Narcissique, anxieux, borderline, dépressif: comment mieux vivre avec les personnalités difficiles qui partagent nos vies

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Aurélie Wehrlin Journaliste

Un conjoint anxieux, une mère dépressive, un boss narcissique… qui n’a jamais eu à composer personnellement ou professionnellement avec une personnalité difficile? Certain·e·s d’entre nous de se sentir trop dépendant, un peu borderline, ou un poil paranoïaque. Trouver les mots, les attitudes pour les gérer au mieux, les comprendre, se comprendre, pour mieux vivre. Entretien avec François Lelord psychiatre et coauteur avec Christophe André d’un « manuel » pour assouplir nos rapports aux autres.

Sorti originellement en 1996, Les personnalités difficiles des psychiatres et psychothérapeutes François Lelord et Christophe André sort dans sa version 2021. Car en 25 ans, le monde a changé, c’est peu de le dire – apparition des réseaux sociaux, hypermondialisation, dérèglement climatique… – ce qui n’aura pas manqué d’avoir un impact sur certains aspects de nos personnalités, et peut-être avec plus de puissance sur les personnalités dites difficiles. Avec cette nouvelle édition, le duo offre un outil pédagogique et pratique pour vivre mieux nos interactions sociales, qu’elles soient au travail, dans la vie de couple, de famille, et ailleurs.

Il y ont recensé et analysé 12 types de personnalités difficiles, et quelques autres plus succintenement en bonus. Aux personnalités narcissique, anxieuses, passives agressives, évitantes, histrioniques, obsessionnelles, schizoïdes, dépressives, dépendantes, s’ajoutent deux nouveaux profils, à savoir les borderline et les psychopathiques, brossant au final un large panorama des individus.

La marque de fabrique de ce duo de psys, auteurs de plusieurs ouvrages à quatre mains : un fond scientifique très solide et étayé, et un style très abordable, voire divertissant. Ainsi, pour chacun de ces types de personnalités, ils sont partis d’un témoignage d’une relation avec l’une de ces personnalités, pour en décrypter les différents aspects, afin de comprendre ce qui se joue dans ces comportements. Forts de ces observations, ils donnent aux lecteurs des clés très concrètes – « à faire » et « à ne pas faire » afin de mieux gérer au quotidien ces personnalités qui nous donnent du fil à retordre.

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À quoi sert l’anxiété? Pourquoi devient-on évitant ? Comment ne pas devenir paranoïaque soi-même face à une personnalité paranoïaque? Comment le narcissisme rend vulnérable? Autant de questions que l’on peut se poser quand on côtoie des personnes difficiles, et auxquelles Lelord et André se proposent de répondre.

Pour illustrer leur propos, ils livrent une petite prescription culturelle sur le type de personnalité en question, afin d’en faire la démonstration par l’incarnation. Ce qui a aussi la vertu de montrer que ce type de personnalités offre aussi le terreau à la création artistique, que ce soit en littérature ou au cinéma.

Enfin, parce qu’une petite introspection n’est jamais malvenue pour adoucir le quotidien de son entourage, à chaque fin de chapitre les auteurs invitent le lecteur à répondre à un petit questionnaire pour cerner sa propre personnalité, et peut-être trouver des réponses à ses questions, pour mieux vivre avec soi. D’autant qu’en période de stress, les traits de personnalité ont tendance à se raffermir. Ce questionnaire peut aussi permettre une prise de conscience. Et peut-être même aboutir à vouloir se faire aider. François Lelord de confier : « Récemment, j’ai croisé quelqu’un qui m’a avoué avoir réaliser cocher toutes les cases du borderline. Mais, comme jusqu’à présent sa vie était plutôt bien adaptée à sa personnalité, elle n’en avait pas vraiment conscience. » Entretien.

Se sentir normal, ne pas se reconnaître dans ces catégories est-ce plutôt bon signe ou au contraire inquiétant ?

Ne pas se reconnaître dans ces profils est plutôt bon signe. Il existe trois degrés dans les traits de caractère. Il y a les personnalités pathologiques, dont les traits de caractère sont tellement intenses et rigides que les gens ont des vies difficiles, se la rendent difficile ou la rendent difficile aux autres. A l’autre bout du spectre on trouve les personnalités qui sont dans la normale, même si certains traits de caractère ressortent, qu’elles sont plus ou moins anxieuses, méfiantes, plus ou moins joyeuses ou tristounettes, mais qu’on ne peut pas encore ranger dans une catégorie de personnalités difficiles.

