Cinq personnalités belges évoquent leur madeleine de Proust

Patrick Ridremont, acteur-réalisateur © PULP PICTURES

Qu’elles aient la saveur de l’enfance, le goût d’un voyage ou l’odeur sucrée d’un secret, les madeleines de Proust ont ce pouvoir fascinant de faire resurgir du passé des moments suspendus. Cinq personnalités nous ont ouvert leurs boîtes à péchés mignons, remplies d’effluves aussi insoupçonnés que tenaces.

Patrick Ridremont, acteur-réalisateur: « C’est quoi ce truc? »

« Mon rapport à la bouffe? Il est excellent! », répond Patrick Ridremont, alors qu’on le cuisine sur ses plus marquantes réminiscences gastronomiques. Difficile de mettre en doute la parole de celui qui fut un temps le patron du restaurant L’un des sens, à Bruxelles, surtout quand on constate sa capacité à s’émouvoir aux larmes à l’évocation d’une bonne charcuterie. Italienne, de préférence: « Ma mère est calabraise, mais sa famille habite en France. Donc pour moi, elle n’était pas vraiment italienne; c’était juste ma mère. » D’où peut-être certaines lacunes culinaires, et ce qui nous intéresse aujourd’hui, un épisode mémorable impliquant une boule de mozzarella: « Je n’ai découvert la mozza qu’à l’âge de 16 ans. Comment est-ce possible? A l’époque, c’était beaucoup moins répandu, il fallait aller chez le traiteur italien pour en trouver. Ma première fois, ça s’est passé chez la tante d’un ami, de purs Italiens. J’ai vu ce truc dans mon assiette, je me demandais ce que c’était. On m’a dit: « C’est du fromage. » Ah. Ça ne ressemblait pas vraiment à du camembert. Puis, j’ai goûté, et c’était pas mal. Je mentirais en disant que c’est le cas à chaque fois, mais le souvenir de ce moment me revient encore très, très souvent, quand j’en mange aujourd’hui. »

Avant qu’on le retrouve sur la RTBF pour de nouveaux épisodes de sa série Unité 42, désormais disponible sur Netflix, l’interprète du cyberflic Samuel Leroy va connaître une rentrée chargée, puisque – sept ans après Dead Man Talking – il entame le tournage de son prochain long-métrage. Un film d’épouvante dans lequel, coïncidence, l’élément déclencheur est… une madeleine de Proust. « C’est vraiment bizarre, oui. Mais dans mon scénario, la madeleine, ce sont des After Eight, ces fameux chocolats à la menthe, un truc de vieil anglais. L’histoire suit une nana à qui on en offre dans un calendrier de l’Avent, et ça agit exactement de la même façon que la madeleine de Proust – c’était le chocolat préféré de son père, qui a Alzheimer, et elle trouve ça trop « what the fuck. » » Pour connaître la suite, rendez-vous en salle, horizon Noël 2020. M.N.

Christophe Coppens, artiste
Christophe Coppens, artiste© PULP PICTURES

Christophe Coppens, artiste: « La sensibilité, les rituels »

