« Qui a vraiment envie d’appliquer des dérivés d’hydrocarbure sur son visage? »
En lançant il y a un peu plus de dix ans l’une des premières marques de cosmétiques de luxe naturels et végans, Tata Harper a influencé de manière durable l’industrie cosmétique. En marge de sa récente visite à Bruxelles, la pionnière du bio chic nous a accordé un entretien sans filtre.
Lorsque vous vous êtes lancée dans cette aventure, aviez-vous imaginé que la marque prenne un jour l’ampleur qu’elle a aujourd’hui ?
Absolument pas! J’ai créé cette entreprise parce que je voulais voir exister sur le marché des produits purs, durables… et efficaces. Qui ne vous procurent pas que du bien être. Mais qui donnent des résultats visibles. Et ce faisant, nous avons contribué à bousculer les habitudes de l’industrie cosmétique. A la pousser à chercher des alternatives plus naturelles. J’ai toujours été très préoccupée par la protection de l’environnement. Mais j’avais l’impression que le secteur avançait à tous petits pas dans ce domaine. Parce qu’il avait finalement toujours une bonne excuse pour ne rien changer. J’ai démontré que l’on pouvait travailler autrement. Que c’était faisable, profitable même, à relativement grande échelle. Ce faisant, j’ai modifié les règles du jeu. Car la plupart des obstacles sont en réalité plus souvent culturels et psychologiques que technologiques.
Qu’est-ce qui vous a poussée à poser les jalons d’une marque de luxe 100% naturelle?
Lorsque mon beau-père a eu un cancer, je me suis penchée sur les étiquettes de tous les produits que nous utilisions dans notre famille y compris les produits cosmétiques. Et ce que j’y ai vu ne m’a pas du tout plu. Je me suis dit alors que je ne devais pas être la seule personne au monde à ne pas avoir envie de mettre des dérivés d’hydrocarbure et tous ces ingrédients chimiques sur mon visage! La bonne question à se poser, vraiment, c’est ce que des ingrédients comme le propylène glycol par exemple qui est un anti-givre qui ne devrait avoir sa place que dans votre voiture fait dans les cosmétiques! J’ai eu envie de démontrer qu’une autre manière de formuler était possible.
Ne dit-on pas souvent que la toxicité de certains ingrédients tient avant tout à la dose à laquelle nous y sommes exposés. En ce sens, l’un des problèmes ne vient-il pas justement de l’excès de produits que nous utilisons?
La qualité des matières premières est essentielle. Votre propre seuil de tolérance va jouer aussi. Alors oui, peut-être qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter du fait d’appliquer sur votre visage des dérivés d’hydrocarbure, c’est d’ailleurs autorisé. Mais est-ce vraiment la meilleure stratégie? Est-ce vraiment le top du top de ce que l’industrie cosmétique peut vous proposer. Moi, je dis que non.
De quoi avons-nous réellement besoin finalement?
Tout dépend de votre âge. Si vous êtes jeune, un bon nettoyant, un soin hydratant, un masque de temps en temps, une huile visage en appoint suffiront amplement. Mais après 40 ans, vous aurez besoin d’actifs anti-âge ! Je ne jure que par le double nettoyage – avec une huile d’abord, une lotion ensuite – surtout le soir pour éliminer tous les résidus de pollution. J’utilise aussi une essence, c’est un produit optionnel mais qui va aider à booster l’efficacité de votre soin car c’est un accélérateur de pénétration. Ensuite les anti-oxydants : dans mon sérum et mon contour des yeux. Et parfois je m’arrête là ! Tout dépend du climat. Si ma peau est sèche, j’ajoute un hydratant ensuite. Et le soir, comme j’aime aller me coucher avec la sensation d’une peau vraiment hydratée, comme gonflée, j’ajoute une huile de soin.
Dans votre ferme, dans le Vermont, vous cultivez une partie des ingrédients qui se retrouvent dans vos produits. Est-ce essentiel pour vous de travailler autant que possible en circuit court? Et cela influence-t-il la manière dont vous formulez vos produits?
Je possédais la ferme avant de lancer la société. Nous avons d’abord utilisé le bâti pour y installer notre laboratoire de recherche et notre usine de production. Car tout, absolument tout, est fabriqué ici. Je ne voulais pas outsourcer mes formules : ça ne m’intéressait pas de partir de la même base que tout le monde en ajoutant seulement un ou deux ingrédients. Chaque produit est une création exclusive. Et ils ont tous des bénéfices multiples. Une partie seulement de nos ingrédients est cultivée ici, c’est notamment le cas de pas mal de matières premières que l’on retrouve dans notre toute dernière gamme Super Kind destinée aux peaux sensibles. Mais je ne veux pas me limiter dans le sourcing: mes actifs proviennent de 98 pays différents. Mon but est de fabriquer le meilleur produit du monde et cela peut vouloir dire utiliser aussi des matières premières que nous ne pouvons pas faire pousser ici. Le bénéfice que l’on peut en tirer passe d’abord. A condition bien sûr que cela corresponde à notre cahier des charges : origine naturelle, non testé sur les animaux, végan… Pour le reste tout est assemblé sous un même toit. Et nous produisons à la demande pour limiter les stocks inutiles. Nos packagings aussi aussi durables que faire se peut.
Quelle est la partie de votre boulot que vous préférez ?