Ces personnes, dites normales, représentent quand même environ 80% de la population. Avec mon confère Christophe André, (coauteur de l’ouvrage) on a choisi de s’intéresser à la catégorie intermédiaire, celle des personnalités difficiles, qui peuvent mener une vie professionnelle et personnelle, mais avec difficultés, en fournissant des efforts ou demandant à leur entourage d’en fournir, parce qu’elles ont un trait de personnalités un peu trop intense et surtout un peu trop rigide, qui font qu’elles ne s’adaptent pas selon les situations.

Mais ces personnalités difficiles que vous décrivez dans votre livre sont-elles capables – du fait même de cette caractéristique – à s’identifier comme telles ?

Certains de ces troubles sont ce qu’on qualifie en psychiatrie, d’égodystoniques. C’est-à-dire que vous êtes conscients de votre problème et que vous en souffrez. C’est le cas des personnalités anxieuses, dépendantes, dépressives, évitantes, qui ont conscience d’avoir un problème. C’est le cas aussi des borderline qui a certains moments peuvent avoir conscience que le problème ne vient pas seulement des autres. Même si ça n’est jamais vraiment net, tranché, d’autres personnalités ont moins conscience de ce qu’elles sont.

C’est le cas des obsessionnelles, des paranoïaques ou les histrioniques, qui ont souvent moins conscience d’être victime d’un trouble. Les narcissiques également. Ils se vivent supérieurs et estiment tout naturellement qu’ils méritent plus que les autres. « Où est le problème dans tout ça » se disent-ils? De leur côté, les psychopathes trouvent normal de faire ce qui leur plait, et de la même manière, n’y voient pas de problème. Ce type de personnalités n’a en général pas ou peu conscience de son trouble. Même s’il leur arrive d’avoir des éclairs de conscience sur leur comportement qui va parfois un peu trop loin. Mais le retour sur soi n’est pas le propre de ces personnalités.

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D’après votre expérience, quel est le profil le plus répandu ?

Tout dépend où on place le seuil. Les statistiques existent véritablement pour les personnes atteintes de troubles de la personnalité, qui sont donc au stade au-delà donc des personnalités difficiles. Mais, de ce que j’observe, les personnalités anxieuses et dépressives sont les plus représentées. Ce trait de personnalité peut aussi souvent être associé à un autre : on peut être dépendant et dépressif ou histrionique et anxieux par exemple.

Les évitants et les dépendants sont par nature fragiles, ils n’ont pas confiance en eux et sont prêts à tout pour ne pas se faire abandonner. Les premiers craignent la critique et le contact avec les autres. Comme les anxieux et les dépressifs, en général ils souffrent, et ont conscience que ça vient en bonne partie d’eux.

Évoquer, décrire ces troubles permet aux gens de prendre conscience que ce dont ils souffrent est un trouble, et non juste un problème de volonté. Que d’autres gens en souffrent également. Et qu’il existe des traitements et que l’on peut les aider.

Quant au borderline, il a davantage cette conscience de ce qu’il est depuis qu’on en parle davantage publiquement. Il y a 20 ans, c’était encore un trouble peu connu, peu diagnostiqué, peu décrit. Il y a eu pas mal d’articles, de livres, des biographies, il existe même désormais des associations de personnes borderline. Tout ça permet de se reconnaitre, de se dire « Ce que j’ai n’est pas propre à moi, d’autres en souffrent aussi ». Et ça fait beaucoup de bien.

C’est ce qui s’est passé avec la boulimie il y a vingt ou trente ans, quand on a commencé à en parler. Évoquer, décrire publiquement ces troubles permet justement aux gens de prendre conscience que ce dont ils souffrent est un trouble, et non juste un problème de volonté. Que ce trouble a un nom. Que d’autres gens en souffrent également. Mais aussi qu’il existe des traitements et que l’on peut les aider. Tout ça leur permet d’aller déjà un peu mieux.

Remarque-t-on une tendance actuellement dans ce panorama de profils psychologiques ?

Trois phénomènes interagissent pour expliquer une tendance généralisée au narcissisme. C’est avéré par les études, en moyenne, les gens deviennent de plus en plus narcissiques. Les mesures sont plus élevées qu’il y a 20 ou 30 ans. Sans doute parce que, comme on l’évoque dans le livre, l’éducation est depuis quelques années, très centrée sur l’épanouissement de l’enfant, sa valorisation. Il ne faut pas le brimer ou ni le décourager. L’enfant est désormais au centre de la famille et son bien-être est capital pour celle-ci.

Cette nouvelle appréhension est un bienfait déjà pour tous les enfants très voire trop sensibles, pas ou peu sûrs d’eux ou anxieux. Ils sont encouragés à s’épanouir, et sont dès lors moins écrasés que dans une éducation traditionnelle. Mais évidemment, ceux qui avaient tendance à se vivre comme des rois, vont développer cette vision du monde. C’est le sujet étudié par mon confrère Didier Pleux dans son ouvrage L’enfant roi.

