Vous trouvez le sexe un peu surfait: mais est-ce vraiment grave ?

© Camille Deschiens
Stijn De Wandeleer

Le sexe. Voilà un sujet qui semble obnubiler pas mal de monde. Pourtant, certains ne sont que très peu intéressés par la chose. Doit-on s’inquiéter en cas de manque de désir sexuel ou est-ce beaucoup plus normal qu’on ne le pense ?

‘Everybody is either thinking about shagging, about to shag, or actually shagging‘ (« Tout le monde est soit en train de penser à s’envoyer en l’air, soit sur le point de s’envoyer en l’air, soit en train de s’envoyer en l’air »), est-il si délicieusement dit dans la série Sex Education disponible sur Netflix. Elle se déroule dans un lycée et où tout le monde se demande qui couche avec qui, et surtout, à quelle fréquence. Cette obsession ne semble pourtant pas s’arrêter à l’adolescence. La société occidentale est aujourd’hui tellement sexualisée qu’on a parfois l’impression que l’on doit forcément aimer le sexe et qu’il est de bon de s’y adonner régulièrement.

Pour le professeur Paul Enzlin (Institut des sciences de la famille et de la sexualité, KU Leuven), les gens subissent aujourd’hui une forte pression pour avoir des relations sexuelles régulières. « Nous vivons dans une société où nous pensons que le sexe est très important et qu’il est un élément naturel d’une relation saine. Si les gens constatent que ce n’est pas leur cas – parce qu’ils n’ont pas des rapports sexuels ou moins souvent ou sans pénétration – , ils pensent trop rapidement qu’ils ont un problème. Selon M. Enzlin, cela commence par des attentes irréalistes quant à la quantité de sexe qu’une personne lambda devrait avoir. Chaque année, je demande à mes étudiants à quelle fréquence, en moyenne, une personne a des rapports sexuels. J’entends très souvent comme réponse deux ou trois fois par semaine, mais en réalité c’est beaucoup moins. La recherche Sexpert de 2013 a ainsi montré que la plupart des gens ne feraient en moyenne l’amour qu’1,13 fois par semaine.

Le sexe comme un must

Admettre que l’on n’a pas envie d’avoir des relations sexuelles (et que cela ne pose pas de problème) est particulièrement difficile dans notre société hyper sexualisée. La plupart des témoins ne l’avouent d’ailleurs que sous couvert d’anonymat. Comme Tom qui avoue qu’après des débuts torrides, il a aujourd’hui moins de rapport sexuel avec son conjoint. « Ça ne m’empêche pas de dormir et je suis peut-être même heureux de pouvoir faire autre chose que du sexe. Il y a tant d’autres façons de montrer son affection, que je trouve tout aussi bien. Parfois, je dis oui plus pour lui faire plaisir que parce que je n’ai envie de sexe à ce moment-là. »

Loin du mystère

On le sait, une relation stable n’est pas la garantie d’une vie sexuelle active et épanouissante. La faute aux hormones dites de l’amour que sont l’ocytocine et la phényléthylamine. Ce sont elles qui provoquent l’excitation, mais leur production diminue au fur et à mesure que la relation progresse. On ajoute à cela la proximité constante (et l’idée que le sexe est possible à tout moment) ainsi que l’étiolement du mystère entourant sa moitié et on obtient une combinaison de choses qui étouffent le désir. Ce qui n’est, en soi, pas problématique. « Même dans une relation, l’absence de sexe n’est un problème que si l’un des partenaires, ou les deux, le ressentent comme tel », déclare Enzlin. « Il y a des couples qui ne font que peu de cas du manque de sexe dans leur relation. Pourquoi devrions-nous en faire un problème ? »

Que faire si l'on trouve le sexe un peu surfait ?
© Camille Deschiens

Ainsi au sein de la génération Y (les milléniaux) , et bien que le sexe soit aujourd’hui omniprésent, ils ont moins de relations sexuelles que la génération qui les a précédés. Ils ont également moins de partenaires sexuels, selon une étude américaine à grande échelle. Il y a plusieurs raisons à cela. Les jeunes seraient plus concentrées sur l’école et le travail et seraient plus soucieux de leur santé sexuelle que les générations précédentes. Le porno est également pointé du doigt. Ce qu’ils voient sur leurs écrans d’ordinateur leur met tellement la pression que cela les décourage de passer à l’acte.

