Une empreinte éco proche de zéro, le nouvel objectif des cosmétiques

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Isabelle Willot

Intégrer dans son business model la protection de l’environnement est devenu une nécessité pour les acteurs du secteur. Bonnes pour l’image de marque, des politiques de gestion plus responsables se mettent en place. Avec, à la clé, la promesse de quelques économies à réaliser.

Cent-cinquante tonnes de plastique. C’est l’économie qu’aurait pu réaliser Clarins en diminuant de 1,5 gramme le poids de ses rouges à lèvres dès leur toute première mise sur le marché. Désormais, les bâtons sont allégés d’autant. Mais à l’époque, de l’aveu même de Christian Courtin-Clarins, la réduction de l’empreinte écologique ne représentait pas la même nécessité qu’aujourd’hui.

 » Pourtant, notre entreprise a toujours entretenu des liens étroits avec la nature, dont nous tirons la grand majorité de nos ingrédients, rappelle le charismatique président du groupe familial français. Mais ce n’est vraiment qu’au début des années 80 qu’est apparu le mot « biodiversité ». Même les passionnés de plantes se sont rendu compte qu’ils avaient commis des erreurs, en favorisant la monoculture et l’emploi de certains pesticides par exemple. Parce que nous devions notre succès à la nature, nous nous devions aussi de nous impliquer dans le développement durable.  »

Clarins a réussi à supprimer les notives des produits en les imprimant sur l'intérieur des boîtes.
Clarins a réussi à supprimer les notives des produits en les imprimant sur l’intérieur des boîtes.© SDP

Pionnier il y a trente ans, ce type de discours est quasiment devenu la norme chez les principaux acteurs de l’industrie cosmétique. Qu’ils aient intégré les contraintes que cela sous-tend très tôt dans leur business model, parfois même dès leur création, ou qu’ils y soient venus  » sur le tard « , comme la plupart des labels de luxe vendus en parfumerie, tous mettent aujourd’hui le grand braquet pour s’assurer l’image la plus propre possible.

 » Il y a désormais une forme de course à celui qui sera le plus éthique et le plus vert, ironise Katia Michieletto, directrice RSE (pour Responsabilité Sociétale et Environnementale) chez L’Occitane en Provence. Il est un peu agaçant d’entendre certains gros acteurs s’autoproclamer champions de la protection de la planète après avoir dilapidé ses ressources pendant des décennies. Mais l’essentiel, finalement, c’est que tout le monde s’y mette car l’urgence est bien réelle.  »

L’exercice, aussi bien intentionné soit-il, a pourtant ses limites comme le confirme Alexandra Palt, directrice RSE du groupe L’Oréal.  » Nous restons une entreprise dont la raison sociale est la performance économique, celle qui permet de facto de garantir un job à 80 000 personnes dans le monde. Nous ne nous inscrivons pas dans une logique de décroissance qui impliquerait forcément d’importantes pertes d’emplois. En revanche, nous devons impérativement apprendre à travailler autrement.  »

Le groupe s’est, pour cela, fixé des objectifs ambitieux en n’hésitant pas à lier 25 % du bonus de ses dirigeants à l’obtention de résultats tangibles en matière d’environnement. D’ici 2020, l’empreinte environnementale de toute sa phase de production devra être réduite de 60 % mais surtout 100 % des 6 milliards de produits délivrés chaque année devront améliorer leur profil environnemental ou sociétal, en faisant par exemple appel à des matières premières issues de ressources durables ou de la chimie verte, ou encore en présentant un packaging revu et corrigé.

L’adhésion du consommateur

 » Qui dit croissance, dit forcément augmentation de la pression sur la nature, admet Katia Michieletto. Notre objectif n’est pas de limiter cette croissance mais de la rendre durable sur un marché qui ne l’est pas tellement. Comme nous ne vivons pas de subventions, nous avons besoin de l’adhésion de nos consommateurs, qu’ils soient de plus en plus nombreux à intégrer ces valeurs. Mais il faut rester lucide : en cosmétique comme ailleurs, il y a un pas entre se dire sensible à l’idée que consommer devrait être un geste citoyen et passer à l’acte. Surtout dans l’ultraluxe. J’aimerais croire que les codes de désirabilité sont en train de bouger mais, dans la réalité, c’est encore très frémissant.  »

Diminuer l’impact d’un produit passe donc par une démarche globale d’éco-conception dont la majorité des leviers restent invisibles pour le client. Profitant du lancement de la quatrième génération de la crème Orchidée Impériale –  » le  » soin premium de Guerlain -, la maison française a ainsi complètement repensé son pack au risque de surprendre les adeptes – aplati en forme de galet, le pot a été allégé de 60 % et le volume du coffret – composé de matériaux recyclés ou recyclables – réduit de 40 %, pour une empreinte carbone en chute de 58 %.