Lire aussi: Culte de « l’enfant-roi »: les conséquences positives et négatives

On peut penser qu’il y a une augmentation du narcissisme parce qu’il y a un changement de valeurs. On mise désormais plus souvent sur l’épanouissement personnel plutôt que le devoir ou le respect de la tradition. Ensuite, on vit dans une société qui devient de plus en plus compétitive.

On observe une « épidémie de narcissisme ». Sans doute parce que l’éducation est depuis quelques années, très centrée sur l’épanouissement de l’enfant

Dans les 30 Glorieuses, en travaillant bien, chacun était assuré d’accéder à une carrière professionnelle satisfaisante. C’est aujourd’hui plus compliqué maintenant, la compétition est plus rude. Et dans la mesure où il y a beaucoup de compétition, on a tout intérêt à être bien déterminé à accéder au pouvoir. Il faut être plus qu’un bon travailleur : il faut avoir de l’ambition. Et là, les narcissiques sont avantagés, parce qu’ils ont de par leur personnalité, plus d’envie de gagner sur les autres, ils sont plus compétitifs que les autres. Pour ces différentes raisons, on observe une « épidémie de narcissisme », avérée par études qui établissent une forte augmentation des scores de narcissisme.

Vous évoquez donc le cas des enfants baignés dans une culture de l’estime de soi. Comment ne pas tomber dans ce travers, et développer un narcissisme surdimensionné?

Théoriquement, l’éducation idéale – celle que personne n’est capable de donner ! – serait celle qui serait flexible et s’adapterait à l’enfant, à son tempérament. Certains enfants auront besoin d’être encouragés, rassurés, valorisés, tandis qu’à d’autres on devra apprendre à respecter les règles, contrôler leurs actions, faire plus attention aux autres.

Avoir l’un de ces types de personnalités difficiles est-il profitable, bénéfique dans certaines situations, ou dans certaines professions ?

Oui, tant que ça n’est pas excessif. Par exemple, être obsessionnel peut être un avantage dans toutes les fonctions exigeant d’être exécutées à la perfection. Personnellement je préfère monter dans un avion qui a été conçu et fabriqué par une équipe dans laquelle où trouverait un obsessionnel. Dans des métiers où l’on a à faire avec la criminalité, la délinquance, présenter quelques traits paranoïaques de méfiance, de dureté peut s’avérer profitable. Avoir quelques traits histrioniques peut aider dans toutes les professions où l’on est face à un public. On est nourri par l’attention de celui-ci, qui va vous donner de l’énergie.

Les narcissiques eux cherchent l’admiration et la soumission. Il faut reconnaitre sa supériorité, l’accepter et s’y soumettre. Ainsi certains narcissiques n’ont même pas besoin de compliments.

Être histrionique va vous permettre de vous sentir bien dans des situations où il faut plaire, séduire, convaincre. A l’inverse, si vous êtes schizoïde, avoir face à vous des gens contents ne vous rendra pas heureux. Ce type de personnalités iraient vers des activités qui ne demandent pas trop d’implications sociales. Ils se nourrissent d’eux-mêmes, de leur monde intérieur. Ce type de profil se retrouve beaucoup dans les métiers d’experts, ou encore dans la recherche. On trouve aussi certains artistes aussi, très tournés vers leur monde intérieur.

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Quid des narcissiques ? Peuvent-ils trouver leur compte dans les mêmes fonctions que les histrioniques?

C’est un peu différent : les histrioniques cherchent l’attention, ils cherchent à charmer. Les narcissiques eux cherchent l’admiration et la soumission. Il faut reconnaitre sa supériorité, l’accepter et s’y soumettre. Ainsi certains narcissiques n’ont même pas besoin de compliments. D’autres, plus fragiles, ont quand même encore besoin de compliments d’approbation. Et supporteront très mal la critique, et l’absence d’enthousiasme.

Des traits narcissiques pourraient donc être profitables aux personnalités politiques, de direction par exemple, alors …

Pour être un leader, ce n’est effectivement pas mal d’avoir quelques traits narcissiques. Dans la mesure où il faut être certain qu’on mérite cette place, qu’on a raison de briguer ce poste parce qu’on se sent supérieur aux autres. Parfois ça aide dans la compétition à franchir la ligne jaune, en se disant « Oui mais moi je peux le faire, je mérite de ne pas suivre les règles imposées à tout le monde ». Mais le dirigeant narcissique court aussi le risque de se surestimer et de ne pas tenir compte des autres, ce qui peut le mener à l’échec.

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