Chasseurs de trésors : comment ils dénichent des perles vintage
Ils ont pu acheter une pièce vintage de grande valeur pour une somme réduite. Ils nous racontent la belle histoire de ces objets et vêtements qu’ils adorent… et nous livrent au passage leur conseil ultime de dénicheur de perles rares.
«Je me laisse surprendre par ce que je trouve.»
Jesse Brouns est journaliste mode et c’est dans une friperie de son quartier qu’il est tombé sur ce costume Dior dans la poche duquel il restait encore une liasse de billets.
«J’ai grandi entouré de meubles chinés Art déco et d’old timers. Ado, je passais tout mon temps libre chez Pêle-Mêle pour acheter des bouquins, des CD et surtout des magazines. J’étais obsédé par les années 50, James Dean et l’Expo 58. Je dénichais mes fripes dans l’entrepôt d’Emmaüs, à Anderlecht. J’allais à l’athénée en smoking.
Sur la photo, je porte un costume Dior de l’époque Kris Van Assche, facilement reconnaissable à sa coupe très slim. Je l’ai trouvé chez les Apprentis d’Auteil, dans le XVIe arrondissement, à Paris, où je vis aujourd’hui. C’est un quartier plutôt bourgeois et cela se voit aussi dans l’offre de la friperie. J’ai dû le payer 70 euros, soit bien plus que ce que je ne paye d’habitude. Et le plus drôle, c’est qu’il restait encore 50 euros dans les poches, dont j’ai fait don à la fondation. Là, je vais tomber sur des marques plutôt classiques − Ralph Lauren, Lacoste…
Chez Guerrisol, une chaîne qui possède une douzaine de boutiques dans la région parisienne ou dans mon Emmaüs favori, j’ai fait ces derniers mois des trouvailles incroyables: un tee-shirt Vetements, un bob D’Heygere, un pantalon en cuir et une veste de Dries Van Noten, des chaussures Marni neuves, le tout pour un prix compris entre 3 et 20 euros. Mais aussi un sac Chanel de 1989 et des pièces quasi-muséales, une sorte de peignoir bleu-vert mer en fausse fourrure de Jean Paul Gaultier à ses débuts… que je n’ai jamais porté.
Je ne cherche jamais rien de précis, je fouille, c’est presque thérapeutique. C’est un moyen de se vider la tête. J’aime l’idée de pouvoir me faire plaisir sans mettre mes finances en péril. Je ne me considère pas comme un influenceur, mais je pense qu’il est important de montrer que le «style» n’est pas qu’une question d’argent. Et que dans le monde de la mode, on peut aussi rester soi-même. Si je me fais «streetstyler» pendant les Fashion Weeks dans une tenue qui m’a coûté moins de 50 euros, j’ai l’impression d’avoir gagné face au système, un peu comme David face à Goliath.»
SON CONSEIL
«Il faut savoir prendre le temps de fouiller, retourner régulièrement, se renseigner si les nouvelles pièces sont livrées à un moment précis ou si c’est aléatoire. Ne pas forcément viser les ‘grandes’ marques. Ce que je porte le plus provient souvent de griffes inconnues. Profiter de voyages pour trouver des pépites locales, les friperies de la banlieue de Milan, par exemple, sont remplies de Missoni, Versace ou Fiorucci.»
«Face à un coup de cœur, il n’y a pas d’hésitation possible.»
Justine Vergotte et Theo Vantomme de Hoarderlife ont acquis la lampe-miroir Ultrafragola d’Ettore Sottsass lors d’une vente aux enchères.
Justine: «L’Ultrafragola figurait déjà depuis longtemps sur notre wishlist, mais il est très cher et très difficile à trouver. Je ne pense pas qu’il y en ait un à vendre en Belgique actuellement.»
Theo: «C’est une création de 1968 du célèbre architecte italien Ettore Sottsass, qui était à la source du mouvement Memphis. Le cadre est en plastique plié, ce qui était très avant-gardiste pour l’époque. Le moule original est encore utilisé aujourd’hui.»
Justine: «Lorsque nous avons appris qu’un exemplaire serait vendu lors d’enchères publiques, nous sommes allés le voir immédiatement. Normalement, sur le côté du miroir, doit se trouver un autocollant, mais celui-ci était manquant. Même la maison de vente aux enchères ne pouvait pas nous garantir qu’il était authentique.»
Theo: «Nous avons fait des recherches, pour chaque détail, des vis utilisées jusqu’aux boutons-poussoirs. De nos jours, la fiche technique de ce genre de pièce se retrouve facilement en ligne. Mais nous n’avions aucune réponse définitive quant à l’authenticité de l’objet. Nous avons fait une offre sous réserve pour le cas où il s’agirait d’une réplique. A notre grand étonnement, notre offre était la plus élevée. Avec mon frère Simon, qui s’y connaît bien en électricité, nous avons ouvert la lampe-miroir et constaté que tous les éléments étaient «made in Italy». Il a contacté Poltranova, l’éditeur, qui a confirmé que nous étions face à un vrai Ultrafragola.»
Justine: «Nous l’avons payé entre 2 000 et 3 000 euros. Neuf, il se vend aujourd’hui à 8 500 euros. Un exemplaire vintage comme le nôtre peut s’afficher à 15 000 euros. C’est probablement la trouvaille de notre vie, mais nous n’avons pas l’intention de le vendre. Nous le trouvons trop beau.»
Theo: «Je crois en l’expression ‘love it, or leave it’. Quand on doute, on ferait mieux de passer son chemin. Mais face à un coup de cœur, il n’y a pas d’hésitation possible, il faut l’acheter. Le prix juste d’un objet est celui que l’acheteur estime qu’il vaut.»