En réduisant également de 30 % la taille effective d’un flacon contenant 50 ml de crème, Dior a réussi à augmenter de 50 % le nombre de boîtes stockables dans un même volume, ce qui accroît d’autant la capacité de transport.

Dior a mené une réflexion sur ses contenants pour augmenter leur capacité tout en réduisant leur volume.
Dior a mené une réflexion sur ses contenants pour augmenter leur capacité tout en réduisant leur volume. © sdp

Mais la réflexion autour du packaging de la nouvelle gamme HydraLife est allée plus loin, rappelle Edouard Mauvais-Jarvis, directeur Environnement chez Christian Dior Parfums :  » Nous avons simplifié les capots, qui sont aujourd’hui quasiment en monomatériau, et enlevé toute métallisation. Le pot en verre est trois fois moins lourd qu’avant et entièrement recyclable. Nous avons remplacé le cellophane par une simple étiquette de sécurité sur la boîte, dont la taille correspond parfaitement à celle du flacon afin de pouvoir supprimer les cales en carton. Cela n’a l’air de rien mais c’est plus compliqué à mettre en place que cela n’en a l’air. La notice également a été dématérialisée grâce à un code-barres à scanner.  »

La marque a également revu ses formules, qui contiennent aujourd’hui 83 % en moyenne d’ingrédients d’origine naturelle, plus du tout de paraben et un minimum de dérivés de la pétrochimie. Ces produits ciblent directement la génération Y, qui s’autoproclame éco-consciente… mais oublie très opportunément de prendre en compte l’impact écologique de son hyperactivité sur les réseaux sociaux.

 » Dès que l’on commence à mettre le nez dans les problématiques d’environnement, les questions se multiplient, poursuit Edouard Mauvais- Jarvis. La digitalisation de la communication et le coût de stockage des données qu’elle engendre ne sont pas encore pris en compte. Comment chiffrer l’impact d’un petit film digital vu et forwardé ensuite par des millions de personnes ? C’est pourtant une source de pollution non négligeable. « 

Émissions carbone à zéro

Les parfums Mugler, ressourçables depuis vingt ans déjà.
Les parfums Mugler, ressourçables depuis vingt ans déjà.© SDP / ISTOCK

Du côté des parfums, l’idée de proposer des flacons ressourçables – Thierry Mugler, une marque du groupe Clarins, a vraiment été pionnier en la matière – s’est concrétisée chez Hermès et Cartier notamment. Car c’est bel et bien dans l’univers feutré du luxe, où l’on a longtemps dépensé sans compter, que le volant de manoeuvre semble aujourd’hui le plus large.

 » Nos consommateurs sont de mieux en mieux informés en la matière et il est devenu essentiel pour eux que nous nous préoccupions de tout cela, insiste Nancy Mahon, Senior Vice-Présidente chez Estée Lauder, en charge du développement durable. Parmi les marques qui composent notre portfolio, certaines comme Aveda ou Le Labo sont déjà très loin en termes d’utilisation de matériaux recyclés dans les packagings ou de flacons ressourçables par exemple. Cela nous permet de bénéficier de leur expertise et cela place aussi la barre très haut. A l’échelle globale du groupe, nous nous sommes par ailleurs fixé un but ambitieux pour 2020 : ramener à zéro nos émissions de CO2 en utilisant autant que possible des énergies propres et en achetant des crédits carbone pour ce qui reste incompressible.  »

La chasse au gaspi aux accents éthiques, qui pousse les employés à s’investir chacun à leur niveau, peut également s’avérer bénéfique pour les finances de l’entreprise.  » En sept ou huit ans, nous avons réduit de 70 % notre consommation d’eau et toute celle qui sort de nos sites de production est propre grâce à l’installation d’une station d’épuration, précise Edouard Mauvais-Jarvis. Même chose pour l’électricité : la facture a baissé de 30 % grâce aux éclairages LED. On l’oublie trop souvent, mais 70 % de notre empreinte écologique est concentrée sur nos points de vente. Là, nous avons optimisé la consommation d’énergie et même le choix du mobilier et des matériaux de construction de nos stands a été revu. Tout doit être démontable et recyclable.  »

Le label Le Labo encourage ses clients à reremplir leurs flacons ressourçables une fois vidés.
Le label Le Labo encourage ses clients à reremplir leurs flacons ressourçables une fois vidés.© IAN TONG

Le casse-tête du maquillage

Chez nous, à Libramont, le groupe L’Oréal est parvenu à démontrer que l’on pouvait aller très loin dans le domaine, même sur un site de production industrielle. L’usine qui fabrique des produits colorants destinés à la grande distribution est totalement neutre en termes d’émissions carbone, tout en s’alimentant uniquement à partir d’énergie verte générée, sur place, à partir de biomasse issue de l’agriculture locale et de déchets de l’industrie alimentaire. Le géant français s’est également engagé à réduire à l’avenir l’utilisation des granules plastiques – l’une des priorités que s’est fixée la ministre fédérale de l’Environnement, Marie-Christine Marghem – qui entrent dans la composition de crèmes exfoliantes et de certains articles de make-up, notamment.

