En tête à tête avec Angèle: « Vivre à Bruxelles me permet d’être dans une réalité à échelle humaine »

angele egerie parfum chanel
Anne-Françoise Moyson

Un flacon rond, une nuance violette, un parfum comme un talisman et une égérie que la terre entière appelle par son prénom. Angèle incarne le nouveau Chance Eau Splendide de Chanel. Et parce qu’elle ne fait jamais les choses à moitié, elle a aussi écrit les paroles et la musique du film de la campagne. Interview en tête-à-tête.

Ça a commencé comme un roman d’espionnage. Il avait fallu promettre de garder le secret, utiliser un nom de code pour ne pas risquer d’éventer le projet. On l’avait donc baptisé «Lucky A». On pouvait juste dire que Chanel s’apprêtait à lancer un nouveau parfum et qu’il serait incarné par une égérie avec majuscule. Pour le reste, motus.

On avait ensuite attendu le feu vert pour un rendez-vous parisien au sommet, place Vendôme, au Ritz, Suite 230. On avait patienté dans ce même lobby que Mademoiselle Chanel fréquentait au siècle dernier – elle avait pris ses quartiers dans ce palace qui jouxte les ateliers de la rue Cambon.
Et puis soudain, on nous avait prié de monter au deuxième étage. L’égérie nous attendait. La porte s’était ouverte sur Angèle qui souriait, solaire, en jeans et petit top blanc griffé, Pepete sur les talons poussant quelques aboiement aigus – on peut compter sur la petite chienne pour veiller sur sa maîtresse. Sur la cheminée, des flacons du parfum Chance Eau Splendide et, par les fenêtres, la vie parisienne en mode Fashion Week.

‘Le succès? J’en ai moins le vertige aujourd’hui car je connais les règles. J’ai un peu compris le jeu.’

D’emblée, on s’est remémoré une première fois, une interview et un shooting réalisés ensemble pour Le Vif Weekend, en 2018. «C’est vieux», murmure Angèle… Il y a à peine plus de six ans mais cela semble une éternité. C’était l’époque de ses débuts. Elle disait: «Ma vie vient de commencer», elle avait 22 ans. Elle n’était pourtant déjà plus tout à fait la jeune fille qui chantait dans sa chambre en s’accompagnant au piano et qui postait ses mots et sa musique sur son compte Instagram, comme des bouteilles à la mer, sans trop y croire. Son album Brol n’était pas encore sorti ni le suivant, Nonante-Cinq, concrétisé sur scène par une tournée XXL. Bref, elle n’était pas encore l’artiste talentueuse, bosseuse, engagée que l’on connaît aujourd’hui. Elle n’était pas encore sereine, si reine, la star planétaire qui enflamme la cérémonie de clôture des J.O. de Paris en mondovision et qui additionne élégamment les couronnes de laurier.

Dans cette Suite 230, elle s’installe dans une bergère moelleuse pour raconter deux ou trois choses qu’elle sait d’elle et d’Angèle. Elle parle de la création de la chanson A little more qui emporte le film de la campagne de Chance Eau Splendide, du tournage sous la direction de Jean-Pierre Jeunet (La Cité des enfants perdus, Alien, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain…), de l’impérieuse nécessité de revenir vivre le plus souvent possible à Bruxelles, d’un troisième album à venir, sans s’imposer d’échéance. Et tandis qu’avec un charme désarmant et une intelligence vive, Angèle se confie – ses doutes, son armure abandonnée, sa joie –, Pepete rêve en ronflant sur le canapé.

Avez-vous parfois le vertige devant l’ampleur de votre succès?

Moins maintenant parce que j’ai les épaules aujourd’hui que je n’avais pas avant. J’ai eu le vertige, à certains moments… surtout quand ça a dépassé le stade des premières parties, des premiers singles et que c’est devenu disque de diamant en moins d’un an. C’était bizarre parce que c’était un moment où on célébrait un succès et en même temps, le succès, je le vivais, je n’avais pas le recul. Je ne sais pas si j’étais vraiment prête. Enfin, j’étais prête pour la scène et pour faire de la musique. Mais étais-je prête pour être connue? Pour incarner des choses et des idées? Pour que des gens m’acclament? Non. Aujourd’hui, j’ai moins le vertige parce que je connais aussi les règles. J’ai un peu compris le jeu et en fait, ce n’est pas si compliqué de vivre avec. Il faut juste comprendre comment s’habituer à la célébrité et à ce tourbillon. Au bout d’un moment, on peut le mettre à distance.

Vous souvenez-vous des émotions qui vous traversaient quand vous débutiez avec des micro concerts à Bruxelles?

