Les bienfaits du sexe en solo

© Unsplash / Diana Caballero for Malvestida Magazine
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste

Si la pandémie a quelque peu compliqué les rencontres, elle n’aura pas réduit nos vies sexuelles à néant pour autant. Au contraire: entre explosion des ventes de sextoys et décomplexion du geste, la masturbation jouit d’un regain de popularité. Et c’est pour notre bien!

S’il s’agit là d’un effet secondaire logique d’une épidémie mondiale ayant interdit le contact physique, la masturbation présente également un lien de cause à effet intéressant dans le contexte sanitaire actuel. C’est que, selon une étude réalisée par des chercheurs allemands de l’université d’Essen, le fait de se faire soi-même plaisir, sexuellement parlant, augmenterait le taux de globules blancs dans le sang, renforçant ainsi nos défenses naturelles… A condition toutefois que le procédé soit jouissif, puisque ce n’est pas tant le geste, mais bien l’orgasme, qui libère une décharge d’adrénaline, laquelle a un impact positif sur le système immunitaire. Qu’à cela ne tienne: s’il faut en croire l’explosion des ventes du Womanizer depuis le début de la pandémie, nombreuses sont celles qui ont trouvé la voie directe vers le 7e ciel.

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Contrairement à d’autres modèles reproduisant avec plus ou moins de réussite la forme du sexe masculin, ce vibromasseur de poche a connu un succès inversement proportionnel à sa taille, dû en partie à sa technologie novatrice qui se concentre sur une stimulation du clitoris centrée sur l’aspiration plutôt que les vibrations. Une technique au sujet de laquelle les utilisatrices ne tarissent pas d’éloges, de celle qui assure jouir « plusieurs fois en moins de trois minutes » à chaque utilisation à celui qui regrette que le plaisir qu’il procure soit « si intense et rapide que c’en est trop pour (sa) femme ». Autant de témoignages qui font sourire Johanna Rief, responsable « sexual empowerment » chez Womanizer, d’autant que la marque était loin de s’imaginer un tel enthousiasme ces derniers mois.

Oser en parler

« Pandémie oblige, on s’était préparés au pire, parce que beaucoup d’entreprises et de travailleurs ont été impactés négativement par le virus, et on voulait être prêts à affronter une baisse des ventes », reconnaît-elle. A la place, celles-ci ont connu un pic historique, les ventes de cet aspirateur coquin augmentant de 267% en Belgique durant le premier confinement, avec une hausse globale des ventes de 293% pour l’année 2020. Une tendance qui ne se limite pas à ce sextoy de poche, aussi silencieux qu’irrésistible d’après ses utilisatrices. A Liège, cela fait seize ans qu’Estelle Courtois a abandonné une carrière dans les télécoms en Flandre pour ouvrir son love-shop, Délicatescence. « A l’époque, ce type d’enseigne n’existait pas du tout en Wallonie, il fallait se rendre chez Lady Paname à Bruxelles, et avec mon compagnon, on a eu envie de créer la boutique où on aurait aimé pouvoir se rendre », se souvient Estelle. Soit « un lieu ouvert et lumineux, dans lequel la sexualité n’a pas l’air d’être taboue et où on peut avoir un échange et poser toutes les questions qui peuvent sembler difficiles en temps normal. » Mais aussi, ces derniers mois, trouver un antidote coquin à la morosité ambiante. « Les ventes en ligne ont grimpé en flèche dès le premier confinement, et la différence niveau plaisir solitaire s’est particulièrement marquée chez les hommes, ce qui est très représentatif de l’impossibilité de se rencontrer, car d’ordinaire, ce sont plutôt les accessoires dédiés au plaisir solo féminin qui ont la cote », explique la fondatrice de Delicatescence, où la vente d’articles dédiés à la masturbation masculine a « doublé voire triplé ces derniers mois ».

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Une augmentation qu’Estelle Courtois a aussi constatée sur les ventes de vibromasseurs, cette quadra à la voix douce confiant être « presque gênée de le dire, parce que d’autres secteurs ont été très affectés par la situation, mais nous on n’a jamais fait autant de ventes que depuis mars de l’année dernière ». Une tendance qui ne s’est pas limitée à ce drôle de printemps pandémique: en effet, si dans le boudoir liégeois, 2020 restera une « très bonne année », c’est surtout le 1er trimestre de 2021 qui aura été « explosif »: « Je pense que c’est parce que les gens sont privés d’activités, en tête-à-tête forcé, donc non seulement il y a une tendance naturelle à se recentrer sur leur vie intime, mais en plus, ils ont plus de budget pour le faire que d’ordinaire. » Sans oublier que la démarche, outre son influence intéressante sur le système immunitaire, a quelque chose de salutaire en cette période.

