Le rouge à lèvres fait sa révolution

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Entre textures solides ou liquides, finis mats ou brillants, les bouches ne savent plus où donner de la tête. Ces nouvelles formules, tout confort mais sans compromis sur la qualité des pigments, ont rendu au rouge à lèvres son pouvoir de séduction maximum. Décryptage d’un véritable phénomène de mode.

Il n’est pas si loin le temps où le coeur ne pouvait balancer qu’entre un bâton sensuel et un tube de gloss pour se maquiller les lèvres, le premier rimant avec couvrance, le second avec brillance. Du côté de la couleur, pas de risques non plus de s’emmêler les pinceaux : il y avait bien l’inoubliable fuchsia selon Saint Laurent et l’improbable Rouge Noir de la maison Chanel pour faire bouger les lignes mais tout cela restait dans les clous balisés des grandes « familles » de rouges, allant des bruns plutôt naturels – on ne parlait même pas de nude – aux bordeaux profonds en passant par l’orange et le rose dans tous ses états. Fidèle hier à son raisin comme à son parfum, la femme se joue désormais des textures et des teintes, osant même les superpositions et les effets de matière… pour le meilleur ou pour le pire.

Le rouge à lèvres fait sa révolution
© Lancôme

« On ne peut nier le fait que le rouge à lèvres connaît un vrai revival depuis quelques saisons, pointe Lisa Eldridge, directrice de la création maquillage chez Lancôme. Les immenses avancées de ces dernières années dans la science de la formulation y sont certainement pour beaucoup. Il n’y a aucune mesure entre les produits que je pouvais créer il y a dix ans et ce que l’on trouve aujourd’hui dans le commerce. Prenez les gloss, par exemple : ils ne sont plus lourds ni collants. La tenue aussi n’est plus synonyme d’inconfort. Le choix en termes de couleurs, de textures, est sans limite. » Et le succès, clairement au rendez-vous, comme en témoignent les résultats de la dernière étude Nielsen/Iris concernant le pôle lèvres en Europe dans les parfumeries sélectives : entre 2012 et 2015, le secteur a vu ses ventes dopées de 18 %. L’an dernier, il représentait à lui seul 17 % des produits de maquillage écoulés. Une croissance qui s’explique sans doute par la diversité de l’offre – mat ou brillant, solide façon stick, stylo ou crayon ou liquide en version gloss, encre ou huile, il y en a pour toutes les envies de fini et de ressenti, de plaisir d’application aussi – mais pas seulement puisque c’est encore toujours le bon vieux raisin, certes reformulé, qui tire son épingle du jeu. Ses ventes à lui ont crû de 26 % – celles des gloss classiques en revanche ont perdu 7 % – et sa part de marché, tous produits lèvres confondus, atteint les 70 %.

La valeur refuge

Le rouge à lèvres fait sa révolution
© L’Oréal Paris

Sa popularité jamais démentie vient donc une fois de plus conforter le désormais célèbre bien que très intuitif « lipstick index » de Leonard Lauder, l’homme d’affaires américain n’hésitant pas à prêter au rouge à lèvres une fonction de valeur refuge en temps de crise. « C’est à la fois un luxe permissif et abordable, qui a le pouvoir de booster votre moral, note Anne Carullo, Senior Vice-President en charge du développement des produits chez Estée Lauder. Il peut influencer la manière dont vous vous sentez, même en des temps difficiles, ce qui explique que les ventes restent fortes lorsque l’état général de l’économie devrait prédire le contraire. Ce segment a littéralement explosé ces dernières années et ne montre aucun signe de ralentissement. Plus que jamais, les femmes partagent de nouvelles façons sans cesse plus créatives de porter du rouge en toutes occasions. »

Considéré de plus en plus comme un accessoire de mode à part entière, il les accompagne au quotidien à l’instar de n’importe quelle pièce de leur dressing, parfois griffée créateur mais pas que. Le succès de labels plus accessibles comme NYX Cosmetics, Kiko ou H&M Beauty a permis l’émergence de couleurs plus aventureuses – on trouve du jaune, du bleu, voire du gris jusque chez Dior cette saison – tout en favorisant une certaine prise de risque sans se ruiner pour autant. Encouragée par la déferlante de tutos qui envahissent le Web, la génération des 18-35, aussi connue sous le nom de Millenials, a plutôt tendance à voir le maquillage comme un jeu, ce qui l’incite à oser les mélanges sans prise de tête.