Il n’a plus peur de vendre un chapeau, ou pas, il a d’ailleurs lâché la mode sans renoncer à rien, surtout pas à sa parole d’artiste. Alors lui qui se sent aujourd’hui « symétrique » peut sereinement se permettre d’intituler sa nouvelle exposition personnelle Eat Shit Watch Crap, inutile de traduire, et installer poétiquement ses oeuvres, tableaux, sculptures et céramiques, dans l’atelier de Karel Aubroeck (1894-1986). Christophe Coppens constate la laideur du monde qu’il dénonce ainsi, lucide. Pour autant, il n’a pas perdu sa capacité d’émerveillement. Assis à cette table de bois blond du restaurant bruxellois Le Samouraï, qu’il fréquente depuis toujours, il goûte à petites gorgées la verdeur d’un Sencha préparé dans les règles de l’art. Mieux qu’une madeleine de Proust, un cérémonial qu’il a fait sien depuis qu’il a découvert l’empire du Soleil-Levant – il avait vingt ans à peine et n’a jamais oublié la réponse de ce vieux Japonais à qui il avait demandé son plat favori, un bol de riz seul avec un thé récolté au printemps. Depuis, sa journée débute avec une, voire deux théières de cette infusion de feuilles au goût d’herbe qui réunit ce qui l’a immédiatement séduit là-bas, « la sensibilité, les rituels, l’ambiguïté entre la douceur traditionnelle et la ferveur du business ». Si dans ce geste matinal, il reconnaît une part infime de nostalgie, il ne se laisse pas dévorer par elle, donnant libre cours à sa puissance créatrice délestée de ses démons. On la sentit vibrer, entre autres, dans Le château de Barbe-Bleue de Béla Bartok qu’il mit en scène à l’Opéra royal de la Monnaie en 2018. Ce n’était que le début d’un retour aux sources, pareil à cette installation in situ dans ce village de Flandre-Orientale qu’il connaît pour y être né et l’avoir arpenté, gamin, à vélo. Désormais, volontairement fragile, Christophe Coppens puise ses goûts et ses couleurs dans ce lieu abstrait où se grave seul ce qui compte. A.-F.M.

Tessa Dixson, chanteuse
Tessa Dixson, chanteuse© PULP PICTURES

Tessa Dixson, chanteuse: « Rien n’arrive jamais par hasard »

Lorsqu’on lui demande d’évoquer un mets qui déclenche chez elle quelques souvenirs nostalgiques, sa mémoire ne se montre pas très coopérative. « J’ai énormément de difficultés à me rappeler les choses », confirme Tessa Dixson, 21 ans. Mais l’exercice l’amuse et, en bonne élève, elle demande à ses proches de l’aiguiller. La chanteuse, née au sein d’une famille belgo-américaine, propose d’abord les spaghettis à la bolognaise, son plat préféré, qu’elle mange au moins une fois par semaine. Manque de bol, son restaurant de prédilection est fermé. Comme « rien n’arrive jamais par hasard », elle se rabat sur le diabolo grenadine: un mélange de limonade et de sirop de fruits rouges. « Ma famille possède un chalet dans les montagnes françaises. Chaque année ou presque, j’y allais avec ma grand-mère. C’est là que j’ai découvert cette boisson. Dès que j’en déguste un, cela me rappelle un sentiment de liberté, de jeunesse, d’innocence. Et c’est chouette d’avoir un symbole fort pour représenter une personne disparue. »

La jeune artiste – qui s’est fait connaître du grand public en participant à la saison 3 de The Voice Belgique et a, depuis, signé avec la maison de disques Pias – a performé, cet été, sur la scène de nombreux festivals: Paradise City, Lokerse Feesten, WECANDANCE et même les fêtes populaires de Rixensart, son village d’origine. « J’y vais depuis toujours. C’était comme un rêve de petite fille qui se réalisait », avoue-t-elle.

A la rentrée, la jeune femme dévoilera un nouveau single dont le clip promet d’être captivant. Pour son premier album, par contre, il faudra s’armer d’un peu de patience: il ne sortira pas en 2019. Mais Tessa y promet un son éclectique, miroir de sa personnalité, où les chansons s’égrèneront selon un fil conducteur très personnel. Maturité musicale et art du teasing : elle a déjà tout d’une grande. Y.B.

Thomas Gunzig, auteur
Thomas Gunzig, auteur© PULP PICTURES

Thomas Gunzig, auteur: « Je ne suis pas fan de desserts, mais ça… »

« Ma madeleine de Proust? J’ai ce qu’il vous faut! », s’enthousiasme d’emblée Thomas Gunzig. Alors que son roman Feel Good vient de débouler dans les librairies, l’auteur s’autorise volontiers une parenthèse hors-promo pour évoquer cette félicité culinaire qui le poursuit depuis l’enfance. « C’est une forêt-noire. Mais pas n’importe laquelle: celle de chez Wittamer, la pâtisserie du Grand Sablon, à Bruxelles. Depuis que j’ai 4 ou 5 ans, j’en déguste une chaque année pour mon anniversaire. Une tradition qui se perpétue depuis que ma grand-mère, qui avait un magasin de meubles dans le centre-ville, allait me chercher le fameux gâteau à chaque fois que je soufflais une bougie. Après, c’est devenu une coutume. Hélas, ma grand-mère n’est plus, mais ma fiancée a pris le relais, ou parfois, je vais moi-même m’offrir le sésame… »

