La crevette, cette poule aux oeufs d’or des riziculteurs vietnamiens

© AFP

Avec sa montre de luxe en or, Tang Van Cuol est loin de l’image du riziculteur vietnamien moyen. L’origine de sa fortune ? Les crevettes, qu’il élève désormais, plutôt que de cultiver ses rizières.

Cuol vit dans le delta du Mékong, surnommé « le bol de riz » du Vietnam, la région étant une grosse productrice de la céréale la plus populaire d’Asie. Mais après des années à peiner à joindre les deux bouts, entre rizières, cultures d’oignons et élevage de canards, il s’est converti à la crevette.

« L’élevage de crevettes, cela rapporte tellement! », s’enthousiasme Cuol, devant un déjeuner impressionnant, fait de riz, de porc et de crevettes. Il a pu s’acheter grâce à ses gains plusieurs motos et payer un beau mariage à sa fille. Cette année, il pense gagner un milliard de dongs, soit près de 40.000 euros, une somme énorme pour cette région du delta, connue pour la pauvreté de ses riziculteurs.

Au-delà du cas de Cuol, l’arrivée de la crevette a été une aubaine pour cette province de Soc Trang: les motos y ont supplanté les vélos, les routes sont bien entretenues et des maisons modernes ont été bâties. Mais les défenseurs de l’environnement mettent en garde contre les méfaits de la multiplication des fermes de crevettes dans le delta d’un des plus grands fleuves du monde, déjà touché par un problème de salinisation de ses eaux. Celle-ci est liée au réchauffement climatique et à une intense production rizicole.

« Cela n’est pas tenable, il y a déjà tellement d’éléments en défaveur du développement durable », s’inquiète Andrew Wyatt, responsable du programme de préservation du delta du Mékong pour l’ONG International Union for Conservation of Nature (IUCN). Pour construire leurs fermes à crevettes, les riziculteurs comme Cuol ont en effet détruit de précieuses mangroves, ces forêts au ras des côtes qui stabilisent le littoral et abritent un important écosystème, en Asie du Sud-Est notamment.

L’IUCN a mis en place un programme pour encourager les fermiers à préserver la mangrove et à la replanter, mais aussi à produire des crevettes bio, une véritable révolution dans un pays à la forte consommation de pesticides et autres produits chimiques. Mais, de nombreux agriculteurs préfèrent les profits à court terme, quitte à vendre leurs crevettes moins cher que les bios.

Du cocotier aux smartphones

Tang Van Tuoi se souvient de l’époque où, fils et petit-fils de riziculteur, il n’avait qu’un toit en feuilles de cocotier au-dessus de la tête et juste de quoi nourrir sa famille.

Mais l’infiltration d’eau salée dans ses rizières, en raison de la hausse du niveau de la mer, l’a décidé à passer à la crevette dès les années 1990. « Aujourd’hui, tout s’est développé, nous avons des voitures, des routes, les choses ont énormément changé », explique ce précurseur, dans son salon équipé d’un écran plat.

Les bonnes années, il peut gagner près de 40.000 euros lui aussi. Grâce à sa bonne fortune, il a pu construire trois maisons pour sa famille, et lui aussi acheter plusieurs motos, le véhicule roi au Vietnam.

« Nous avons de l’argent, nous avons de tout », se félicite ce père de six enfants, pendant que sa petite-fille joue à un jeu vidéo sur son smartphone.

Il confesse des revers ces dernières années, avec des maladies ayant ravagé ses bassins de crevettes parfois. Malgré les risques du secteur, la réticence des autorités à ouvrir l’ensemble de la région du delta à la culture de crevettes suscite l’incompréhension des paysans.

Qu’importe que l’Etat communiste fasse valoir le risque de dégradation de l’environnement et de progression de la salinisation, qu’il ait déjà investi des millions d’euros pour préserver les rizières de la progression du sel, les candidats à la culture de crevettes trépignent.

Car la crevette, vendue principalement en Europe et aux Etats-Unis, se monnaye bien plus cher que le riz. La production de riz vietnamien n’a cessé de diminuer depuis 2011, rapportant moins de deux milliards d’euros en 2016, contre quelque 2,5 milliards pour la crevette.

Et le gouvernement ambitionne de tripler ce chiffre, sans préciser comment il compte résoudre son dilemme, entre course au profit et préservation de l’écosystème fragile du delta du Mékong.

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