Pas vraiment. Je me souviens bien plus des émotions que j’ai vécues avec mon premier single. Avant ça, c’est un peu nébuleux. Et puis c’était très enfantin, la démarche n’était pas totalement affirmée. Je n’assumais pas encore pleinement que je voulais être chanteuse. Je n’avais pas encore ce feu qui s’est allumé en moi quand j’ai commencé les premières parties de Damso. C’était aussi dur qu’excitant. C’est là que j’ai compris que ce qui me faisait vibrer, c’était d’avoir des défis. Ce n’était vraiment pas simple mais c’était impossible que je baisse les bras parce que le public ne m’accueillait pas comme je le désirais… J’ai donc plutôt le souvenir de ces moments-là, de cette grande fragilité – j’étais très jeune – et en même temps de ce feu en moi. Je me disais: «Ah, ils ne veulent pas de moi? Eh bien, ils vont m’entendre…» Et c’était génial parce qu’il y avait un jeu avec le public: au début, on te hue et puis au bout de quelques minutes on t’écoute et à la fin, on t’applaudit… Il fallait se mettre dans un certain mood évidemment, se mettre en avant en tant qu’artiste et montrer autant de soi… C’est prendre une grande place et il faut pouvoir l’assumer. C’est pour ça que j’incarne ce que je fais, la musique, les images, les chansons qui ont du sens.

Pour ce Chance Eau Splendide, vous avez tourné avec le réalisateur Jean-Pierre Jeunet dans des décors de fête foraine. Quelles images en gardez-vous?

C’était beau de voir œuvrer Jean-Pierre Jeunet, il travaille avec les mêmes équipes depuis toujours, ce qui me parle puisque moi aussi. Il peut être assez directif mais en même temps, il y avait un truc très enfantin… Il construit des maquettes avant le tournage, il y insère des petites poupées et il filme le tout. De sorte qu’il prépare tout à l’avance. Sur le plateau, il te dit exactement où tu te mets, où tu regardes. Il cadre tellement tout que quand je montais sur le set, je ne pouvais que m’amuser. Avoir la chance de travailler avec un pro comme lui, qui sait ce qu’il veut et qui s’en donne la possibilité, alors oui, évidemment, c’est génial. Tout est pensé au millimètre près. On pourrait croire que c’est figé mais au contraire, cela permet d’avoir une grande liberté. Et c’est exactement comme ça que j’ai toujours travaillé.

Vous n’êtes pas seulement égérie, vous avez aussi composé la chanson du film…

Je l’ai demandé, parce que j’en avais très envie, je trouvais que ça faisait sens… Je ne pouvais pas incarner un sujet pareil – la chance et comment la saisir – sans justement saisir ma chance de faire la musique. Et mon idée a été tout de suite acceptée et Jean-Pierre Jeunet en était le premier ravi. J’ai tout travaillé seule, la composition, le texte, la production. Il n’y avait personne d’autre que moi qui pouvait lui envoyer le fichier. Je sentais qu’il ne voulait pas me brusquer mais à un moment il me dit: «Maintenant, il va falloir qu’on soit technique. Il ne faut pas que tu le prennes mal si je te demande de raccourcir de trois secondes. Je vais te parler comme je parle à mes musiciens qui font mes films. Ça te va?» Evidemment que cela m’allait! C’était une expérience en plus pour moi.

Est-ce différent d’écrire une chanson pour un album et une chanson de 30 secondes pour un film publicitaire?

C’est hyper différent parce qu’il y a un cadre. Quand j’écris mes chansons, je n’en ai aucun. J’écris non pas pour faire un album mais pour faire de la musique et puis après cela se construit. Là, il y avait un cadre et il y avait une demande: il fallait que ce soit joyeux. J’avais comme référence des chansons d’ABBA, notamment Take a Chance. J’ai créé une structure particulière aux 30 secondes, c’était nouveau pour moi. Et c’était excitant à faire. J’ai noté des phrases très directes. Dans le texte, je dis juste en français: «J’y crois encore» parce que je trouve ça beau d’ouvrir là-dessus. Mais le reste, c’est de l’anglais. Et cela parle de moi, de suivre ses rêves…

Dans «J’y crois encore», il y a une nuance avec le «encore»…

Parce que quand on tente sa chance, on n’y arrive pas toujours du premier coup. Il faut parfois plusieurs essais. Et moi j’y crois encore parce que si je n’ai pas réussi hier, peut-être que je réussirai demain.

Cela peut-il servir de modèle?

