Beaujolais, le (re)nouveau

© Renaud Callebaut

Longtemps regardés de haut, les vins du Beaujolais quittent le purgatoire viticole. Derrière cette réhabilitation, une jeune génération de vignerons aux petits soins pour les dix crus que compte l’appellation. Portraits.

Dans les salons où l’on sirote le vin la bouche en cul de poule, il est de bon ton de manifester son dédain pour le beaujolais. De ce breuvage définitivement trop populo, on n’aime ni la mise, ni les arômes de comptoir.  » Ça, un vin ? Mais le beaujolpif est à peine un pinard, Madame « . Gare au changement. Les imprudents qui n’ont rien senti venir risquent sous peu d’être aussi surpris que les aristocrates français en promenade du côté de la Bastille le 14 juillet 1789. Une révolution est en marche que plus personne n’ignore dans les cercles éclairés de connaisseurs.

Les fauteurs de troubles ? Des trentenaires très  » génération Y  » qui s’interrogent, goûtent, questionnent, voyagent, collaborent et surtout bichonnent la vigne. Signe particulier ? Ils se sont établis depuis peu dans le Beaujolais. Mais ils s’y sont installés par passion, attirés par sa géographie de monts verdoyants et de crus au potentiel énorme. C’est également la longue histoire viticole de la région qui les a séduits. De ce long récit mouvementé, ils entendent gommer certains passages – le beaujolais nouveau et ses excès bananisés, l’époque où l’on faisait  » pisser la vigne « … – pour les remplacer par d’autres nettement plus glorieux – au début du XXe siècle, sur les cartes des restaurants, un cru comme Moulin à Vent s’affichait au même prix qu’un Vosne-Romanée (Bourgogne).

Romain, Richard, Xavier et les autres – on dirait presque un film de Claude Sautet – se soutiennent et discutent  » vinif  » à l’occasion de barbecues bien arrosés, tous conscients d’appartenir à une même famille qui dans cinq ans incarnera peut-être un climax oenologique. Sceptique ? Il n’y a pas si longtemps les vins du Rhône étaient tenus en piètre estime. Tout porte à croire que c’est au tour des crus du Beaujolais d’incarner le terroir du haut. Loin d’être ingrate, la jeune lignée paie son tribut aux anciens qui ont ouvert la voie, des pointures telles que Jean Foillard, Yvon Métras et… Marcel Lapierre qui malheureusement s’en est allé reprendre sa part aux anges.

 » Aide-toi et le ciel t’aidera « , les vignerons du coin peuvent également compter depuis peu sur un changement en matière de communication. Dans la foulée du travail effectué pendant quatre ans par le Belge Dominique Capart à la tête d’Inter Beaujolais, la région mise à nouveau sur ses dix crus, florilèges de l’appellation. Saint-Amour, Juliénas, Chénas, Morgon, Moulin à Vent, Brouilly, Côtes de Brouilly, Chiroubles, Fleurie, Régnié… un nouveau catéchisme viticole reposant sur un dogme de finesse et de digestibilité qu’il va falloir bientôt connaître par coeur. Le Vif Weekend a rencontré en leur chapelle cinq apôtres de ces dix crus miraculeux.

Richard Rottiers

Avec ses 35 ans, Richard Rottiers fait presque figure de doyen au sein de cette génération de jeunes talents. Originaire de Chablis, il s’est installé à Romanèche-Thorins en 2007. Ses 18 parcelles s’étendent sur Moulin à Vent, terroir dont il est tombé amoureux et dont il se plaît à rappeler la réputation de  » seigneur des crus du Beaujolais « . Pour en faire ressentir le souffle, il emmène le visiteur sur une jolie colline autour de laquelle les 649 hectares de l’appellation dessinent un paysage émouvant ayant autrefois fait vibrer l’oeil du peintre Maurice Utrillo. Au sommet de celle-ci, un moulin à vent du XVe qui, en plus de livrer une clé toponymique, rappelle l’époque où des champs de blé côtoyaient la vigne.

