PSYCHO | Pourquoi danser nous fait tant de bien

Pourquoi danser nous fait-il tant de bien ? © Klaartje Lambrechts

S’il y a une chose qui nous aura bien manqué depuis des mois et des mois, c’est de nous déhancher en musique! Entre amis, en boîte ou lors de cours – longtemps interdits avec la pandémie – l’activité offre pourtant de nombreux bienfaits et constitue, partout sur terre, de véritables actes communautaires.

Dans l’inconscient collectif, la danse semble souvent moins physique qu’elle ne l’est au premier abord. Pourquoi? Tout simplement car les danseuses professionnelles exécutent leurs mouvements avec maîtrise et fluidité, donnant ainsi une impression de facilité et de légèreté. Sally Das est psychologue et pratique la danse latine, plus particulièrement la salsa, depuis une quinzaine d’années. Elle s’attaque tout de suite à ce cliché: « La danse est souvent considérée comme n’étant pas un « sport » alors que c’est tout le contraire! Ce n’est pas du tout la même chose que de courir sur un tapis de course qui ne nécessite rien d’autre qu’une simple répétition mécanique du corps.

Lateef Williams - Belgique
Lateef Williams – Belgique© Klaartje Lambrechts

Quand vous êtes sur cette machine, il vous est toujours loisible de penser à vos tâches du quotidien, à votre dernier problème au boulot ou à la dernière dispute conjugale, précise-t-elle. Sur une piste de danse, si votre esprit vagabonde, vous ne pourrez pas danser correctement. Il y a des règles, des temps, afin d’être sur la musique et de bien pratiquer cet art, poursuit l’experte. Par conséquent, on ne se rend pas toujours compte qu’on transpire et qu’on fait travailler l’ensemble de nos muscles. Alors qu’en réalité, c’est très intensif! »

Mostafa Shabkhan - Iran
Mostafa Shabkhan – Iran© Klaartje Lambrechts

Dans notre société actuelle, nous avons tendance à ne nous focaliser que sur des chiffres, et non sur notre ressenti. Combien dois-je brûler de calories? Combien de pas dois-je faire aujourd’hui? Combien de temps dois-je courir sur mon tapis? Là encore, le sport est avant tout cérébral, car programmé, et qu’on le veuille ou non, cet objectif nous empêche de totalement déconnecter. A l’inverse, les neurosciences démontrent que lorsqu’on danse, l’activité se délocalise vers le cerveau limbique: on passe du raisonnement à l’émotionnel. On se laisse donc aller au spontané. Sally Das explique qu' »on ne s’attend pas spécialement à quelque chose en dansant. Tandis que si on pratique la course à pied par exemple, on aura généralement un objectif chiffré. Qu’il s’agisse d’une performance ou d’un temps défini. Là où la danse surprend, c’est que généralement, on passe un bon moment et puis on se dit que cela a aussi des effets bénéfiques sur le corps, donc ça donne envie de revenir. On choisit rarement la danse comme un moyen de maigrir, contrairement à d’autres sports, mais plutôt pour se changer les idées », résume la psychologue.

Anya Kravchenko - Russie
Anya Kravchenko – Russie© Klaartje Lambrechts

Tout oublier, sauf la choré

Les bienfaits de la danse, peu importe le style pratiqué, dépassent toutefois cet aspect sportif. Parmi les plus répandus et communs à de nombreuses activités artistiques: le lâcher-prise. « Cela permet de déconnecter, de tout oublier, et c’est très positif car on se concentre uniquement sur le plaisir, sur le bien-être, indique Sally Das. Danser demande aussi énormément de concentration pour bien exécuter les mouvements et pour suivre une chorégraphie. Du coup, nous avons tendance à zapper tout ce qui relève du stress ou de l’accessoire. Cette concentration totale permet de profiter pleinement de ce moment et de se libérer de toutes pensées négatives. »

Danser demande aussi énormément de concentration. Du coup, nous avons tendance à zapper tout ce qui relève du stress ou de l’accessoire.

Sally Das

Par ailleurs, s’il est indispensable de connaître les moindres mouvements d’une chorégraphie pour pouvoir la reproduire, il faut surtout savoir à quel moment les exécuter. Tout ceci requiert une importante capacité de mémoire. « C’est très bon pour notre activité cérébrale, car on fait travailler son corps, on fait travailler sa mémoire mais aussi son sens du rythme. Le fait de devoir danser sur un air précis nécessite d’écouter la musique d’une façon particulière. D’une certaine façon, cela stimule aussi la créativité car on raconte une histoire en dansant, à l’image des ballets classiques, par exemple. Et tout cela est très bénéfique pour le cerveau », affirme notre spécialiste.

