Invisibles des clients, les cuisines « fantômes » nouvelle tendance de la restauration

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Vous ne pourrez pas aller y manger ni même y retirer votre commande, les cuisines « fantômes » préparent uniquement des plats à livrer, un nouveau modèle qui a décollé aux Etats-Unis avec la pandémie.

Ne cherchez pas un restaurant Firebelly Wings ou un Monster Mac où que ce soit sur le territoire américain. Vous ne verrez jamais leur enseigne dans la rue.

Leurs ailes de poulet ou leurs macaronis sont pourtant à portée de smartphone, via une plateforme de livraison à domicile. Ces marques, comme des dizaines d’autres, ont été inventées uniquement pour être livrées.

Leurs plats sont préparés dans des cuisines dites « fantômes » (ghost), des espaces fermés au public.

Le phénomène, aussi appelé « dark kitchen », déjà en pleine expansion depuis deux ou trois ans, a bénéficié d’un puissant coup d’accélérateur à la faveur de la pandémie.

« Les habitudes des consommateurs ont été changées par le Covid-19 », souligne-t-on chez Nextbite, l’un des opérateurs de ces cuisines fantômes, qui est notamment derrière Firebelly Wings ou Monster Mac. « Des gens qui n’avaient jamais utilisé ces plateformes (de livraison) s’y sont mis. »

Restaurants fermés des mois durant, puis ouverts sous restrictions, clients échaudés, préférant manger chez eux, tout ou presque plaidait pour la livraison.

De janvier à septembre, DoorDash, leader des plateformes de livraisons de plats aux Etats-Unis (47% de part de marché), a géré 543 millions de commandes, soit le triple de l’an passé.

Le mouvement des cuisines fantômes « capitalise beaucoup sur les fermetures de restaurants, mais je pense qu’ils créent aussi un espace, une demande », estime R.J. Hottovy, analyste du cabinet Aaron Allen & Associates.

– Cuisines à louer –

Zuul, C3, Kitchen United ou encore CloudKitchens – du co-fondateur d’Uber, Travis Kalanick – proposent aux restaurateurs des cuisines, parfois tout équipées, une interface pour gérer les commandes et souvent des conseils pour le développement de leurs marques.

C’est ce dernier aspect que met en avant Nextbite, qui aide les restaurants à mettre au point de nouveaux menus, développés dans leurs cuisines existantes.

Des acteurs de la restauration traditionnelle se sont également positionnés sur le créneau, et ouvrent des cuisines fantômes sous leur propre nom ou inventent, eux aussi, de nouvelles offres culinaires.

« Tout le monde essaye de trouver une solution à la pression à la baisse sur les marges », met en avant Kristen Barnett, n°2 de Zuul, qui gère une installation de près de 500 m2 dans le quartier de Soho, à New York, abritant neuf « cuisines » différentes.

Pour Michael Roper, directeur général de la petite chaîne de fast-food Muscle Maker Grill, ouvrir une « dark kitchen » représente un investissement de 75.000 dollars, quand un restaurant classique coûterait « entre 350.000 et 500.000 ».

Et avec une cuisine de location, « je peux passer assez rapidement d’un concept de salades à une marque de burgers », décrit-il, « avec, comme seuls coûts supplémentaires, des visuels et éventuellement le dépôt du nom. »

Pour améliorer encore les marges, Zuul propose, lui, sa propre plateforme de commandes, censée se substituer, à moindre coût, aux géants de la livraison comme DoorDash ou Uber Eats, qui prennent jusqu’à 30%.

– « L’industrie a changé » –

Les cuisines fantômes se passent, par définition, des serveurs, des managers et autre personnel de ménage qui officient dans des restaurants traditionnels.

R.J. Hottovy observe que le secteur de la restauration s’est, de manière générale, résolument orienté vers un « modèle plus productif » depuis quelques années, ce qui « laisse probablement présager d’une contraction des emplois » à moyen terme.

Le Restaurant Opportunities Center United, association de soutien aux employés de la restauration, a récemment mis en garde contre une précarisation renforcée, liée aux « dark kitchens », plus mouvantes que les restaurants classiques.

Pour certains dans l’industrie, cette formule a permis de négocier la crise du Covid-19, en offrant des débouchés supplémentaires.

Mieux vaut prendre les devants, surtout pour les petites chaînes et les établissements indépendants, les premiers « à risque » face à l’émergence des cuisines virtuelles, selon R.J. Hottovy.

Une fois le virus sous contrôle, et les restaurants libres de servir comme bon leur semble, « le consommateur ne reviendra pas en arrière », annonce Michael Roper. « Il continuera à commander. Toute l’industrie a changé. »

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