Je crois au rôle de modèle parce que moi, j’en ai eu. Il y a des artistes qui sont inspirants et que tu as envie de suivre.

En 2018, vous m’aviez dressé la liste de vos modèles. Il y avait en tête Beyoncé… Vos préférences ont-elles évolué?

Forcément, même si Beyoncé reste un modèle. Il y a aussi d’autres artistes, comme Christine and the Queens, que j’ai beaucoup écoutée… Aujourd’hui, j’ai encore des modèles, mais ce sont presque mes contemporains, c’est marrant. Je trouve que Rosalia et Charli XCX ont montré qu’elles pouvaient être hors format et être maître de ce qu’elles font. Comme elles, j’ai toujours refusé de manquer de liberté. J’ai pris des décisions qui pouvaient être risquées mais j’ai vraiment choisi chaque personne avec qui je travaille… C’est en cela que j’ai saisi ma chance.

C’est assez phénoménal chez vous, cette façon de savoir où vous voulez aller. Est-ce instinctif?

Si je commence à trop intellectualiser, je crois que je peux me perdre. Il faut avoir une base solide mais il faut aussi pouvoir suivre ce qu’on a dans les tripes. D’ailleurs, je trouve que si on prend une décision avec l’intuition et que l’on se trompe, on l’aura fait pour les bonnes raisons.

Comment composez-vous?

C’est d’abord toujours toute seule. C’est assez solitaire et c’est ce que je préfère. Pour cette chanson-là en particulier, j’étais allée à New York pour écrire, mais en réalité, c’était surtout pour vivre des choses…

Vous aviez alors confié que vous vouliez simplement «redescendre sur terre et remplir votre frigo»…

Oui et j’étais dans une vie totalement de kiff: marcher dans les rues et ne pas être reconnue, ne pas penser au travail non plus… C’est à ce moment-là que j’ai écrit A little more. J’avais des mots-clés, il y avait une grille d’accords que j’avais envie d’utiliser. Je me suis mise au piano, j’ai commencé à écrire, puis sur l’ordi. C’est un processus solitaire.

‘Ce n’est pas rien quand même de demander à Chanel de créer la chanson de la campagne. C’était couillu. ‘

Et puis Tristan Salvati, mon producteur, comme d’habitude, est mon acolyte pour l’enregistrement. Quand j’y pense, ce n’est pas rien quand même de demander à Chanel de créer la chanson de la campagne… Mais j’avais vraiment envie de l’incarner à 100%. Et j’avais aussi envie de me mettre à cet exercice-là. J’avoue, je l’ai fait en fonçant, comme d’habitude. Et puis après, quand on était sur le set, qu’on filmait, que c’était ma petite démo que j’avais enregistrée chez moi qui tournait et que du coup toute l’équipe de tournage pouvait l’entendre, je me suis dit: «Ah quand même, j’ai fait ça… Putain, c’était couillu.»

Etes-vous critique par rapport à votre travail?

J’ai du mal à me dire que c’est bien. C’est différent dans le cas d’une collaboration, quand c’est entre les mains des autres et de gens aussi expérimentés que Chanel, Jean-Pierre Jeunet et Steven Meisel qui a pris les photos… J’étais avec des pointures et donc à ce moment-là, on peut se laisser aller. C’est plus simple que lorsqu’il s’agit de mes projets. Néanmoins, je reste critique, quoi qu’il arrive. Parfois, je sais que je peux me faire confiance et que la satisfaction viendra peut-être plus tard. Quand cela sort, c’est trop de pression. L’avantage, avec Chance, c’est que j’ai suffisamment de recul et quand je regarde la vidéo, j’en suis hyper contente. Même si c’était seulement sur mon ordinateur. Je ne l’ai pas encore vue à la télé, par exemple, et ça, ça va être quelque chose.

Est-ce facile d’être Angèle, tendue dans un tel effort de travail, d’exigence?

C’est cela qui me rassure. La rigueur, c’est une manière pour moi d’avoir le contrôle… Ce qui est compliqué, c’est quand on se prend la tête pour des choses qui n’en valent pas la peine. Mais quand c’est pour des volontés artistiques, c’est génial.

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La dernière fois que vous avez pleuré?

Si c’est de joie, aujourd’hui. Ça m’arrive souvent… il suffit que je chante «bon anniversaire» à quelqu’un ou que je parle de Sylvie (NDLR: Sylvie Farr, sa manageuse). Tout à l’heure, je parlais d’elle et je me disais que dans ma vie, j’ai vraiment eu des moments de chance. Toutes les deux, en venant de Linkebeek et de Beersel, on s’est pris la main en mode allons-y, alors qu’on n’avait pas les codes de cette industrie-là… Mes parents avaient été des artistes inspirants. Mais ils n’avaient pas les ressources pour m’emmener là où on voulait aller.