Éliminer le stress

Depuis son cabinet de la Région bruxelloise, la sexologue et thérapeute de couple Marie Tapernoux confie adorer son métier, parce que les gens qui viennent la voir « sont là pour parler de leur intimité », puis ils finissent par parler de plein d’autres choses aussi, « parce que la sexualité est un baromètre qui apprend plein de choses sur la confiance que la personne a en elle-même ». Une confiance qui gagne à être travaillée en s’autorisant à prendre du plaisir en solo aussi. « De manière purement mécanique, la masturbation apporte une forme d’apaisement et de soulagement, elle provoque une décharge physiologique qui libère des endorphines qui font qu’on se sent mieux. C’est chimique: les hormones libérées vont apaiser les douleurs éventuelles, diminuer le stress, aider à mieux dormir… Déjà rien que pour ça, cette pratique est très importante. Mais elle va aussi permettre de mieux se connaître et donc, d’être plus à l’aise avec une ou un partenaire potentiel. C’est une pratique qui augmente l’estime de soi: s’autoriser à prendre du plaisir peut paraître anodin, mais c’est un travail très important qui permet de se sentir plus à l’aise avec son corps. »

En résumé, sourit la thérapeute bruxelloise: « Il n’y a aucun tabou à avoir, la masturbation est parfaitement naturelle et on en a besoin. Elle nous apporte du bonheur. » A condition toutefois de l’aimer un peu, beaucoup, mais pas à la folie. « Cela peut devenir un piège, parce qu’on finit par se convaincre que le sexe en solo est plus facile vu qu’il n’y a pas le même stress de la performance qu’en couple. », poursuit la spécialiste. Sans compter qu’il y a un risque d’addiction: « Si l’on pratique cela à une fréquence trop soutenue, on peut tomber dans un forme d’addiction pas simple à gérer », avertit encore l’experte. Le baromètre de Marie Tapernoux pour éviter que le plaisir ne parte à la dérive? Une fois par jour, pas plus. Même si, avec les bons jouets ou suffisamment de dextérité, le nombre d’orgasmes quotidiens, lui, n’est pas forcément à l’avenant.

Se réapproprier son corps

Du côté de chez Womanizer, désormais sujet de nombreux memes, on se réjouit d’être entré dans la pop culture. Pour la gloriole de l’entreprise, oui, mais aussi parce qu’ainsi que Johanna Rief le souligne, le phénomène témoigne d’une levée salutaire des tabous qui persistent autour de la question. « Le fait qu’on ait beaucoup parlé de nous ces derniers mois indique que les sextoys sont de plus en plus acceptés dans la société, mais aussi que (très) lentement mais sûrement, on commence à se défaire du tabou autour de la masturbation féminine. » Un tabou que Marie Tapernoux attribue à une question de physiologie: « C’est très cliché, mais la masturbation masculine va être validée et cautionnée parce qu’il y a une notion de « décharge », tandis que si une femme le fait, c’est uniquement pour se donner du plaisir, or on vit dans une société phallocentrée où la femme est là pour donner du plaisir à l’homme, point. » Un statu quo dépassé que Johanna Rief est bien décidée à renverser. « Notre objectif est de déstigmatiser le plaisir féminin et d’offrir à chacune la possibilité de se réapproprier son corps, tout en réduisant l’écart orgasmique qui persiste entre les sexes. » Un écart particulièrement marqué en France, où selon une étude récente dont l’équivalent n’existe malheureusement pas encore en Belgique, les femmes se masturbaient en moyenne 62% de moins que les hommes. « C’est clairement le signe qu’il reste encore beaucoup de honte et de stigmas autour du sujet. Nous tenons à lancer un dialogue ouvert et constructif autour du sexe en solitaire », assure la responsable.

Ne pas s’en contenter

Nos interlocutrices rappellent néanmoins que, aussi bénéfique soit elle, cette pratique ne peut remplacer l’intimité avec une autre personne. Estelle Courtois confie avoir vu beaucoup de clientes « qui venaient chercher un vibromasseur parce qu’elles n’avaient plus de partenaires depuis un certain temps et que la période les empêchait de rencontrer quelqu’un ». Marie Tapernoux, elle, regrette que pour certaines personnes, « la masturbation soit beaucoup plus agréable que l’intimité physique, parfois plus simple aussi » et assure qu’il n’existe pourtant pas d’éventuelle « compatibilité sexuelle ». « L’objectif est de prendre du plaisir ensemble, donc il ne faut surtout pas faire le GPS pour son partenaire mais bien prendre sa main et lui montrer ce qu’on aime ». Un guidage sensuel qui nécessite de connaître son corps et son plaisir – d’où l’importance du sexe en solo – mais aussi de faire preuve de lâcher-prise. Avec ou sans partenaire. « Je vois des patientes qui me disent qu’elles ne sont pas normales parce qu’elles ne se masturbent pas, mais il n’y a aucune obligation. Tout comme il ne faut pas chercher à jouir à tout prix quand on se masturbe, parce qu’alors on tombe dans le cérébral avec une mission de performance et justement, on ne jouit pas. L’objectif principal est de profiter du moment. »

Une philosophie à adopter tout l’été, et plus si affinités. Signe des temps: alors que le télétravail fait progressivement place au retour au bureau, la société de production suédoise Erika Lust a décidé d’instaurer une pause masturbation pour les employés qui le désirent. Un « avantage en nature » pas si farfelu que ça quand on sait que, d’après une enquête de Time Out New York, 39% des gens se masturberaient au travail. Vous ne verrez plus jamais vos collègues d’open space du même oeil…

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