Repenser le make-up de façon plus green est l'un des grands challenges des marques.
Repenser le make-up de façon plus green est l’un des grands challenges des marques.© ERIC LARRAYADIEU, 2016/L’ORÉAL

 » De nos trois piliers, c’est certainement le maquillage qui présente le plus mauvais ratio produits/taille et poids d’emballage, reconnaît Edouard Mauvais-Jarvis. D’un point de vue environnemental, l’emballage optimal, c’est la bouteille d’eau minérale ! Un litre de contenu pour quelques grammes de plastique pour le contenant. Par contre, un rouge à lèvres ou un mascara ont une forme donnée qu’il faut protéger, une certaine fonctionnalité. Cela ne nous empêche pas de réfléchir à la manière dont on pourrait les rendre rechargeables à l’avenir.  »

Du côté du groupe Estée Lauder, on planche sur la mise en place de circuits de récupération des cosmétiques, comme cela se fait déjà chez M.A.C, où l’on reçoit un rouge à lèvres gratuit si l’on ramène en boutique ses contenants vides. Pour Alexandra Palt, il est devenu essentiel de travailler sur la fin de vie de ces articles.  » C’est souvent au moment de jeter ce qu’il en reste que l’on prend la mesure de leur durabilité. C’est beaucoup trop compliqué à recycler, on ne sait pas ce que l’on peut en faire, dans quelle poubelle s’en débarrasser. Il faut clarifier les étiquettes, homogénéiser les critères sur le plan international surtout. Et rendre le recyclé plus désirable. Quand on me dit qu’on ne peut pas encore fabriquer de plastique recyclé dans de belles couleurs vives, ça me rend dingue. On a pu envoyer des hommes sur la Lune et on bloque là-dessus ?  »

3 questions à Christian Courtin-Clarins, président du groupe Clarins

Une empreinte éco proche de zéro, le nouvel objectif des cosmétiques
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Depuis plus de trente ans, Clarins est engagé dans le développement durable. Que dites-vous à vos concurrents qui se positionnent aujourd’hui sur le même terrain ?

Bienvenue ! J’accueille à bras ouverts tous ceux qui se décident à faire bouger les choses. Je suis très fier d’appartenir à une corporation à ce point consciente de la nécessité de protéger l’environnement. A moi ensuite d’être encore plus créatif pour rester à l’avant-garde dans ce domaine.

Sur les parfums Mugler, notamment, vous avez installé des « sources » pour reremplir les flacons dans les points de vente il y a plus de vingt ans déjà. N’était-ce pas un peu tôt ?

C’était un gros risque à prendre mais il a été payant car Angel est toujours dans le top 10 des jus les plus vendus au monde ! Cela nous permet d’économiser chaque année plus de 2,2 millions de bouteilles mais aussi l’équivalent de boîtes, de cales et de cellophane. Une belle preuve que même dans l’univers du luxe, le consommateur est prêt à faire un geste écologique.

Vous arrive-t-il parfois de devoir renoncer à un projet parce qu’il n’est pas assez « vert » ?

Chez Clarins, nous n’avons pas de vernis à ongles car nous n’avons pas encore trouvé de formule que nous serions fiers de vendre. Cela reste un produit extrêmement polluant. Mais ce qui pourrait être vu comme une contrainte – travailler sur l’éco-conception – est très souvent source de créativité. Et s’il y a un arbitrage à faire, la décision finale ira toujours dans le sens de ce qui est le plus profitable à la nature.

Une usine en autosuffisance

Depuis plus de vingt ans, le site de Libramont du groupe L’Oréal, qui fabrique des colorations pour cheveux, multiplie les initiatives pour répondre à une question complexe : comment produire plus en minimisant son impact sur l’environnement.

Grâce à la mise en place, en 2009, d’une unité de biométhanisation, l’usine est devenue la première du groupe à être 100 % verte. Cette technologie permet non seulement de produire l’électricité et la chaleur (chauffage et vapeur) dont l’installation a besoin, mais aussi de dégager des excédents d’électricité verte, directement injectés sur le réseau public pour subvenir aux besoins d’environ 5 500 ménages.

Cette technologie a ainsi mené à la diminution des émissions de CO2 du site de 180 % en valeur absolue par rapport à 2005.

D’autres initiatives ont conduit à réduire la consommation d’eau de 52,6 % par produit fini entre 2005 et 2015. Tous les déchets sont aussi triés, recyclés ou encore valorisés énergétiquement, ce qui a permis à l’usine de Libramont d’atteindre l’objectif de « zéro déchet industriel en décharge » depuis plus de quinze ans.

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