« Si nous essayons de nous défendre nous passons pour des menteurs »

Pour Edouard Mauvais-Jarvis, directeur de la communication scientifique de Dior
Isabelle Willot

Pour Edouard Mauvais-Jarvis, directeur de la communication scientifique de Dior, les acteurs européens de la beauté n’ont pas eu besoin des gourous de la « clean beauty » pour proposer à leurs consommateurs une cosmétique « propre ». Grâce à une législation bien plus stricte qu’aux Etats-Unis.

Au risque de caricaturer un peu le problème, les normes extrêmement strictes érigées par les défenseurs de la « clean beauty » ne sont-elles pas la conséquence du laxisme de la législation américaine en matière de cosmétiques?

Mais totalement! La fameuse Food and Drug Administration se contente avant tout de faire du protectionnisme vis à vis des marques étrangères. Si vous fabriquez des cosmétiques là-bas, vous pouvez pratiquement mettre n’importe quoi dedans! Face à cet obscurantisme, des apps se sont développées pour répondre aux interrogations légitimes du consommateur. Des retailers et des marques se sont substitués au gouvernement pour fixer des normes… souvent différentes les unes des autres. Et pas toujours scientifiquement validées. On est davantage dans le domaine de la croyance et des fake news que de la science. Il est très difficile face à des rumeurs de pouvoir apporter un information contradictoire qui soit écoutée.

Ne pourrait-on pas se dire finalement que dans le doute, on n’est jamais trop prudent et qu’il est préférable de bannir un ingrédient suspect même autorisé?

Le principal défaut que je vois à ces listes d’ingrédients interdits, c’est qu’il n’est jamais tenu compte de la concentration à laquelle ils sont utilisés. Si vous suivez cette logique, le sel, le sucre, même l’eau doivent être supprimés car à très haute dose ils sont potentiellement mortels! Le business de ces applications c’est de vendre de la peur. Nous avons déjà vécu par le passé une crise de ce genre avec les parabens. Il est devenu hors de question de continuer à les utiliser même si l’un d’eux seulement posait problème. On les a remplacés par un autre conservateur… qu’on nous demande de retirer aujourd’hui ! Ces apps mettent en défaut un système qui était pourtant très performant et très fiable. Mais si vous essayez de vous défendre, vous passez pour un menteur donc vous préférez retirer l’ingrédient et reformuler. Mais cela prend du temps.

Estimez-vous que les acteurs historiques de la cosmétique qui ont pourtant respecté le cadre légal qui leur était fixé sont aujourd’hui pénalisés par rapport à de nouvelles marques qui se lancent dans le business?

Evidemment! Si vous suivez leur logique, vous ne pouvez plus formuler comme nous le faisons. Tout n’est pas possible à produire avec des formules courtes, avec des ingrédients 100% naturels. On ne parle pas du tout des mêmes produits en terme de texture et de sensorialité. Si vous lancez demain votre marque, vous fixez votre propre cahier des charges. Il n’y a pas d’attente du consommateur. Nous avons une offre existante, nous vendons des millions de références par an de nos grands standards ! Remplacer un ingrédient par un autre, cela peut tout changer en terme d’efficacité, de qualités organoleptiques du produit.

Ne peut-on pas se réjouir finalement que la cosmétique devienne plus vertueuse?

Nous n’avons pas attendu ces apps pour établir nos propres listes noires et même listes grises dans nos laboratoires et ce dès qu’on nous fait état d’un début de questionnement sur certains ingrédients: nous commençons alors directement à chercher des matières premières de substitution. Ce que nous contestons, c’est le manque de transparence de ces applications qui nous pénalisent injustement et se positionnent en sauveuse de l’humanité. Elles nous obligent à piloter à vue en cachant les règles du jeu qu’elles fixent elles-mêmes. Lorsque nous changeons nos formules, nous ne communiquons pas non plus là-dessus, cela reviendrait à sous-entendre qu’avant elles n’étaient pas « propres »… ce qui n’est pas vrai!

Mais cette cosmétique propre a quand même un côté vertueux, non?

Oui mais la tendance générale allait déjà vers plus de naturalité – à condition de ne pas se mettre en concurrence non plus avec l’alimentaire -, de biodégradabilité, de durabilité. Tout en conservant un modèle soutenable.

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