La formulation, sans hésiter ! Bien sûr j’aime aussi aller à la rencontre de mes clients, donner des master classes comme je viens de le faire aujourd’hui, partager ma passion. Mais concevoir des produits, créer un soin qui a tellement de valeur ajoutée, c’est incroyablement gratifiant. Prenez notre gamme pour les peaux sensibles: c’est en voyant le peu de choix dont disposait mes amies qui avaient des souci dans ce domaine que j’ai eu envie de la développer, même si la plupart de nos références classiques sont très bien tolérées. Passé 40 ans, on a envie d’avoir accès à des actifs puissants comme le rétinol, la vitamine C, les acides de fruits qui se retrouvent rarement dans ce type de soins. J’ai cherché des alternatives. Le développement a duré plus de 3 ans. Je voulais pouvoir proposer un véritable anti-âge pour cette catégorie de peaux que l’on se contente trop souvent d’apaiser.
Qu’est ce qui motive le lancement de nouveaux produits?
En ce moment, nous travaillons déjà sur 2025. Car cela prend au moins deux ans pour développer un nouveau produit et ces dernières années tout s’est encore ralenti, rien qu’à cause des problèmes de sourcing. Je m’assieds avec les équipes de vente et de marketing et je regarde quels sont nos besoins, ce que nos clients nous ont demandé… Mais surtout nous sommes tout le temps en train d’améliorer nos références existantes. En fonction de la technologie. Dès que l’on trouve un actif plus efficace, on l’intègre. Et cela implique de retravailler de A à Z la formule, car il ne suffit pas de changer juste un ingrédient. C’est très excitant car beaucoup d’actifs proviennent aujourd’hui de la nature. Nous voulons toujours au moins entre 8 et 10 bénéfices pour un produit. Je ne suis pas moi-même formulatrice, même si j’ai une formation d’ingénieure. Je me vois plutôt comme une cheffe d’orchestre. J’impulse les idées. Je travaille avec les laboratoires qui crée les ingrédients pas les formules. On rassemble parfois une centaine d’ingrédients pour un objectif. Et on vérifie alors toutes les informations cliniques pour éliminer ce en quoi nous n’avons pas totalement confiance. On se retrouve du coup avec disons 70 matières auxquelles nous allons appliquer toutes nos méthodes de validation : pas de test sur les animaux, vegan,… et hop on descend encore à 60 et là intervient notre certification Ecocert. Au final, de 100 candidats, nous n’en retenons que 40 à partir desquels on commence seulement à formuler. Et il faut compter 20 à30 essais pour avoir la bonne texture, la bonne couleur, la rapidité de pénétration,…
Pourquoi la législation européenne plus stricte que celle des Etast-Unis ne vous suffit-elle pas?
Nous préférons nos propres standards qui sont plus stricts que ceux de l’UE. Certes aux Etats-Unis, une poignée d’ingrédients seulement sont bannis contre plus de 1500 en Europe. Mais si vous regardez bien cette liste, ce ne sont bien souvent que des dérivés d’un même ingrédient. Nous n’utilisons de toute façon aucun ingrédient de synthèse. Par contre nous devons surveiller la réglementation de l’IFRA (NDLR: international fragrance association) qui fixe par exemple les pourcentages autorisés d’huiles essentielles et les restrictions autour de cela. Et bien sûr nous nous y soumettons. En optant pour toute une série de labels comme Ecocert, nous voulons aussi prouver à nos clients que ce que nous avançons est validé par un organisme indépendant, c’est une garantie pour eux que lorsque nous disons que 100% de nos ingrédients sont naturels, c’est vrai. Qu’ils sont à 82% bios, c’est une réalité. Pareil pour tout ce qui est vegan et cruelty free.
Vous acceptez le titre de “gourou de la clean beauty”?
Clean c’est beaucoup plus flou que ce que nous faisons! Tout le monde veut être clean et c’est cool. Si on a pu aider à modifier le récit, j’assume. Mais c’est un terme qui ne veut rien dire de précis, il y a un effet de halo qui englobe des notions de durabilité, de recyclage, de réutilisable, de moins de chimie, et le consommateur au final bénéficie de ce discours et des changements induits. Ce n’est toutefois qu’une des raisons pour lesquelles les gens achètent nos produits : s’ils reviennent, c’est parce qu’ils les aiment et qu’ils sont satisfaits de ce qu’ils font à leur peau. C’est le but ultime du skin care, non ?
Quelles sont les prochaines étape pour la marque Tata Harper?
Nous sommes en pleine globalisation. Nous avons démarré aux Etats-unis, le Royaume-Uni et la France ont assez vite suivi et maintenant nous nous attaquons au reste de l’Europe. Nous sommes présents en Belgique à Bruxelles, c’est Label-Chic. Nous sommes arrivés au Moyen-Orient en novembre dernier, nous faisons nos premiers pas en Chine aussi. Je voudrais renforcer nos spas, je recherche des resorts pour cela. C’est important. Car les gens adorent se faire masser, recevoir des soins visage : si vous nous découvrez de cette manière, vous tombez amoureux de nos produits grâce à l’expérience et aux résultats visibles après le traitement. Je ne veux pas être partout, seulement dans les meilleurs endroits. Je ne veux pas non plus devenir la plus grosse boîte du secteur. Je veux juste être la meilleure.
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