Pourquoi cette recette-là plutôt qu’une autre? « Parce que c’est la meilleure du monde! L’histoire de la forêt-noire est jalonnée d’erreurs: certains ont même essayé d’y ajouter une meringue aux fruits confits – je déteste les fruits confits autant que la frangipane. Or, ici, on est dans la pure essence de la création. Et c’est la même recette depuis le début. Je ne suis pas fan de sucre ou de desserts, mais ça… » On le sent: l’homme pourrait composer un bouquin entier sur ce plaisir perpétuel. Il y a pourtant d’autres arbres derrière la forêt, comme le coco – « j’ai toujours aimé les Bounty, par exemple » – un poulet bien rôti, le thé vert, le jus de pamplemousse, les plats libanais, thaïlandais ou burkinabés. « Et puis l’épatante cuisine du Japon, qui est à la fois raffinée, saine, riche et légère, tout ce qui me plaît dans la nourriture. Moi-même, j’adore cuisiner, pour la préparation en soi, mais aussi pour les saveurs et le partage. Ce qui est marrant, c’est que la plupart de mes romans ont pris vie dans une ville étrangère. Les premiers mots de Feel Good me sont venus à Thessalonique, alors que j’étais devant une immense assiette de sardines grillées. » N.B.

  • Feel Good, par Thomas Gunzig, Au diable vauvert, 398 pages.
Nathalie Uffner, comédienne, metteuse en scène et directrice du TTO
Nathalie Uffner, comédienne, metteuse en scène et directrice du TTO© PULP PICTURES

Nathalie Uffner, comédienne, metteuse en scène et directrice du TTO: « J’avais l’impression que j’étais alcoolique »

Elle devait avoir 10 ans, pas plus, et déjà elle se racontait des histoires qui rendent la vie plus drôle. En douce, elle ouvrait le grand coffre en bois que ses parents avaient eu le bon goût de transformer en bar années 70. La bouteille de Gancia lui faisait de l’oeil, elle en buvait une rasade, au goulot. « J’adorais, j’avais l’impression que j’étais alcoolique. » Celle qui, parmi ses multiples casquettes, est directrice du Théâtre de la Toison d’Or, à Bruxelles, précise comiquement « alors que je ne l’étais pas » -on n’en avait jamais douté. Le rouge coquelicot de ce liquide sucré qui laisse à la fin une pointe d’amertume en bouche est, heureux hasard, raccord à ses lèvres toujours peintes. Et si Nathalie Uffner l’a préféré à toute autre madeleine, c’est parce qu’en matière de mets, voluptueusement gourmande, elle en a « des milliers, des milliards et qu’en choisir un aurait été compliqué ». Les traces de cette lampée à charge émotionnelle puissante valent toutes les nourritures terrestres. D’autant qu’elle fut secrète: personne n’a jamais su, a fortiori sa mère, qu’elle buvait son Gancia en cachette – « elle le découvrira en lisant cet article… » Ne riez pas, vous n’avez encore rien vu. En attendant, la directrice du TTO se réjouit de la saison qui débute, qui la verra monter à nouveau sur scène dans Sisters de Myriam Leroy, Mehdi Bayad et Albert Maizel, accueillir Achille Ridolfi, « acteur exceptionnel » dans son Anti-héros qu’elle met en scène avec acuité, envoyer Laurence Bibot se distinguer au Cirque Royal et, c’est une première, co-produire avec le Théâtre national My Father Held a Gun, un face-à-face salvateur entre l’Iranien Sahand Sahebdivani et l’Israélien Raphael Rodan. Tout ceci ne l’a évidemment pas empêchée de repenser la carte full dürüms de son resTTO, sous le regard avisé du chef Benoît Stas, afin que dans son laboratoire culinaire, « le plus bobo des dürüms », mérite sérieusement son qualificatif dikkenek. A.-F.M.

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