Réparties entre 230 et 390 mètres d’altitude, les parcelles offrent au vignoble d’intéressantes variations autour de la minéralité et des tannins.  » Le sol est atypique, il est constitué d’arènes granitiques roses friables qui sont infiltrées de filons de manganèse, commente le vigneron, une poignée de terre dans la main, qui a trouvé là un terrain de jeux à la hauteur de son goût pour les terroirs nuancés. Nous sommes nombreux à penser que ce substrat confère des qualités organoleptiques inédites au vin. Je me suis converti à l’agriculture biologique. On ne peut pas faire de vins de terroir en désherbant les sols.  »

De ses yeux, le viticulteur aux cheveux longs – mais aux idées claires – caresse ses parcelles, Bur de Line et Champ de Cour. Il y a aussi La Teppe, lieu-dit bordant un cimetière, d’où il tire non sans un certain sens de l’humour une cuvée baptisée Dernier souffle. En bouche, les vins de Richard Rottiers expriment toute l’âme de l’appellation. Jeunes, ils développent un nez subtil d’épices et de cerise que prolonge une bouche veloutée. Le tout  » pinote  » avec subtilité, rappelant que le gamay est un cousin du pinot noir. Au fil des années, ses cuvées se complexifient, exhalant des arômes d’épices et de fruits mûrs ainsi qu’une bouche caractérisée par davantage de longueur.

Xavier et Kerrie de Boissieu

Avec un domaine familial – le Château de Lavernette – à cheval sur le Beaujolais et la Bourgogne, l’exemple de Xavier et Kerrie de Boissieu témoigne admirablement de la puissance retrouvée de l’appellation.  » On préfère faire un beaujolais blanc, une perle qui représente 2 % à 4 % de l’appellation qu’un énième bourgogne blanc dont le destin est déjà scellé « , prévient d’emblée Xavier de Boissieu. Dans son dos, Basile et Zoé, ses enfants, s’aventurent à la lisière d’une parcelle, tandis qu’un lièvre slalome à toute allure entre les ceps.  » Il faut croire qu’ils apprécient les vignes en biodynamie « , poursuit le trentenaire ravi de faire l’impasse sur les traitements chimiques. Preuve de sa foi en cette région, le couple de Boissieu continue d’acheter des parcelles en Beaujolais – 37 ares en 2012 – pour produire des beaujolais-villages rouges. De manière très révélatrice, les beaujolais rouges et blancs occupent 75 % des 12 hectares qu’il possède dans ces confins septentrionaux de l’AOC.

Xavier et Kerrie de Boissieu ont développé une approche du vin assez atypique. Habituellement, une vigne menée selon les principes de la biodynamie a pour corollaire une vinification sans soufre, ni filtrage.  » Xavier est tenté par cette approche que l’on essaiera sûrement un jour mais pour ma part j’aime trop la précision pour y succomber « , souligne Kerrie, oenologue américaine qui s’est installée dans la propriété de son mari par amour. Au carrefour de la tradition et de la modernité, le beaujolais blanc cuvée Les Vignes de la Roche 2010 livre une expression à la fois minérale et fleurie – fleurs des champs, tilleul – du chardonnay. Le tout soutenu par une belle acidité conférant une avantageuse capacité de garde au vin.

Le duo de trentenaires multiplie les expérimentations qui révèlent la richesse du terroir. Parmi celles-ci, il faut mentionner Granit, un nectar effervescent de type Brut Nature – c’est-à-dire dont la teneur en sucre est inférieure à 3 grammes par litre. Obtenu à partir du gamay, ce  » vin mousseux de qualité  » aux arômes de pain toasté fait figure d’ovni dans la gamme des beaujolais. Malheureusement, il ne passera pas les frontières, pour cause d’énorme succès local.  » Nous avons trouvé notre inspiration du côté de la Champagne, dans une maison telle que Larmandier-Bernier « , confie Xavier de Boissieu, confirmant par-là l’ouverture et le travail en réseau de cette nouvelle race de viticulteurs qui ne vivent pas arc-boutés sur leurs domaines. Dans la série cuvée atypique, on mentionnera aussi un beaujolais-villages rosé dont les arômes d’abricot et la bouche très fruitée évoquent des sensations printanières. Autre détail amusant et emblématique de l’approche plurielle des de Boissieu, pour chacune de ses cuvées, le couple propose un  » musical pairing « , soit un accord avec une oeuvre à écouter en dégustant une bouteille de la gamme. Les bulles de Granit ? À savourer sur fond de Syrinx, une pièce pour flûte en un mouvement signée Debussy.

