ici 2023. La toute nouvelle gamme N°1 de Chanel à base de camélia rouge, sortie ce 5 janvier, est elle aussi formulée sans aucun ingrédient d’origine animale. Et en quelques années, Garnier est même devenu le porte-drapeau du courant végan et cruelty free au sein du groupe L’Oréal. Un choix facilité par son retrait du marché chinois en 2014. « Notre marque est en pleine transformation, détaille Aurelie Weinling, directrice scientifique et durabilité. Nous voulons franchir toutes les étapes nécessaires pour la rendre vraiment durable et cela passe par le fait de devenir végan. Nous sommes convaincus que nos cosmétiques peuvent se passer d’ingrédients d’origine animale, à l’exception du miel que l’on retrouve encore chez nous mais qui est sourcé de manière responsable. Ce souci du bien-être animal qui est au coeur de nos valeurs nous a amenés à demander la certification « cruelty free » du Leaping Bunny, l’un des labels les plus exigeants qui soit car il passe par l’audit de plus de 500 fournisseurs, pour plus de 3 000 ingrédients. »
Ce label obtenu en mars 2021 par la marque fera donc petit à petit son apparition sur les emballages au gré de l’écoulement des stocks. Pour Frédérick Warzée, ce logo représentant un lapin n’a aucune raison d’être en Europe et ne manquerait même pas à ses yeux d’une certaine hypocrisie. « Au sein de l’Union, les tests sur les animaux sont interdits sur les produits finis depuis 2005, sur les ingrédients depuis 2009, et depuis 2013, on n’a même plus le droit de mettre sur le marché un cosmétique qui utiliserait des données scientifiques provenant d’un pays qui effectue encore ce genre de test, insiste-t-il. Il faut d’ailleurs oser reconnaître que les données de non-toxicité dont font état les fabricants aujourd’hui peuvent provenir d’études réalisées il y a vingt ou trente ans! Se dire cruelty free, c’est donc déontologiquement contestable car la plupart des matières premières encore utilisées par l’industrie ont un jour été testées sur les animaux. »
Ce qui se cache derrière les mots
Végan. Un produit végan ne peut contenir aucun ingrédient d’origine animale ou dérivé de l’animal. Les puristes exigent même qu’aucun animal n’ait pu servir à sa fabrication. Ainsi, l’utilisation d’un âne ou d’un cheval pour assurer le transport, même dans des régions reculées du monde, pourrait devenir rédhibitoire. La plupart des marques ne demandent pas de certification végane et se contentent d’apposer leur propre label – sachant que toute affirmation mensongère peut engendrer des poursuites et s’assurer les foudres du Net.
Les ingrédients proscrits. Les produits végans excluent donc tous les ingrédients d’origine animale comme le lait et ses dérivés (acide lactique, caséine, petit lait, lactose, lactalbumine…), les oeufs et leurs dérivés (albumine, lécithine…), les produits de la ruche (miel, gelée royale, cire d’abeille, propolis…) De même ne peuvent être utilisés: la glycérine animale, l’élastine, le collagène, la lanoline (graisse de la laine de mouton), la gélatine, le colorant issu de cochenilles écrasées, le chitosane (agent épaississant provenant de carapaces de crustacés), la kératine, les nacres issues de perles, le squalène (huile du foie des requins)… Certaines formes d’acide hyaluronique obtenu à partir de crêtes de coq sont aussi bannies.
Cruelty free. Un produit cruelty free ainsi que chacun de ses composants ne peuvent être testés sur les animaux. Tous les acteurs de la cosmétique européens y sont contraints depuis 2009. Toutefois, de nombreuses griffes, surtout parce qu’elles commercialisent en Chine ou dans d’autres pays qui exigent encore, même partiellement, que des tests sur les animaux soient effectués, ne peuvent se dire cruelty free. Pour certains activistes, une marque qui n’y serait pas présente mais qui appartient à un groupe actif dans ces contrées est à bannir. Deux labels dominants: Cruelty Free délivré par Peta, l’autre par l’organisme Leaping Bunny.
