Les poils des femmes, un sujet de société
Juliette Lenrouilly et Léa Taieb, deux jeunes journalistes françaises, ont décidé de mener l’enquête sur le poil féminin. Elles publient Parlons poil! Le corps des femmes sous contrôle, et explorent un sujet encore tabou aujourd’hui. Il est l’un des premiers livres sur la question.
À l’ère du glabre, sous l’injonction de l’épilation depuis la nuit des temps, le poil féminin vit-il une révolution? Après avoir recueilli plus de 2000 témoignages en réponse à leurs questionnaires publiés sur les réseaux sociaux, Juliette et Léa sont confortées dans l’idée que le poil est un sujet dont il faut parler. Dans leur ouvrage, elles reviennent sur l’histoire du poil, mais pas que. Au centre du livre, se trouve le témoignage de femmes, et l’expertise de nombreux spécialistes. Elles l’assument, leur écriture est engagée, mais pas militante. Leur démarche est bel et bien journalistique: elles encouragent leurs paires à la réflexion, et à savoir ce dont elles ont envie pour leur corps… et pour leurs poils. Rencontre.
Comment est née l’idée de l’écriture de Parlons poil! Le corps des femmes sous contrôle?
Léa: Nous sommes toutes les deux féministes, donc on se posait des questions sur le corps des femmes. Et le sujet de l’épilation est venu assez naturellement, car c’est une contrainte dans nos vies, une vraie charge mentale.
Juliette: Oui, aujourd’hui, l’épilation est une « norme », une injonction à laquelle la plus grande majorité des femmes obéissent. L’idée était d’écrire un livre pour démocratiser le savoir, qu’on parle poil, qu’on voit des poils en librairie et qu’on puisse tous en parler collectivement.
Et comment démocratiser le poil féminin?
Juliette: Plus on verra des poils, plus on trouvera ça naturel. C’est ce qui va nous déculpabiliser. Parce qu’au final, c’est plus naturel d’avoir des poils que de ne pas en avoir. C’est s’épiler qui devrait être une décision, et pas le contraire. On commence doucement à voir des poils dans les spots de marques antipoils comme Vénus ou Veet. C’est une révolution dans la publicité, car on passe d’une femme lisse à une femme naturelle, avec des poils, des cicatrices, et de la cellulite. Il commence à y avoir un changement dans les représentations. Il faut que les grandes marques normalisent le poil. Qu’il devienne un sujet comme un autre.
Léa: En fait, c’est ce que la génération des femmes Millennials demande aujourd’hui. Qu’on mette en scène des femmes normales, qui ont le pouvoir sur leurs corps et qui ne sont pas représentées comme des objets sexuels prêts à satisfaire le regard et le désir masculin.
Alors, il faut arrêter de s’épiler?
Léa: Non, nous n’avons pas écrit ce livre dans le but de remplacer une injonction par une autre. On ne dit pas qu’il faut passer de la norme du glabre à la norme du non-épilé. On appelle juste à réfléchir collectivement nos corps, à se les réapproprier, et à essayer de comprendre ce que l’on aime, et ce que l’on n’aime pas. On va essayer de se poser la question sans pour autant ressentir le poids de la société.
Le but n’est pas de remplacer une injonction par une autre
Vous dites que les femmes doivent se réapproprier leurs corps. Selon vous, elles n’en sont pas libres?
Léa: Dans les témoignages, ce qui a retenu notre attention, c’est que beaucoup de femmes disent qu’elles s’épilent pour se sentir bien, pour se sentir belle, désirable, et libre. Et finalement, collectivement, on ne se rend pas compte de pourquoi on s’épile. On a l’impression qu’on le fait pour soi, que c’est une décision personnelle, et qu’on n’a pas été influencée par la société. Alors qu’en fait, nous sommes nés dans une société qui nous a conditionnées à penser qu’il fallait s’épiler. Qu’une femme ne pouvait pas être femme si elle ne s’épilait pas. Le corps des femmes doit sans cesse être domestiqué, contraint.
Juliette: C’est exactement ça. C’est de penser qu’on fait les choses pour soi, alors que quelque part, on n’a pas le choix. Car une femme qui s’expose dans la rue avec des poils prend le risque d’être humiliée, discriminée, agressée dans sa vie intime comme dans l’espace public. La plupart des femmes ne sont pas conscientes qu’elles ont le choix.
Pourquoi une femme s’épile-t-elle?
