Chronique | Les verres d’Orval ont été créés sur la base du nombre d’or
Dans cette chronique, rien n’est en toc. Chaque vérité, cocasse ou sidérante, est décortiquée par un journaliste fouineur et (très) tatillon qui voit la curiosité comme un précieux défaut.
L’avantage de mettre le mot «Orval» dans l’intitulé d’une chronique, c’est que cela garantit une audience remarquable, puisque a priori, l’entièreté de la Gaume s’apprête à boire… mes paroles. Je veux même bien parier que certains viennent instinctivement de se lever de leur chaise pour en cueillir une petite dans leur bac orange – j’entends le bruit de la capsule jusqu’ici.
Et je sais très bien ce que toute la Gaume attend: que je fasse cette grossière erreur de dire «une» Orval. A cet instant précis, une armée se soulèvera, attrapant ses épées et ses boucliers pour ne faire qu’une bouchée de moi, puis au moment de mon dernier souffle, me crier à la figure «UN Orval, espèce de misérable et hideux Bruxellois!» Certes, j’ai tenté d’éviter cette potentielle barbarie, en passant un coup de fil à un fidèle ami gaumais pour lui demander si l’abbaye d’Orval avait déjà rédigé un communiqué officiel sur cet épineux sujet, histoire que je ne me fâche pas inutilement avec tout un peuple. Mais après avoir marmonné quelques jurons dans son épaisse barbe, mon ami m’a raccroché au nez – il faut dire que je l’avais bien cherché, je n’avais pas vu qu’il était déjà 14h30, heure de l’apéro en terre gaumaise.
Bref, comme d’habitude, j’ai appliqué l’adage «on n’est jamais mieux servi que par soi-même». Mais sans surprise, mes petites recherches n’ont pas vraiment abouti à une réponse tranchée. Oui, beaucoup affirment qu’on dit «un» Orval car le nom de la bière vient du Val d’Or (j’y reviens) qui est masculin. Mais l’argument est un peu léger, toutes les autres bières du Royaume étant citées au féminin – et après on va encore dire que c’est toujours le masculin qui l’emporte, pardon, mais hein, bon. Perso, je crois surtout que les Gaumais ont trouvé là un prétexte pour bien faire les malins et, surtout, faire en sorte que les gens détournent l’attention d’une autre de leur spécialité locale: ils ne sont pas hyper-fiers d’avoir des «pipes gaumaises» dans les vitrines de leurs charcuteries.
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Je ferme ici le débat. Et j’ouvre une page de l’Histoire afin de comprendre pourquoi le symbole d’Orval est une… truite. Nous revoilà au Val d’Or. Il y a longtemps, la comtesse Mathilde de Toscane arrive en Gaume pour une raison inconnue (la beauté du décor, dirons-nous, cette fois sans la moindre espièglerie). Veuve éplorée, elle se promène dans la vallée jusqu’au moment où elle laisse tomber son anneau nuptial dans une fontaine. Son seul recours: supplier Dieu. Et ça marche: une truite jaillit soudainement de l’eau… avec l’anneau de la comtesse en bouche. Mathilde s’écrie alors «Vraiment, c’est ici un Val d’Or!», faisant naître à la fois la légende… et un monastère qu’elle fait bâtir illico presto en guise de reconnaissance. Bénie soit-elle: l’abbaye d’Orval se met à pousser, avec la sainte fontaine en son sein et une truite qui servira de symbole pour orner les ferronneries d’art, puis les bouteilles de bière que les moines se mettent à façonner entre deux Ave Maria.
Les bouteilles… et les verres. Tout Gaumais vous le dira: un Orval se sert dans un verre à Orval et dans rien d’autre. S’il y a bien un verre à bière que les collectionneurs s’arrachent dans le monde entier, c’est celui-là. Un calice bien plus remarquable qu’il n’y paraît, d’ailleurs, puisque les moines l’ont imaginé en se basant sur le fameux «nombre d’or» utilisé en géométrie par les Grecs. Traduction: ses proportions sont tout simplement parfaites (oui, comme celles des Gaumais) (voilà, je l’ai dit, merci de retirer le revolver de ma tempe) (sinon je dis à tout le monde ce qu’il y a dans votre pâté gaumais).
Profitons-en pour répondre à une question simple: à quoi reconnaît-on vraiment un objet mythique? Réponse: à sa présence, ou non, dans Les Simpson. Et vous savez quoi? Dans l’épisode numéro 19 de la saison 33, Homer Simpson en personne s’initie au brassage d’une bière trappiste et dégaine plusieurs clins d’œil à la tradition belge. Sur un mur, une affiche qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’abbaye d’Orval. Et même si la bière en question n’est jamais nommée, n’essayez même pas de suggérer aux Gaumais qu’il peut s’agir d’une autre bière que l’Orval, vous ne vous en relèveriez jamais, pauvres de vous.
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