Faire bouger la Chine
Pour notre expert, la certification ne sert donc plus qu’à sanctionner les sociétés qui ont décidé de commercialiser leurs produits sur le sol chinois où les tests sur animaux sont encore imposés. C’est le cas notamment de la marque française Caudalie qui, comme les groupes L’Oréal, LVMH ou Estée Lauder, a fait le choix régulièrement décrié sur les réseaux sociaux et sur des sites militants répertoriant les « bons » et les « mauvais » élèves – comme EthicalElefant.com, CrueltyFree.Peta.org ou encore SustainableJungle.com – de rester sur place et de faire pression sur le gouvernement chinois pour que les choses bougent.
« Chez Caudalie, depuis la création de la marque en 1995, nous utilisons des méthodes alternatives pour tester nos ingrédients et nos produits finis, explique Mathilde Thomas, cofondatrice. Dès 2006, nous avons rédigé une charte éthique où nous nous engageons à ne plus utiliser de matière première d’origine animale hormis le miel et la cire d’abeille que l’on ne retrouve plus d’ailleurs que dans trois de nos références. En Chine, nous sommes évidemment engagés pour l’abolition des tests sur animaux et notre philosophie est d’agir plutôt que de critiquer. C’est pourquoi nous soutenons financièrement l’association IIVS qui promeut sur place l’utilisation de méthodes alternatives. »
L’Oréal, qui se présente comme l’un des pionniers du changement, notamment grâce à Episkin, l’une des sociétés du groupe qui produit de la peau reconstruite, est aussi convaincue que sa présence sur place a permis de faire bouger les lignes. Depuis mai 2021, un grand pas en avant a d’ailleurs été franchi: tous les cosmétiques dits « ordinaires » – qui ne promettent donc pas une action spécifique – sont désormais exemptés. Qu’ils soient produits sur place ou importés. A charge pour les entreprises de fournir une évaluation de la sécurité des produits ainsi que des certificats de « bonnes pratiques de fabrication » délivrés par l’autorité régionale compétente dans laquelle ils sont situés. En revanche, les crèmes solaires, colorations et autres soins anti-âge, etc. restent encore dans le collimateur des autorités chinoises…
« L’union européenne grâce à sa réglementation plus restrictive continuera à user de son influence pour que les pratiques soient les mêmes au niveau mondial, poursuit Frédérick Warzée. Les tests alternatifs sont d’ailleurs beaucoup plus fiables que ceux qui proviennent de l’expérimentation animale qui comportent souvent des marges d’erreur énormes. C’est aussi un choix philosophique: lorsque l’on oeuvre dans le bien-être, il est complètement paradoxal d’infliger de la souffrance pour mettre un produit sur le marché. »
D’autres souffrances
Sur le bien-fondé du tout au naturel voire du tout végétal, notre cosmétologue est toutefois plus nuancé. « Quels que soient les ingrédients utilisés, la question de la souffrance au sens large est véritablement essentielle, plaide-t-il. Il existe d’ailleurs des marqueurs de souffrance végétale, mais celle-ci reste silencieuse. Et que dire de celle qui peut être engendrée par les conditions de production. Comme l’on s’interroge sur le fait d’utiliser des matières premières d’origine animale, on pourrait aussi bien se demander s’il est souhaitable de détourner des terres agricoles et des ressources alimentaires à des fins cosmétiques dans un monde qui fait face à la surpopulation. » La biologie de synthèse – souvent décriée par les adeptes du naturel – qui part de molécules existant dans la nature ou au sein d’organismes vivants et les reproduit en laboratoire pourrait bien devenir une partie de la solution.
Quelques produits végans
- Shampoing Nutriplenish hydratation légère
- Sérum-en-brume revitalisant au camélia rouge N°1
- Lotion corps Skin Food
- La Crème Premier Cru
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