Juliette: Il y a eu différentes périodes dans l’histoire. Certaines durant lesquelles les femmes ont eu des poils, d’autres durant lesquelles elles se sont épilées. Par exemple, en Grèce antique, en Egypte antique, ou en Rome antique, hommes et femmes s’épilaient le maillot. Et la façon de s’épiler montrait la classe sociale. Aux XVIIIe et XIXe siècles, par contre, les poils sont réapparus, car si l’on pouvait les voir, cela voulait dire qu’on s’approchait des parties intimes. Les poils étaient alors considérés comme quelque chose de « sexy ». En 1915, la première pub pour Gillette disait que c’était beaucoup plus propre de se raser sous les bras, c’était son argument de vente. Dans les années 80, il y a eu un regain de l’hygiénisme, avec l’épidémie du Sida où il fallait se surhumaniser. C’était inconscient, mais c’est une période où les corps étaient très lisses.
Léa: Et puis il y a aussi le porno qui s’est également bien démocratisé à ce moment-là, avec l’idée du sexe glabre comme étant le seul désirable, surtout pour les moins de 25 ans. Et le dictat du glabre tel qu’on le connaît aujourd’hui, c’est parce que plus les vêtements se sont échancrés, plus on s’est rasés. Plus une femme se découvre, plus elle s’épile. D’ailleurs, on voit bien dans les statistiques que les femmes s’épilent plus en été qu’en hiver.
À partir du moment où on appartient à une bulle féministe, on est beaucoup plus bienveillant envers la pilosité féminine. Mais si l’on fait partie de la société lambda, qui adore regarder des publicités stéréotypées et des corps surréalistes, on ne va pas vraiment être touché par cette révolution du poil.
Dans votre livre, vous apprenez la grande utilité des poils…
Léa: Oui, les poils nous sont très utiles. Les sourcils et les cils retiennent la sueur. Les poils sous les aisselles ont un rôle de dermo-régulateur, c’est-à-dire qu’ils permettent de réguler notre température quand on transpire. Les poils sur les bras et les jambes permettent de nous protéger des UV. Pour finir, les poils pubiens sont les plus précieux. Ils nous protègent contre les infections urinaires, vaginales, et contre les infections sexuellement transmissibles, comme les mycoses. Plus les femmes s’épilent intégralement, plus elles se rendent compte qu’elles font face à des problèmes d’irritations, d’infections… Les dermatologues expliquent aussi que se savonner le pubis entièrement nu est mauvais pour la peau.
Sur les réseaux sociaux, et plus frileusement dans les magazines féminins, on voit de plus en plus de célébrités et anonymes qui affichent fièrement leur corps poilu. Est-ce un véritable changement, ou une mode éphémère?
Juliette: C’est exactement ce qu’on a cherché à savoir en écrivant ce livre. À la fois, on se rendait compte qu’il y avait de plus en plus de poils partout, alors qu’on n’en avait jamais vu. Même en tant que femme. Et de l’autre côté, quand on regarde les statistiques, on ne s’est jamais autant épilé qu’aujourd’hui. En effet, il y a de plus en plus d’intégral, et de plus en plus jeune. Mais on peut quand même parler de révolution, parce que le dictat du glabre est tellement ancré en société, que dès qu’on le remet en question et qu’il est visibilisé, il y a vraiment un changement qui se fait dans les mentalités.
Léa: Le problème, c’est que pour le moment, le sujet ne parle qu’à une certaine partie de la population. À partir du moment où on appartient à une bulle féministe, on est beaucoup plus bienveillant envers la pilosité féminine. Mais si l’on fait partie de la société lambda, qui adore regarder des publicités stéréotypées et des corps surréalistes, on ne va pas vraiment être touché par cette révolution du poil. Par contre, le fait pour les femmes de laisser pousser leurs poils, ça provoque en quelque sorte un trouble dans le genre et ça bouscule les normes de genre. C’est-à-dire que l’idée de la binarité qui reposait sur la femme lisse et l’homme viril et poilu, est en train de s’effacer peu à peu.
Pour finir, quel message voulez-vous faire passer à travers ce livre?
Léa: Nous ne sommes pas militantes, nous sommes journalistes. Donc le premier but de ce livre est d’apporter un savoir sur un sujet tabou, et de faire comprendre aux femmes qu’elles ont la possibilité de choisir. Chacune fait comme elle veut. Mais au moins, la réflexion permet de prendre une décision active.
Juliette: Et aussi, que le poil n’est pas un sujet cosmétique. Certains pensent que parler de poil et d’épilation, c’est un sujet de magazines féminins. Mais pas du tout. C’est un sujet de sociologie qui parle du contrôle du corps des femmes, et des femmes qui ne sont pas libres. C’est un sujet primordial aujourd’hui, au moment où elles essayent progressivement de reprendre le contrôle de leur corps.
Par Pauline Lemaire
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