Le Verschueren, une institution bruxelloise en danger

Le Verschueren à Saint Gilles
Aurélie Wehrlin Journaliste

C’est un haut lieu de Saint-Gilles, et un incontournable pour qui découvre Bruxelles: la brasserie Verschueren, sur le parvis effervescent de la commune. Une institution comme on dit, mais que la crise du covid a fragilisée, jusqu’à la précipiter au bord de la faillite. Une alternative funeste qui laisserait une béance dans la vie culturelle et sociale locale. Un sort malheureusement largement répandu à Bruxelles et au-delà. Rencontre avec Robert Van Craen, patron du Verschueren, qui nous explique la froide réalité.

QG de nombreux Saint-Gillois, le Verschueren est aussi une escale incontournable de nombreux « touristes » en quête de l’esprit brusseleir. Car ce bar, créé en 1880, réussit cette gageure, en marge d’un parvis de plus en plus drapé de marketing. C’est que derrière la devanture style moderniste teinté d’Art Déco, l’ambiance au « Verschu » n’existe nulle part ailleurs. Local clandestin de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, il semble flotter toujours ici un vent de liberté. Enfin ça, c’était avant les conséquences de la crise et des confinements successifs. Aujourd’hui le Verschueren est au bord de la faillite. Une annonce qui a mis en émoi les réseaux sociaux. Rencontre avec Robert Van Craen, patron du lieu passionné par son métier, au lendemain de cette publication qui a suscité une avalanche de réactions.

Le Vif Weekend.be: Depuis quand tenez-vous le Verschueren?

Robert Van Craen: L’exploitation de la brasserie Verschueren date de 1880. C’était à l’origine le comptoir de vente d’une brasserie bruxelloise appartenant à la famille du même nom, dont Louis, le patriarche, brassait de la gueuze kriek faro et lambic. Les clients pouvaient la déguster et s’approvisionner sur place d’où l’appellation Brasserie Verschueren

Fin des années 90, ce bistrot était pratiquement à l’abandon et fermé malgré ces heures de gloires. Et cela suite à l’arrêt du dernier exploitant, à plus de 80 ans, Roger Verschueren. Je n’ai pas hésité à le reprendre. Je suis un amoureux des cafés, et ce fut un coup de foudre. Je l’ai restauré, ce qui signifie ne pas modifier ce bar pour en faire un endroit à la mode, mais le rénover, pour dans le respect de l’histoire lui redonner son lustre d’antan. Et le public a rapidement suivi.

J’ai par la suite réussi à le faire classer, car je voulais que, quoi qu’il m’arrive, une banque ne vienne prendre cet espace. Je voulais que cela reste un café. Regardez le parvis, vous avez en face du Verschu une caisse d’assurance social qui a pris la place d’un historique restaurant moule frites. On y voit encore les fenêtres « guillotines » typique des cafés de l’époque.

Pour l’anecdote, suite à ce classement, les héritiers Verschueren ont tenté de déclasser le bâtiment considérant qu’il ne faisait pas partie du patrimoine belge. Ouf, j’avais vu juste et cela a été ma plus belle réussite professionnelle. Ensuite, l’indivision Verschueren m’a proposé de racheter le bâtiment mais une grosse brasserie m’a soufflé la vente sous le nez et je suis maintenant locataire avec un contrat d’obligation et d’allégeance à cette brasserie. Mais c’est là une autre histoire et spécificité de notre profession.

Après maintenant 22 ans d’exploitation, l’équipe se compose de plus de 20 contrats répartis entre une équipe de base et de fidèles qui m’entourent et une équipe de contrats d’étudiants. Les étudiants nous amènent cette jeunesse qui maintenant me fait défaut.

u003cstrongu003eu0022Les bars u0026#xE0; l’arru0026#xEA;t, on aurait tendance u0026#xE0; croire que l’on ne fait rien de nos journu0026#xE9;es. Or on les passe u0026#xE0; se battre.u003c/strongu003e

Quelle est votre situation actuelllement?

RVC: Nous sommes « techniquement en faillite ». Aucune entreprise n’est viable en étant fermé la moitié de l’année. Aucune. Et il ne faut pas croire que le « take away » sauve les restos. Je discutais encore hier avec un confrère restaurateur qui me disait, qu’il ne vendait pratiquement plus de take away, car l’offre sur le net était trop importante. Il jette l’éponge et ne rouvrira pas. Et pour les cafés, c’est encore plus simple : la commune nous a interdit le take away car ils n’ont pas osé nous défendre argumentant que les cafés n’ont pas le droit d’en faire. Pourquoi? Allez poser la question à ceux qui font ces règles. Moi, je n’ai malheureusement pas de réponse. Le problème actuel est la liquidité de trésorerie. On a plus de cash. J’ai été poursuivi le semaine passée par un huissier pour… 106 euros d’une assurance non payée. Le monde tourne fou !

Avez-vous écho de la situation de vos confrères?

RVC: Ma réponse est simple; nous sommes tous dans la même situation, personne n’est épargné. Mais tous n’ont pas comme moi quarante ans de travail derrière eux et quelques économies. Je suis très inquiet pour la majorité des cafés existants. Et plus encore, à la prochaine réouverture, j’ai bien peur de devoir pleurer en silence la mort de votre café de quartier. Je suis sidéré d’entendre des gens dirent : « Cela va nettoyer le secteur ». Il risque surtout de ne plus y avoir de secteur du tout. Et qui va en profiter ? L’immobilier. Un investisseur n’a pas les mêmes objectifs de rentabilité que nous. Ma carte se résume entre, une eau à 1,60€ et une triple brassée maison à 3,60€ et bien entendu un café ne serait pas un café sans une bonne pils à 2 €. Et ces « spéculateurs » de l’immobilier attendent gentiment.

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Qu’espérez-vous aujourd’hui?

S’il n’est pas déjà trop tard, ouvrir vite vite vite et cela dans le respect des règles sanitaires qui protègent autant mon personnel, qui doit travailler en première ligne, que nos clients qui doivent se protéger. Si mon équipe est contaminée, je dois aussi fermer.

J’espère aussi le réajustement des aides au regard de la spécificité de notre secteur. Merci pour le droit passerelle, merci pour l’activation rapide de mise en chômage mais 3000 € de subside par point d’exploitation c’est un peu maigre.

Et pour avoir minutieusement tenté de déchiffrer chaque offre, je peux vous dire qu’aucune aide n’est adaptée pour les petites exploitations et donc en mesure de sauver nos cafés. En vous disant cela, j’ai la boule au ventre.

Pour participer au crowdfunding >>> www.growfunding.be/fr/bxl/brasserieverschueren

Quelques chiffres

En septembre, l’horeca confirmait déjà son triste statut de « secteur le plus fragilisé par la crise » représentant 17,7 % de jugements de l’année (les cafés et bars (325 cas), les restaurants (311), les snacks (291) et les hôtels (23)).

En septembre, notre confrère Pascal Flisch évoquait sur Trends.be la prévisibilité de la fin d’année « Beaucoup d’entre elles sont à bout de souffle et vont connaître un dernier trimestre très difficile. Les délais obtenus pour payer les charges sociales et fiscales vont échoir et beaucoup d’entreprises seront incapable de les honorer. »

Nos confrère de L’Echo prévoyaient début septembre, que 4 établissements sur 10 seront « techniquement » en faillite d’ici la fin de l’année.

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