Que referiez-vous autrement?

Je ferais tout pareil, même les erreurs. Parce que c’est ce qui m’a amenée à être qui je suis. J’ai regretté de m’être coupé les cheveux très courts après la tournée. Toute cette armure inconsciente que je m’étais créée: être une chanteuse, sur scène, avoir des longs cheveux blonds et pouvoir jouer avec. Et soudain, je n’avais plus cette armure, j’avais l’impression d’être toute nue. Et c’était hyper dur. Surtout que c’était une période où j’avais perdu ma grand-mère, la tournée s’était terminée et en un coup, je me demandais quel était le sens de ma vie.

Et puis je me suis dit que je ne pouvais pas questionner le sens de ma vie juste parce que je m’étais coupé les cheveux. J’ai compris que je l’avais fait pour une raison, j’avais besoin de me désarmer… Et à partir de là, j’ai pu me reconstruire, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas toujours me cacher derrière l’artiste sur scène à la longue chevelure. Si j’avais porté tout de suite le carré que tout le monde a adoré aux J.O., je ne l’aurais pas incarné de la même manière. Et je n’aurais pas déambulé lors de la cérémonie de clôture avec la même assurance. Parce que cette assurance, je l’ai acquise. Je pense qu’on incarne les choses quand on s’est posé les bonnes questions. Et pour ça, il faut se prendre des petits murs.

Quand vous rentrez à Bruxelles, cela ne vous semble pas tout gris, tout calme?

Non, c’est vital pour moi. C’est une chance d’être née dans une ville qui n’est pas grandiose, parce qu’à Paris ou New York, ça ne s’arrête jamais, on peut très vite y être sous pression. Vivre à Bruxelles me permet d’être dans une réalité à échelle humaine.

Quand vous serez une petite vieille, comment serez-vous?

Pas sûr que je serai une petite vieille, je serai plutôt une grande vieille!

Vous y pensez parfois?

Oui. Et j’espère que je pourrai regarder en arrière en me disant que j’ai vécu des belles choses, que j’ai aimé, que j’ai créé. Et que tout n’a pas toujours tourné autour de mon image et de moi mais qu’il fut aussi question de création.

Angèle

Elle naît le 3 décembre 1995 à Bruxelles, dans une famille d’artistes – sa mère, Laurence Bibot, est comédienne, son père, Marka, chanteur, et son grand frère, Roméo Elvis, rappeur. Elle grandit à Linkebeek, apprend très tôt le piano, et étudie le jazz à Anvers.

Dès 2015, elle partage sur les réseaux sociaux des reprises et ses propres compositions.
En octobre 2017, elle sort son premier single, La loi de Murphy, qui fait 10 millions de vues.
En janvier 2018, elle réitère son succès avec Je veux tes yeux. Elle enchaîne les concerts, chante aux côtés de Damso et double ses chansons de clips qui font mouche.

Brol, son premier album, sort en octobre. En moins d’un an il sera disque de diamant.
Avec Balance ton quoi, Angèle devient la porte-parole de toute une génération de féministes.

Depuis 2020, Angèle nourrit une amitié avec la maison Chanel, avec une première campagne make-up.

Fin 2021, elle sort son album Nonante-cinq.

Elle chante pour la cérémonie des J.O. de Paris 2024.

Le parfum

«Chance Eau Splendide est un parfum lumineux, spontané et captivant», prévient Olivier Polge, le parfumeur-créateur des parfums Chanel. Le nouveau féminin de la maison est comme une «déclaration de foi» au sillage fleuri-fruité. Un accord de framboise aux facettes de fruits croquants, de rose et de violette ouvre le bal. Le cœur de géranium rosat rappelle les champs de Grasse que Chanel cultive avec soin. Le cèdre, les notes de muscs blancs, une touche d’iris poudrée prolongent la tenue de cette fragrance vibrante. Le violet est la couleur «de la féerie, de la légèreté teintée de mystère et de noblesse». Pour l’incarner, Angèle, chanteuse, autrice-compositrice, actrice, Belge, Bruxelloise de 29 ans. On la sait amie de Chanel depuis 2020 quand, au moment de la sortie de Brol, elle avait prêté son visage pour la campagne de la collection yeux. La voilà aujourd’hui qui chante et danse devant la caméra de Jean-Pierre Jeunet, qui pose pour le photographe Steven Meisel et qui partage ses réflexions sur la chance qu’il faut apprendre à saisir.

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