Thomas du Pré de Saint Maur (Chanel): « Le luxe est là pour qu’on se sente vivant »
On lui doit la nouvelle campagne onirique du N°5 qui fêtera l’an prochain son centenaire. Cérébral et conceptuel, cet adepte de l’ordre libre n’aime rien tant que de se laisser surprendre par le beau… d’hier ou d’aujourd’hui.
Le luxe est là pour qu’on se sente vivant. Il répond historiquement, sociologiquement voire ethnologiquement à ce désir que nous avons tous de nous élever, de vivre plus intensément, d’espérer quelque chose de mieux. Il a un vrai rôle, n’en déplaise à ceux qui le taxe d’hypersuperficialité. On oppose souvent art et commerce dans des échelles de valeurs quasi morales. Je ne suis ni curateur d’un musée ni d’une galerie d’art, je travaille pour une maison qui vend des produits. Le rôle de la création dans une marque de luxe, c’est saisir chacune des opportunités de parler d’elle, avec les mots d’aujourd’hui. Faire que ce qui est à la base un geste un peu transactionnel devienne une vision du monde.
Le N°5 est une équation qui traverse le temps. La force du 5, c’est la promesse qu’il fait aux femmes, celle de pouvoir faire advenir des choses essentielles pour elles. Marion Cotillard incarne aujourd’hui une certaine idée de l’accomplissement qui n’a rien d’ennuyeux, comme une manière d’aller chercher tout le potentiel que l’on a en soi, en sachant que l’on n’est pas parfait. Chez moi, le 5, personne ne le portait. Mais j’en ai des souvenirs à la fois diffus et frontaux, comme une présence. J’ai beaucoup de mal à ne pas être parfumé. Je me parfume jusqu’à six fois par jour, c’est une forme de réassurance. Même si j’ai eu peu de parfums dans ma vie, avant de travailler chez Chanel, j’avais parfois le besoin d’acheter le 5, comme si cela traduisait l’envie de me rapprocher de l’icône.
L’esprit franu0026#xE7;ais est la ru0026#xE8;gle admise qui ouvre le champ des possibles.
J’ai à coeur de faire vivre l’esprit français. Impertinent mais toujours cultivé. Et de le faire avec légèreté. C’est une courtoisie que l’on doit au monde. Je ne pense pas que l’esprit français soit excluant, un pays qui a écrit la Déclaration universelle des droits de l’homme ne peut pas l’être. Il est la règle admise qui vous ouvre le champ des possibles. L’alexandrin, avec sa métrique imparable des 12 syllabes en est le plus bel exemple. Cet esprit s’incarne aussi dans la gastronomie, dans l’architecture et les jardins classiques, dans le tailleur Chanel. Toutes ces règles n’ont pas été inventées en France, mais c’est ici que s’est radicalisé le propos.
Il y a toujours une petite inquiétude qui point quand on admire trop quelque chose. Je travaillais depuis plusieurs années dans le luxe, je me souviens de ce jour où j’ai reçu ce coup de fil de « la » marque. Et, parce que l’on vous apprend à ne jamais dire oui du premier coup pour ne pas donner l’impression de vous jeter à la tête des gens, j’ai répondu que j’allais réfléchir et rappeler. Avant de trembler tout de suite à l’idée que peut-être dans les trois secondes qui venaient de s’écouler quelqu’un allait dire « oui » à ma place. Le monde est gouverné par cette distance qui est nécessaire pour préserver le mystère.
Etre aristocrate aujourd’hui, c’est avoir le sens de la transmission. Ça n’a rien à voir avec l’héritage d’un château, ça c’est très bourgeois comme vision de la préservation. C’est davantage une responsabilité culturelle qui m’obsède beaucoup depuis que je suis devenu prof à Sciences Po. Comme un devoir d’équiper les jeunes générations pour plus tard avec mon petit savoir.
Mon premier tatouage était un acte de rébellion. Bien sot et bien superficiel d’ailleurs. Je voulais surtout emmerder mes parents, mais là où il était placé personne ne le voyait. Aujourd’hui tout le monde est barbu et tatoué! Moi, j’ai commencé à l’âge de 18 ans, en 1986. Dans le tatouage, il y a quelque chose de l’ordre de la reprise du contrôle de son corps. Je ne porte que des fleurs, par essence périssables mais qui là ne le sont plus. J’aime l’idée que ce soit la vie qui, sur ma peau, fasse vieillir ces fleurs.
Le beau est le dernier rempart contre la barbarie. J’ai toujours été ému par la culture et l’esthétique classique, la statuaire en particulier. Si je devais quitter Paris, c’est à Athènes que je vivrais. Le beau apaise, il lie, il réunit, au-delà des cultures et des origines. Le beau, ce n’est pas le joli, même si les deux sont nécessaires. Il vient nous saisir par surprise, il est invincible. Je lui donne toutes les grâces et toutes les qualités.
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