Le rouge à lèvres fait sa révolution
© L’Oréal Paris

Selon une étude du site américain Influenster, plus de 50 % des jeunes femmes de cette tranche d’âge interrogées posséderaient au moins sept bâtons de rouges, voire même plus de dix pour 36 % d’entre elles. Comme pour leurs ongles il y a quelques années, celles que la Toile n’hésite pas à qualifier de « make-up junkies » s’adonnent désormais au « lip art » de manière totalement décomplexée, utilisant parfois cinq types de rouges différents sur une même bouche. Et même si ces pratiques un peu extrêmes sont loin d’être la norme, elles ont permis de désacraliser le port du rouge à lèvres.

L’accessoire accessible

« Nous avons tellement de textures et de couleurs à notre disposition qu’il est facile de trouver un rouge à lèvres pour n’importe quel moment de la journée et n’importe quelle occasion, souligne Inès Borgonjon, senior make-up artist chez M.A.C. En Belgique, la plupart des femmes préfèrent un maquillage naturel. Elles veulent être à leur avantage tout en ayant l’impression de ne rien avoir sur la peau. En revanche, elles n’ont rien contre un rouge à lèvres coloré ! C’est assez logique finalement. Si vous prenez la peine de vous maquiller le plus naturellement possible, vous n’aurez besoin de rien d’autre qu’une touche de rouge. » Un point de vue totalement partagé par Lisa Eldridge, qui n’hésite pas à comparer le coefficient fashion d’un joli stick à celui d’une pochette collector ou d’une spectaculaire paire de chaussures. « J’aime l’idée d’un beau rouge – surtout une couleur audacieuse – porté hors contexte, avec un jeans et un tee-shirt, un lundi matin par exemple. C’est vraiment le seul accessoire dont vous avez besoin dans ce cas. »

Le rouge à lèvres fait sa révolution
© Dior

A la manière du vernis qui vous « finissait » une tenue, le rouge propose à son tour des « must-haves » de saison, souvent dévoilés sur les podiums des défilés. Pour les grandes maisons, ce nouvel objet du désir prend des allures de bijou, de sac à main qui s’exhibe volontiers en public à la différence du flacon de laque cantonné à la salle de bains. Afin de mieux réinventer le bâton culte signé Dior, Peter Philips, directeur de la création et de l’image du maquillage ne s’est pas contenté d’en repenser la formule pour promettre 16 heures de tenue, il a même gravé le long du raisin le nom des quatre « it shades » – dont le célèbre 999 disponible en version mate – et propose des « rehausseurs de style », soit un noir rouge, un pourpre, un gris et un bleu à manier plutôt en appoint d’une autre teinte.

Le rouge à lèvres fait sa révolution
© sdp

Après avoir dédié l’entièreté de sa collection automne 2016 au rouge dans toutes ses nuances, Lucia Pica, fraîchement nommée Creative Designer pour le maquillage et la couleur chez Chanel, vient de sortir avec Rouge Allure Ink sa première « encre à lèvres » ultrafine sans effet de matière, pour un fini mat seconde peau. Chez Lancôme, vingt-cinq ans après le lancement de L’Absolu Rouge, Lisa Elridge a choisi de remettre à plat tout l’éventail coloriel et de l’étoffer pour arriver à proposer 86 nuances du tube indémodable. Depuis sa sortie en 2013, le très couture Le Rouge de Givenchy n’a cessé de faire l’objet d’éditions limitées parant son fourreau de cuir de motifs tantôt fleuris, tantôt peau de serpent. Des capots que les fans collectionnent et clipsent même sur les bâtons de l’assortiment classique. « Le rouge est vraiment devenu l’accessoire de mode le plus accessible aux femmes, insiste Nicolas Degennes, directeur artistique du maquillage Givenchy. Même sans parler d’argent, avoir dans son sac un bel objet avec un toucher un peu sensuel, cela vous donne la sensation d’être unique. Le fait d’en mettre ou de ne pas en mettre vous donne une stature dans la société. C’est un masque différent que l’on choisit de porter, une façon de se regarder dans le miroir, de se rassurer. C’est un jeu entre soi, son reflet et les autres. »

