Le languishing, ou quand les jours passent et qu’on se lasse

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Stagiaire

Les jours se suivent et se ressemblent. On se sent mou, sans réel but. On ne va ni bien, ni mal. On va. Perte d’objectif, de motivation. En recherche de sens. Si en lisant ces quelques lignes, vous vous reconnaissez, c’est que vous souffrez du languishing. Explication avec la professeure Anne-Marie Etienne.

Anne-Marie Etienne, professeure ordinaire à la faculté de psychologie, logopédie et sciences de l’éducation de l’université de Liège et psychologue clinicienne formée aux thérapies comportementales et cognitives, nous décrypte ce phénomène qui, avec la Covid, concerne une frange de plus en plus importante de la population. Elle nous explique ce sentiment mais nous donne surtout des pistes pour s’en sortir.

C’est quoi le languishing ?

Le languishing, qu’on pourrait traduire par  » se languir « , se rapproche assez fort du concept de l’ennui. Je dirais juste que l’ennui, lui, se rapporte à un domaine précis, ou à une chose. Je m’ennuie au travail par exemple. Ou faire le ménage m’ennuie. C’est quelque chose de précis. Le languishing est quelque chose de plus diffus. Et de plus complexe à définir. C’est un sentiment d’être sans but, que tout est plat. C’est problématique parce que cela envahit plusieurs domaines. Ça peut affecter le sommeil de la personne ou sa performance au travail par exemple. Mais ce phénomène ne revêt pas un caractère pathologique, à ce stade.

Cela touche qui ?

Tout le monde peut être touché, même si certains vous diront qu’ils n’ont rien. Il faut cependant distinguer trois catégories. Il y a ceux qui vont très bien, et qui malgré la situation sanitaire ont su s’adapter et rebondir ; ceux qui malheureusement souffrent de dépression ou ont une santé mentale plus fragile, et la situation actuelle n’aide pas. Et puis, il y a cet entre-deux. Cette zone grise de personnes qui ne vont ni bien, ni mal. Et c’est souvent là que ce phénomène peut être observé.

La languishing, c’est un sentiment d’être sans but, que tout est plat

Certaines catégories de personnes sont-elles plus touchées ?

Ce sont plutôt les jeunes adultes qui y sont davantage confrontés. Dans le sens où au niveau du parcours de vie et du processus de construction d’une personne, plus on avance, plus on sait vers quoi on tend, en quoi consiste notre bien-être, etc. Or pour les jeunes, qui se construisent par rapport à l’autre, ils n’ont pas cette capacité de mettre en place des stratégies d’adaptation. C’est d’ailleurs comme ça qu’on en arrive aux débordements récents (NDLR : les Boums au bois de La Cambre). Cela peut se comprendre ! Et d’une certaine manière, même si c’est une réponse inadaptée par rapport au système, elle fait sens. Elle peut même paraître presque adaptée pour les jeunes car elle fait office de  » solution de survie  » pour échapper à l’ennui.

La languishing, un mal profond qui touche surtout les jeunes et jeunes adultes
La languishing, un mal profond qui touche surtout les jeunes et jeunes adultes© Getty Images

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Avant tout, il faut distinguer deux concepts assez importants qui sont le bien-être et la qualité de vie. La qualité de vie, elle se pense en termes de  » je « . C’est une introspection sur soi. Comment je me sens, qu’est-ce que je fais, où est-ce que je vais? Le bien-être, il est social, psychologique et émotionnel. Mais il y a également une dimension collective dans le bien-être. Il y a une notion de communauté et d’altruisme derrière cela. Le languishing, ou l’ennui, touche à ce bien-être. Parce qu’il modifie le rapport entre les activites positives et négatives qui nous arrivent au cours d’une journée, ou d’une semaine. Et c’est évident que la pandémie de Covid joue un rôle là-dedans.

Dans quelles mesures ?

La Covid, c’est vraiment un point de rupture. Cette crise a brouillé les frontières entre nos différentes sphères de vie et le rapport entre elles. Par exemple, on peut s’ennuyer au travail et ressentir un certain mal-être dans cette sphère, mais être très heureux dans sa sphère amicale ou chez soi. Dans ce cas, le rapport entre le négatif, le mal-être au travail, est inférieur au bien-être cumulé par les deux autres sphères. Le rapport tend vers le positif. Avec la Covid, le lieu de vie est devenu le lieu de travail, de socialisation. Tout s’est mélangé et les rapports sont faussés. Toutes nos sphères ont fusionné. Cela remet donc clairement en balance ce fameux rapport entre les choses positives et négatives et cela peut amener à ce sentiment de languishing. Par ailleurs, le climat n’aide pas. Avoir peur n’est pas une mauvaise chose en soi, mais ce climat de peur omniprésent et constant, ce n’est pas sain. La Covid fait que l’on a peur, tout le temps. Et cette peur devient presque égocentrique. Parce qu’elle nous pousse à nous protéger à tout prix. Se protéger soi, se sauver soi. On se recentre sur soi pour se protéger.

Comment sortir de cet ennui alors ?

Comme je viens de le mentionner, il y a un aspect très individualiste dans le concept de l’ennui. Rien que dans le mot,  » s’ennuyer « . On s’ennuie soi. Il faudrait donc repenser son rapport à l’autre, incorporer plus d’altruisme, se tourner à nouveau vers les autres. D’ailleurs on remarque que ceux qui, pendant les confinements, ont aidé leurs prochains, en faisant les courses pour eux ou en préparant des repas par exemple, sont moins sujets à ce languishing. Les stratégies adaptatives altruistes sont bien plus puissantes. Plus concrètement, comme l’ennui touche le bien-être, on peut dresser une liste de choses qui nous procurent ce sentiment de bien-être, et en fonction de ce qui est possible avec les règles sanitaires, partir de cette liste pour ajouter ces choses positives dans notre quotidien et, d’une certaine façon, rééquilibrer ce rapport entre positif et négatif. Je pense aussi que juste s’appeler par vidéoconférence ou autre, cela ne suffit plus. En thérapie comportementale, on pousse toujours à une action. C’est par exemple organiser un repas, mais donc aller faire les courses, penser à un menu, cuisiner. C’est décider et déclencher une série d’actions qui auront chacune un effet positif sur nous.

Et l’après ?

Il est vrai que l’on commence à réouvrir petit à petit la sphère publique, bars, restaurants et lieux culturels pour tenter de retrouver une certaine normalité. Mais du côté des soins de la santé mentale, nous savons que nous allons devoir gérer les conséquences psychologiques de la pandémie pour plusieurs années à venir. Suite à cette pandémie, certaines personnes viennent en consultation alors qu’elles ne devraient pas être là. Elles ont tellement perdu, en qualité de vie ou en bien-être, qu’elles ne savent plus fonctionner. Il va aussi falloir composer avec les personnes qui vont avoir du mal à retirer le masque, ou à embrasser à nouveau. La peur est tellement prégnante chez certains que le retour à une vie sociale peut aussi être lieu de violence et de mal-être, un paradoxe ! Évidemment, nous sommes là, en première ligne pour les aider. Mais il faut bien se rendre compte que nous sommes humains aussi, et donc tout aussi sujets aux problèmes que nous traitons. On essaye de se préserver un maximum, d’être le plus bienveillant possible mais aussi de mettre nos limites, sinon on ne s’en sortira pas.

Par Thibault Dejace

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