Leur conseil
«Il faut s’y prendre à temps et agir vite. Si vous allez au marché, veillez à arriver une demi-heure avant l’ouverture. Tout se passe lors de la première heure.»
«Ce genre d’objets éveille vraiment l’imagination.»
Macha Lux a 18 ans et est déjà une chineuse aguerrie. Cette valisette luxueuse qui lui rappelle Les animaux fantastiques, elle l’a dénichée… pour 5 euros!
«J’étudie la littérature anglaise et je suis passionnée par l’histoire en général. Depuis que je suis toute petite, je chine toutes les semaines, c’est une passion que je partage avec ma maman qui m’a tout appris. Il y a moins d’un an, j’ai trouvé cette valise au marché aux puces de Tour & Taxis, à Bruxelles, une brocante qui a lieu une fois par mois environ. Elle a attiré mon regard car elle me rappelait Norbert Dragonneau, le personnage principal des Animaux fantastiques. C’est un film qui se passe dans les années 20, une période que j’adore. Je ne connais pas l’histoire de cette valise mais je peux la deviner: ce genre d’objets éveille vraiment l’imagination. Le vendeur voulait s’en débarrasser et je l’ai eue pour 5 euros. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle vaut mais elle est de belle facture et devait à l’époque coûter certainement cher. On voit à l’intérieur que c’est un original de la Bagagerie de la Toison d’or, qui n’existe plus. J’ai fait quelques recherches et il semble que ce commerce bruxellois ait été détruit dans les années 50. Je l’ai cirée et lustrée, et j’ai restauré les fermetures à levier rouillées.
Cette valise, je l’utilise pour le moment comme un objet de déco. Mais elle pourrait aussi accessoiriser une de mes tenues. Je porte toujours des vêtements vintage – des pantalons de costume, des chemises, parfois à jabot, des cravates, des vestons, comme celui que j’ai mis pour cette photo, en tweed. Il date de 1952 et vient d’une friperie au kilo − un super plan pour s’habiller pas cher avec de grandes marques. Avec cette veste, je me vois un peu comme un dandy de l’époque victorienne, façon Oscar Wilde. Quand je m’habille, j’aime entrer dans la peau d’un personnage et reproduire son univers. Tout comme avec cette valise. Il n’y a malheureusement pas d’animaux dedans mais je peux y mettre des bouquins ou les partitions de musique de mon grand-père. Je peux y faire rentrer le monde d’une certaine façon. Et ça, c’est inestimable.»
SON CONSEIL
«Pour faire des affaires incroyables, privilégiez la toute fin des marchés aux puces, vers 18 heures, quand tout le monde remballe et abandonne certains objets invendus sur place. Il suffit d’avoir l’œil et de se servir, c’est gratuit. N’hésitez pas non plus à parler avec les brocanteurs et antiquaires, c’est comme ça qu’on apprend!»
«Nous forçons régulièrement la chance.»
Par hasard, dans un magasin Troc, Audrey Duchateau (40 ans) et son compagnon, tous deux chineurs du dimanche passionnés, sont tombés sur un ensemble de salle à manger avec quatre chaises Erik Buch pour même pas 200 euros.
«Juste après le premier confinement, quand les boutiques ont rouvert, nous nous baladions du côté de Namur et nous sommes tombés sur un magasin Troc que nous ne connaissions pas. Nous faisions chacun notre tour dans les rayons quand mon compagnon m’a appelée. Au début, je n’étais pas particulièrement intéressée. Une table, quatre chaises, pour 195 euros. C’était joli mais… Pour lui, par contre, il était hors de question que nous repartions sans! Il est menuisier, il a l’œil pour les belles choses et il avait vu. Nous aimons tout ce qui est mid-century modern, fin des années 50-60, avec du bois, une certaine forme de légèreté et des plateaux légèrement surélevés par rapport aux pieds. Et ces chaises étaient clairement dans cette veine. Il ne savait pas encore qu’elles étaient du designer danois Erik Buch (1923) et qu’elles valaient quelque chose comme 2 000 euros sur certains sites, sans compter la table G-Plan qui les accompagnait.
Nous étions avec le chien, les enfants… et nous avons dû nous arranger avec le manager pour revenir les embarquer. Ce n’est que plus tard, en regardant avec Google Lens (NDLR: un programme de reconnaissance d’images), que nous avons découvert le créateur… Il a également fallu retaper les assises. Elles étaient belles mais le tissu de l’une était déchiré. C’est probablement pour cela qu’elles n’avaient pas été vendues… même si en réalité, elles sont restées moins de 24 heures en boutique.
Nous allons régulièrement chez Troc, mais dans 99% des cas, on ne trouve rien d’exceptionnel. C’est donc clairement un hasard qui nous a menés à ces meubles. Cela dit, je pense que nous forçons régulièrement la chance car nous passons beaucoup de notre temps libre à chiner, même à l’étranger. Nous ne désirons pas mettre de grosses sommes, notre objectif est de faire des bonnes affaires.»
SON CONSEIL
«Il y a, en Flandre et à Bruxelles, des entrepôts avec des pièces fabuleuses. Nous, nous avons l’impression de trouver des choses moins chères dans le sud de la Belgique, car il semble qu’il y ait moins de connaisseurs! Mais le plus important, c’est de ne pas foncer tête baissée. En brocante, la tentation est grande de craquer rapidement. Il faut prendre son temps. C’est le secret.»
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