Une recette améliorée

Si la recette de base du rouge à lèvres – des cires, des beurres, des pigments – n’a pas fondamentalement changé. Les formules se sont complexifiées en incluant des actifs hydratants, des huiles, surtout dans les nouvelles textures liquides, voire même des polymères qui vont aider à fixer la couleur sur la peau tout en permettant au produit de mieux « suivre » le contour des lèvres en lui apportant de la souplesse. Du côté des applicateurs, la forme de l’embout mousse se veut de plus en plus anatomique. Chez Yves Saint Laurent, la pointe en forme de diamant de la version Vinyl Cream du désormais culte vernis à lèvres a été conçue pour dessiner un arc de Cupidon ultragraphique, tandis que sa surface plane invite à balayer la lèvre en partant des coins. Créé par les laboratoires Giorgio Armani Beauty, l’applicateur calligraphique du tout nouveau Lip Magnet permet de déposer la juste dose de matière grâce à son aplat texturé. Quant à la maison Lancôme, en lançant le premier « cushion » à lèvres capable de s’imbiber du cocktail d’huiles et d’infusion de pigments recomposé à chaque agitation de son Juicy Shaker, elle a changé à jamais la nature même des gloss de demain.

Le rouge à lèvres fait sa révolution
© SDP

De là à imaginer qu’à terme, le rouge « classique » puisse être menacé, il n’y a qu’un pas que Nicolas Degennes se garde bien de franchir. « Ces néo-gloss ont l’avantage d’offrir aux femmes des propositions visuelles un peu différentes, reconnaît-il. Mais rien ne sera jamais comparable à la sensualité, au confort extrême et à l’absolu plaisir de se retoucher avec un bâton de raisin. C’est pour cela que nous nous battons pour le réinventer constamment. » Et mieux lui conserver son indéfectible pouvoir de séduction.

La bouche selon Lisa Eldridge

Le rouge à lèvres fait sa révolution
© CUNEYT AKEROGLU FOR LANCOME / SDP / ISTOCKPHOTO

« Je suis loin d’avoir une approche dogmatique : je pense que les femmes doivent se laisser tenter par ce qui les rend heureuses. Si ça leur plaît de porter deux tons de rouges au quotidien, pourquoi pas ? La seule règle serait de toujours choisir une nuance qui illumine le visage. Il n’y a pas de meilleure recette pour commencer la journée lorsque l’on se sent fatiguée ! Il n’y a rien de plus moderne qu’un rouge éclatant sur un visage nu. A condition toutefois de corriger les défauts – en particulier les rougeurs – qui peuvent être accentués par le lipstick. Il suffit pour cela d’égaliser le teint. Le crayon à lèvres sera aussi votre meilleur ami… à condition d’en faire bon usage. Pour éviter un trait trop visible, je conseille toujours d’appliquer d’abord une fine couche de rouge et de la fixer avant de dessiner à l’aide du crayon de petits traits circulaires. Quant au gloss, je crois à son retour grâce aux formules à base d’huile qui sont capables d’apporter de l’éclat sans coller. Une touche de gloss va parfaire votre look : c’est jeune, frais et moderne. »

La bouche selon Nicolas Degennes

Le rouge à lèvres fait sa révolution
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« Je n’ai jamais cru à cette légende qui voulait que les femmes soient cantonnées à une seule nuance de rouge. Elles en ont toujours porté plusieurs mais ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est cet emballement pour la couleur, certainement boosté par tout ce que l’on peut voir sur la Toile. Derrière l’appellation lip art se cachent plusieurs notions. Si cela génère de la beauté – je pense à un contouring un peu plus foncé de l’extérieur des lèvres, même dans les noirs – pourquoi pas ? En revanche, dès que cela s’apparente davantage à du body painting, cela n’a plus rien de joli ni d’élégant. On est dans la performance artistique, plus dans le maquillage. C’est comme ces couleurs étranges que l’on voit apparaître un peu partout ! Les maisons devraient arrêter de faire du marketing pour recommencer à parler beauté, cela nous ferait du bien. Il n’y a rien de pire qu’un gris pour faire ressortir toutes les nuances de jaune de votre teint. Je n’ai qu’un mantra : restons belles ensemble ! »

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