Yen Ching Lin - Royaume-Uni
Yen Ching Lin – Royaume-Uni© Klaartje Lambrechts

A côté des bienfaits précédemment évoqués, la danse stimule également le métabolisme, renforce le coeur et les poumons et, à long terme, améliore la puissance musculaire et le système immunitaire. En plus de cela, les scientifiques constatent également une augmentation de la libération de différentes substances, comme l’ocytocine, une hormone de l’attachement, et la dopamine, l’hormone du plaisir, ainsi qu’une diminution de la sécrétion des hormones du stress. Pour notre cerveau, cette activité serait par conséquent une sorte de drogue, mais qui ne nous a pas encore livré tous ses secrets… Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous n’avons pas encore fait le tour de tous ses bienfaits.

Chloé Dorémieu - France
Chloé Dorémieu – France© Klaartje Lambrechts

Suivre le troupeau… ou pas

Côté psychologique par exemple, cette pratique permettrait de booster l’estime de soi. Ainsi, lorsque vous dansez, votre corps et vos mouvements s’inscrivent dans le lieu où vous vous trouvez: une salle de cours, une soirée, une scène. Indirectement, vous imposez votre présence en ce lieu. Une manière particulièrement efficace pour renforcer la confiance en soi. « Je recommande surtout cette activité aux personnes un peu timides ou qui ont du mal à accepter leur corps, précise Sally Das. Cela leur permet de se l’approprier davantage, de prendre confiance en leur physique et de se rendre compte qu’elles peuvent tout à fait être capables de réaliser des mouvements qu’elles ne pensaient pas être en mesure d’exécuter. Pour les plus introvertis, la danse sera aussi une activité bien moins brutale que le théâtre notamment », indique-t-elle.

Bassam Abdou Diab - Liban
Bassam Abdou Diab – Liban© Klaartje Lambrechts

De tout temps, la danse a également été un vecteur de socialisation important. D’abord une activité religieuse durant l’Antiquité, elle fut ensuite synonyme de fête populaire pendant le Moyen Age avant de devenir une composante essentielle à l’éducation de tout gentilhomme au cours des Temps modernes. Aujourd’hui, cette discipline et ses techniques plus modernes permettent toujours de s’affirmer au sein d’un groupe. Sur la piste de danse, on s’identifie ou on se distingue, on imite ou on se synchronise, « chacun est à tout moment autorisé à se délocaliser d’un bout à l’autre de la piste, observe le psychiatre et journaliste Clément Guillet sur le site Web slate.fr. Certaines formes de protectionnisme sont d’ailleurs autorisées, comme de se rassembler en cercle, dos aux autres, tel un troupeau de brebis cherchant à se protéger des loups du dancefloor. Ou de danser sous l’oeil inquisiteur du petit copain, c’est-à-dire en aguichant tout le monde mais en ne se donnant qu’à un. Mais l’état d’esprit général est libéral: tout le monde peut danser avec tout le monde. » Contrairement aux siècles précédents où on formait un duo figé le temps d’un morceau.

Yuki Ota - Japon
Yuki Ota – Japon© Klaartje Lambrechts

Si notre société de plus en plus individualiste autorise chacun à papillonner en boîte de nuit, nous constatons pourtant un regain d’intérêt pour les danses de salon et la connexion particulière qu’elles offrent avec un partenaire… Alors que cette pandémie nous a éloignés les uns des autres et nous a souvent empêchés de ressentir ce bonheur de nous mouvoir à l’unisson, la danse apparaît donc comme un outil à considérer pour se reconnecter aux autres. « Cela peut même être un bon exercice pour un couple en crise qui éprouve des difficultés à communiquer. Ils pourront ainsi se reconnecter physiquement. puisqu’ils devront se toucher la main ou l’épaule, des gestes qu’ils n’ont parfois plus dans l’intimité », explique la psychologue.

Stereo48 - Palestine
Stereo48 – Palestine© Klaartje Lambrechts

Si cette pratique renforce la relation entre individus, rares sont toutefois les hommes à pousser la porte d’un cours de danse, même s’il s’agit simplement d’accompagner leur partenaire. « Cet art n’est pas réservé qu’aux femmes, trop peu d’hommes dansent, déplore Sally Das. Pourquoi? Car une croyance ancienne leur fait penser que la danse aurait un effet négatif sur leur virilité. Mais c’est complètement faux! On peut parfaitement danser et être très viril! Et puis, ça peut même être un atout. N’apprenait-on pas jadis aux hommes à danser afin de pouvoir impressionner les femmes dans les bals et réceptions? » Quoi qu’il en soit, et en attendant que les boîtes de nuit rouvrent et que les soirées endiablées de jadis reviennent, il est toujours possible de rejoindre un cours ou pourquoi pas, de se trémousser en petits groupes au jardin. Un bon remède à la morosité.