Cette pression qui pèse aujourd’hui sur une vie sexuelle active remonte à la révolution sexuelle des années 1960. L’introduction de la pilule, entre autres, a banalisé la sexualité hors mariage. Dès lors, dans le monde occidental, l’accent sera mis sur l’expérience individuelle. Le sexe n’a plus d’autre but que le sexe lui-même et l’idée que la sexualité ne peut être vécue qu’avec un seul et même partenaire s’estompe progressivement. Si aujourd’hui beaucoup plus de choses semblent possibles, on a aussi l’impression qu’il faille en faire toujours plus.

Par vagues

Pourtant, « se désintéresser du sexe n’est pas forcément une mauvaise chose », affirme le sexologue Filip Geelen. Je sens vite de la panique chez les personnes qui viennent à mon cabinet pour une perte de désir. Parce que le sexe est considéré comme crucial dans notre société, ils pensent que quelque chose ne va pas chez eux ou qu’ils sont devenus asexués. Or, on ne devient pas asexué. On l’est ou on ne l’est pas. L’asexualité est même très rare puisque cela ne concerne qu’un pour cent de la population. Par contre, tout le monde passe par des périodes au cours desquelles l’envie de faire l’amour se fait moins pressante, voire disparaît. »

Rien d’anormal là-dedans puisque le besoin de sexe est quelque chose qui peut fluctuer énormément au cours d’une vie. On peut donc avoir des périodes extrêmement sexuelles et d’autres où le sexe vous attire moins. Selon Enzlin, « lorsque on est amoureux, il est logique d’être inséparables et de faire l’amour plusieurs fois par jour. Mais dès que les gens commencent à vivre ensemble et que leur partenaire est constamment disponible, on constate, dans de nombreux cas, qu’ils ont moins de rapports sexuels. Lorsque les enfants arrivent, la sexualité a aussi tendance à perdre de son importance, mais cela change parfois lorsque les enfants quittent la maison et que les parents ont à nouveau plus de temps à se consacrer. »

Cette fluctuation fait que les deux sexologues n’aiment pas parler d’une faible libido comme s’il s’agissait d’une chose objective et immuable. « Notre corps est plus ou moins ouvert aux stimuli sexuels selon les périodes. Le degré d’ouverture aux stimuli sexuels dépend de différents facteurs. Si l’on n’est pas bien dans sa peau, que l’on a des problèmes au travail, que l’on est malade ou que la relation n’est pas au beau fixe, cela peut vous empêcher de répondre aux stimuli sexuels », explique Geens.

De préférence seul

On ne peut que se réjouir du fait que, dans la société actuelle, nous ayons de plus en plus de liberté pour vivre notre sexualité comme bon nous semble. Mais cette liberté devrait aussi signifier que l’on a le droit de ne pas avoir de relations sexuelles ou de préférer la masturbation. En effet, la diminution du désir sexuel envers un partenaire ne signifie pas nécessairement qu’on a plus envie de se faire plaisir en solo. Comment se fait-il que l’onanisme perde moins vite de son éclat ? « Nous nous masturbons pour des raisons complètement différentes de celles qui nous poussent à avoir des relations sexuelles avec quelqu’un », explique Enzlin. Alors que pendant l’acte sexuel, nous recherchons une connexion sexuelle avec quelqu’un, nous voulons nous rapprocher de l’autre, pendant la masturbation, nous ne songeons qu’à notre plaisir, sans être dérangés. Ce sont deux motivations complètement différentes. Je ne pense pas du tout que le sexe en solo soit inférieur au sexe en couple. Il part juste d’une prémisse différente. »

Malgré ce constat, cela n’empêche pas ceux et celles qui ont plus envie de se masturber que de leur partenaire de ressentir une certaine culpabilité.

Un sentiment qui, selon Enzlin, est totalement inutile. « Au lieu de s’en tenir à une norme que l’on peut voir dans les médias ou dans les séries, on devrait encourager les gens à vivre le sexe de la manière qui leur convient le mieux, en tant qu’individus ou en tant que couples. Et ça peut vouloir dire avoir beaucoup de sexe, ou moins de sexe. Idéalement, on devrait tous pouvoir décider pour nous même si l’on veut avoir des rapports sexuels, à quelle fréquence et comment l’on veut vivre sa sexualité.

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