Laurent Gerbaud, un chocolatier au théâtre

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Isabelle Willot

Pour les 10 ans de sa boutique, le chocolatier bruxellois vient d’ouvrir un comptoir à glaces aux parfums de pralines. Cet été, ses créations monteront aussi sur scène dans le Festival Off, à Avignon.

Il a beau être diplômé en histoire, il ne faut pas lui en conter dès que l’on parle de chocolat. Peu importe l’emballage ou le « storytelling », une fois la praline croquée, le verdict sera sans nuance. « C’est bon ou ça ne l’est pas, point à la ligne », assène avec malice l’audacieux inventeur de la ganache aux olives Taggiasche ou de la tablette lait cumin. Dans sa quête de la praline parfaite, Laurent Gerbaud pourrait bien s’identifier, timidité maladive en moins, aux personnages du film Les émotifs anonymes (2010) en passe d’être adapté au théâtre cet été, dans le Festival Off d’Avignon (*). Son « gare aux noisettes », à la fois croquant et liquide, a tout du Graal chocolaté « suave, qui coule en bouche mais sans coller », rêvé par Angélique et Jean-René, ces deux antihéros pour qui l’or noir n’est pas une friandise comme les autres… Alors, quand Nicolas Buysse, son pote de dix ans, lui a proposé de conseiller la troupe dans son aventure un peu folle, c’est tout naturellement qu’il leur a fait goûter cette bombe addictive que l’on vient chercher de loin dans sa boutique.

Nous enverrons même des vapeurs de chocolat chaud dans la salle.

Il n’en aura pas fallu davantage pour faire de lui le fournisseur officiel de la pièce: soit la quinzaine de chocolats dévorés sur scène chaque soir sans oublier ceux que pourront goûter les spectateurs des premiers rangs – à bon entendeur donc… – conviés par les acteurs à la dégustation! Des moules en droite ligne du magasin de la rue Ravenstein prendront aussi place dans le décor modulable tenant tour à tour lieu de divan de psychanalyste, de ligne d’emballage, d’atelier ou de table de restaurant. « Histoire de mettre le public dans l’ambiance, nous avons même prévu d’envoyer des vapeurs de chocolat chaud dans la salle », ajoute cet insatiable titilleur des sens. Pour résister à la fournaise avignonnaise, tout le stock sera conservé dans une chambre froide avant la représentation quotidienne. C’est aussi le climat extrême qui a motivé le choix des chocolats « d’habillage » qui tapisseront le ballotin baladeur, soit essentiellement des palets purs et bien sûr les pralinés « gare aux noisettes », heureusement moins fragiles qu’une ganache à la crème.

Benoît Poelvoorde dans Les Émotifs anonymes, de Jean-Pierre Améris
Benoît Poelvoorde dans Les Émotifs anonymes, de Jean-Pierre Améris© ISOPIX/Antoine Legrand/Tribeca Film

« Ma quête à moi consiste à toujours partir du meilleur ingrédient possible, pointe celui qui, enfant, dévorait des bâtons de Jacques aux noisettes après la piscine. Et de trouver ensuite la combinaison qui fera que l’on en mange un, puis deux et puis… que l’on ne puisse plus s’arrêter. » Attaché à ses chocolats, qu’il rechigne à retirer même temporairement de son assortiment pour faire de la place à ses créations, Laurent Gerbaud ne sort que quelques nouveautés chaque année, dans la boutique devenue aussi salon de thé qui n’a pas bougé depuis 2009. En attendant la « grosse fiesta » qui scellera la décennie d’existence de ce lieu de haute gourmandise, le Bruxellois vient d’installer un comptoir à glaces où l’on pourra retrouver en version glacée toutes les saveurs des pralines, dans des bases crème « tunées » (sic) comme une stracciatella.

Aux collections saisonnières un brin artificielles, il préfère résolument les collabs inscrites dans la durée avec d’autres acteurs locaux, comme Dandoy dont il « couvre » désormais les biscuits ou la Fondation Boghossian pour laquelle il a imaginé une variation à la grenade séchée. Dans un coin de sa tête trotte aussi l’idée de créer, de concert avec quelques « collègues » spécialisés dans le « bean to bar » – soit la production intégrée depuis la récolte de la fève – quelques pralines éphémères qui « sortiraient de l’ordinaire ». Des histoires de rencontres, toujours. L’export, les gros volumes et son nom sur un tas de boutiques franchisées, il préfère ne pas s’y frotter. « Mon truc à moi, conclut-il, ce sont les petites quantités, le frais, le local. Et le super bon. » L’art d’avoir tout bon.

(*) La pièce, mise en scène par Arthur Jugnot, fera ses armes en juillet prochain au Festival Off d’Avignon (www.theatredesbeliers.com) avant de réjouir les spectateurs du Public (www.theatrelepublic.be), en janvier prochain.

Bio express

1996. Etudie la boulangerie-pâtisserie-chocolaterie au Ceria, à Bruxelles, en cours du soir.

2001. Se lance dans les cuisines de sa grand-mère puis au centre Dansaert et vend surtout sur les marchés.

2009. Ouvre sa boutique 2D, rue Ravenstein, à 1000 Bruxelles.

2019. Devient fournisseur de la pièce Les émotifs anonymes et installe son comptoir de glaces maison.

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