Ashin Kumar - Inde
Ashin Kumar – Inde© Klaartje Lambrechts

Eve, danseuse orientale:

« Danser, c’est une attitude, un état d’esprit »

Dès l’âge de 7 ans, Eve commence la danse par le biais du ballet classique. Un parcours commun à beaucoup de fillettes qui rêvent de spectacle et de paillettes. « On a tendance à inscrire les petites filles qui veulent danser dans des cours de ballet. Alors qu’en grandissant, on se rend compte que le corps change et qu’il n’est pas adapté à cette pratique qui requiert une morphologie particulière », explique la professionnelle. C’est en sortant de ce monde académique et en cherchant à remonter aux fondements du mouvement qu’Eve découvre la danse orientale: c’est la révélation. « C’est une manière totalement différente de se mouvoir, de vivre la musique et de ressentir son corps », déclare-t-elle. Aujourd’hui danseuse et professeure de danse, elle regroupe ses activités sous le terme de « mouvement naturel » et a à coeur de transmettre bien plus que de simples pas: « Les progrès techniques ne sont pas toujours les plus visibles ni les plus rapides. Les progrès en matière de conscience, d’aisance, ou de confiance en soi peuvent être bien plus impressionnants. J’aide à découvrir des capacités qu’on ne se connaissait pas, à évoluer physiquement et psychologiquement. » Pour la professionnelle, danser n’est pas qu’un métier, « c’est une attitude, un état d’esprit, une manière de fonctionner. Tout est occasion d’expérimenter la gravité, de s’amuser avec l’équilibre et le rythme, d’utiliser son corps et son énergie. Pour moi, c’est une vraie thérapie », conclut Eve.

Cyril, clubber:

« Une manière de créer des liens sans forcément se parler »

Infirmier de profession, ce jeune homme de 28 ans a découvert les joies de la danse lors de ses premières sorties en boîte de nuit. Contrairement à ses amis, il s’est vite rendu compte que ces escapades nocturnes n’étaient pas un prétexte pour flirter ou pour consommer de l’alcool, mais pour se déhancher sur la piste. « Ils peuvent rester accoudés au bar, je n’ai aucun problème à partir danser tout seul dans mon monde, les yeux fermés, juste à profiter de la musique. Moi, je me rends dans une boîte de nuit avec l’objectif de danser! », s’exclame-t-il. Si ces lieux sont souvent synonyme de rencontre, Cyril en a une conception toute particulière: « Je trouve que c’est une manière de créer des liens sans forcément se parler. Il suffit d’avoir un « eye contact », de voir que l’autre passe un bon moment et un dialogue muet peut se créer de cette façon. Seulement, c’est plutôt un partage autour de l’instant présent et non un flirt dans le but d’aller plus loin », précise-t-il. Quant aux bienfaits de cette activité, Cyril affirme ne pas les trouver dans une autre pratique: « En fait, c’est un peu comme une séance de sport intensive mais en mieux. C’est une façon de s’exprimer, de lâcher prise et de gagner confiance en soi. C’est un moment d’euphorie où je ne pense plus à rien, et quand je rentre de soirée, je suis complètement vidé. Mais je pense toujours à la prochaine fois! », dit-t-il en riant. Le jeune homme espère aujourd’hui retrouver aussi vite que possible son terrain de jeu préféré.

Catherine, danseuse solo:

« Je cherche à comprendre mes émotions à travers mes pas »

Depuis ses 12 ans, Catherine a exploré tous types de danse: classique, jazz, hip-hop, moderne, danses du monde… Elle ne s’est pourtant spécialisée dans aucun d’eux et préfère laisser libre cours à son imagination durant ses entraînements. Il y a trois ans, elle a pris la décision de se filmer lorsqu’elle danse, « c’est un outil pour apprendre à me lire, à savoir ce que je fais et où je vais. En visionnant ces vidéos, ça me permet de revoir les mouvements que j’ai tendance à faire durant certaines périodes tristes ou heureuses, comment je me sens et comment je m’exprime à travers la danse, explique-t-elle. Je cherche ainsi à comprendre mes émotions et à quoi elles peuvent être reliées, à travers mes pas. » D’un naturel introverti, Catherine trouve avec sa pratique le moyen de canaliser son énergie et de créer dans le mouvement ce qu’elle ressent. « Quand je vis quelque chose d’intense, je vais choisir une musique viking par exemple, quelque chose de profond, qui est en accord avec ce que je ressens et je vais donc pouvoir l’extérioriser à travers mes pas. Qu’il s’agisse de mes frustrations, mes joies ou encore mon amour… Et c’est extrêmement libérateur! » avoue-t-elle.

So Young An - New York
So Young An – New York© Klaartje Lambrechts

Chorégraphies confinées

Cloîtrée à son domicile pendant la pandémie, la photographe Klaartje Lambrechts a lancé un projet dans lequel elle a portraituré des danseurs et danseuses via Skype et leur a demandé ce que signifiait la danse pour eux. Elle rend hommage, à travers cette série, à ces personnes passionnées qui, malgré le lockdown, continuaient à bouger en rythme chez elles, sur leur toit-terrasse, sur la plage, en rue, dans leur studio… Le fait de photographier ces gens en ligne s’est avéré être un obstacle technique, mais aussi un voyage fascinant par écrans interposés.

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