Le boom du dim sum

Fraîches, rapides et pratiques, ces petites bouchées cantonaises, dans leur version diététique, filent à toute vapeur dans les restos tendance. Mais connaît-on vraiment les dim sum ?

Fraîches, rapides et pratiques, ces petites bouchées cantonaises, dans leur version diététique, filent à toute vapeur dans les restos tendance. Mais connaît-on vraiment les dim sum ?

Yoom, rue des Martyrs, Paris IXe. Une recherche sur Google le confirme: rarement l’ouverture d’un concept de restaurant n’avait autant enflammé la blogosphère culinaire. Cause de l’incendie: cette cantine s’est autoproclamée pionnière des dim sum dans la capitale. Bonne nouvelle pour nombre de gastronomes, qui se ruent dans ce décor Chine chic pour avaler en deux coups de baguettes des petites bouchées vapeur lovées dans leur panier rond en bambou.

« Toucher le coeur » Imposture pour d’autres, qui, du haut de leur sinophilie, crient à la falsification des traditions cantonaises! Et ce débat brûlant n’est pas près de s’éteindre, les restaurants spécialisés dans les dim sum s’étant multipliés ces derniers mois, de Sum, rue des Pyramides, à Mitsou, vers Saint-Philippe-du-Roule.
Dim sum: deux syllabes cristallines qui tintent comme une promesse gourmande. Autant que leur traduction littérale: « toucher le coeur ». Ces petits plats appréciés partout en Chine sont couramment associés à Hongkong, même si leur capitale historique est Canton. Puis la tradition a entamé son tour du monde dans les bagages des émigrants cantonais. On la retrouve sur les traces de la diaspora, des Etats-Unis à l’Australie en passant par la Grande-Bretagne, où la chaîne de restaurants Ping Pong, alignant 12 adresses à Londres, brille autant par son succès que par l’authenticité de ses petits plats.

Riches en gras de porc En France, c’est une autre histoire. Si, dans les années 1970, on trouvait d’excellents dim sum au restaurant cantonais la Vallée des bambous, rue Gay-Lussac, et si la cantine Tricotin les sert depuis longtemps dans les règles de l’art, ces mets furent longtemps assimilés aux raviolis vapeur des traiteurs chinois, dont les services d’hygiène ont révélé au grand jour, il y a quelques années, les origines douteuses. Jusqu’à ce qu’une nouvelle génération de snacks branchés les brandisse comme le Graal de l’inédit, de la convenient food (nourriture pratique) et du diététiquement correct.
C’est oublier un peu vite l’identité profonde de ce totem chinois. Primo, une caractéristique essentielle du dim sum est sa richesse en lipides, en gras de porc pour ne rien vous cacher. C’est le secret de son goût. Et cuisson à la vapeur, dans ce cas, n’est pas synonyme de régime. Tel est le dim sum: petit mais canaille, délicat mais pas complexé, il est purement cantonais, c’est-à-dire rabelaisien jusqu’au bout des ravioles. En France, pour satisfaire au diktat caloriphobe, on l’a soigneusement dégraissé, décochonnisé. Le dim sum à la française n’est plus que l’ombre de lui-même.

Certaines maisons de thé en proposent près de 200 Deusio, le thé est la raison d’être du dim sum, d’où leur autre nom à Canton, yam’tcha (« boire du thé »). Nés avec les maisons de thé de la dynastie Song (960-1279), ces en-cas accompagnaient le breuvage favori des paysans et des caravaniers de la route de la soie. En effet, il faut manger quand on boit du thé. C’est physiologique. Le thé réveille l’énergie, mais il a aussi la vertu d’activer le métabolisme des graisses et de hâter la digestion. Bus seuls, les thés de Chine ramonent l’estomac. Au bout de quelques tasses, une ivresse se déclare, puis des vertiges, que l’on calme en mangeant. Et, comme le thé fait digérer, la faim revient très vite et oblige à remanger, de préférence avec du thé. D’après certains, c’est grâce à ce cercle vertueux que les Cantonais restent minces alors qu’ils mangent toute la journée une cuisine très grasse.
Vous voulez des preuves Rendez-vous à Canton, où vos hôtes vous embarquent au restaurant dès votre arrivée (les vols Paris-Canton atterrissent souvent à l’aube). 5h30, c’est l’heure idéale. Encore étourdi par douze heures de long-courrier, vous voilà attablé dans un hangar à manger noir de monde, fleurant l’ail, les fruits de mer et le bambou chauffé. Des chariots chargés de paniers fumants partent dans toutes les directions. Vous n’auriez jamais cru voir tant de personnes festoyer si tôt. Familles, troisième âge venu refaire le plein après la gymnastique matinale -le kung-fu et le tango, ça creuse-, ouvriers, commerçants, livreurs à vélo, petits métiers faisant leur première pause de la journée… Et, sur chaque table, une grosse théière en porcelaine, chargée à bloc. La diversité des mets est étourdissante. Certaines maisons de thé en proposent près de 200, à cocher sur des formulaires imprimés pour passer commande.

Bouchées frites, tripes de boeuf, pattes de poulet… Sur le plateau tournant au centre de la table s’entassent les paniers en bambou, mais aussi -preuve que le dim sum est très loin de se limiter au ravioli vapeur- les soupières de congee (soupe de riz mijotée), les bouchées frites, les tripes de boeuf et les pattes de poulet mijotées, les petits chaussons dorés au four, les tartelettes aux oeufs, les génoises aériennes, le tofu au sirop de gingembre. Il y a tout cela, et bien plus, dans un repas de dim sum, et aucun ordre de consommation. Sucré et salé se succèdent sans logique apparente. Le repas se termine quand on est repu.
Le service des dim sum se prolonge rarement au-delà de l’après-midi. Il s’arrête quand il n’y a plus rien à manger. Dans certains restaurants, on passe alors à d’autres plats. Dans d’autres, si vous arrivez après midi sonné, vous risquez d’entrer dans une salle quasi déserte où une famille encore attablée se cure les dents d’un air rêveur tandis qu’on nettoie la cuisine. Plus de dim sum avant la prochaine aurore: telle est la dure loi cantonaise.
La France n’a heureusement pas épuisé toutes ses cartouches. Dans les coulisses du Shangri-La, le nouveau palace parisien, l’ancien chef deux étoiles Michelin Philippe Labbé et un groupe d’élite de cinq chefs hongkongais préparent la riposte. Au printemps 2011, ils serviront à la table du Shang Palace « des vrais dim sum de compétition », dixit le chef, qui ne veut pas en dire plus. Comprenez : gras, luisants, savoureux et servis avec son vieux compagnon, le thé oolong (semi-fermenté) ou pu-er (fermenté). De vrais dim sum, quoi.

Par Sophie Brissaud, l’EXPRESS Styles

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