Marie-Elodie Zighera-Confuron

Belle saga que celle de Marie-Elodie Zighera-Confuron – elle a épousé Jean-Pierre Confuron qui avec son frère Yves préside à la destinée du domaine éponyme, fleuron de la Côte de Nuits. Déchirée à l’idée de voir un patrimoine familial vendu après une histoire longue de cinq générations, cette élégante jeune femme de 33 ans a dissuadé ses parents de se défaire des 17 hectares qu’ils possédaient du côté de Fleurie. De façon très symptomatique, la vigneronne a lié son sort à celui du domaine.  » Les deux générations qui m’ont précédée vendaient leur raisin à la cave coopérative… uniquement parce qu’il était entendu à l’époque que les femmes ne faisaient pas de vin. Cet élément aurait pu à lui seul le déclic mais il y en a un autre… Alors que j’étais plutôt sceptique sur le potentiel des beaujolais, j’ai assisté à une dégustation de vieux millésimes. Dans le lot, il y avait un morgon de 1911, un fleurie de 1940 et un moulin à vent de 1940. J’ai été bluffé et n’ai eu qu’un désir : revenir à une sorte d’âge d’or de vins du Beaujolais n’ayant pas été phagocyté par le négoce et l’oenologie moderne « , explique avec détermination celle qui a entrepris des études de viticulture à 15 ans. En 2006, elle se jette dans l’aventure en sortant de la coopérative et en créant son propre domaine, le Clos de Mez – un nom basé sur ses initiales. Fidèle aux méthodes traditionnelles de la région, Marie-Elodie Zighera pratique la vendange entière – c’est-à-dire sans séparer la rafle de raisins – avec un départ en macération semi-carbonique suivi d’un pigeage. De ce procédé, elle tire un morgon Château Gaillard finement  » kirsché  » ainsi qu’un fleurie La Dot riche d’une acidité prometteuse et d’une note aromatique de violette qui est l’une des marques de ce terroir.

Romain Jambon

C’est un tout autre terroir du Beaujolais qu’a élu Romain Jambon. Brouilly constitue la limite méridionale de la zone des crus, il se distingue par des sols maigres, secs et peu fertiles mais des vins charnus et harmonieux qui expriment parfois les fruits rouges, parfois la pivoine, voire le café… preuve que la vigne ne dédaigne pas l’austérité. Placé sous le haut patronage du mont Brouilly, le domaine de ce vigneron de 26 ans étire ses 9 hectares à perte de vue. Au loin, l’oeil accroche les Alpes, même le mont Blanc par beau temps. Conscient d’appartenir à une nouvelle génération  » qui n’est pas obsédée par le rendement « , Romain Jambon a démarré son activité en 2010. Dans sa cave décorée des vieux outils de son grand-père, il présente modestement ses trois cuvées – Les Vieux Ceps, La Pointe des Einards, Les Eronnes – en évoquant six mois passés en Nouvelle-Zélande qui lui ont surtout appris  » ce qu’il ne faut pas faire « . Travaillé par la notion de minéralité, Jambon fait plus que l’effleurer avec sa cuvée Les Eronnes 2010, un flacon vendu en dessous de 10 euros.

Julien Sunier

Dernier activiste du Beaujolais rencontré, Julien Sunier s’est fait un nom en insérant ses flacons au sein de la mouvance des vins nature. Un classement qui s’est fait à l’insu de son plein gré car si ses vignes sont en agriculture biologique et qu’il cherche  » l’élégance et la pureté du fruit exprimées par le terroir « , il n’hésite pas à sulfiter quand il estime que c’est nécessaire. L’homme ne s’en cache pas : il n’apprécie ni les étiquettes, ni les oukases. Son approche est davantage  » autonomiste  » comme en témoigne son grand potager – avec lequel il nourrit les vendangeurs – et le corps de ferme du XVIIIe siècle de son domaine qu’il a rénové lui-même. Ses parcelles à cheval sur trois crus – Morgon, Fleurie et Régnié – donnent naissance à des bouteilles prisées aux quatre coins du monde. Il faut dire que lorsque l’on se trouve à la carte du restaurant d’un certain Georges Blanc, ça aide…

M.V.

Plus d’informations :

chateaurichardrottiers.com, lavernette.com et beaujolais.com



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