Noble Belgique: focus sur 7 ambassadeurs de la gastronomie belge à travers le monde
Longtemps cantonné à la trilogie frites-bière-chocolat, notre plat pays a réussi à s’élever pour atteindre une place confortable dans le paysage gustatif des gourmets cosmopolites. Une transition menée par des ambassadeurs passionnés. Nous sommes partis à la rencontre de sept d’entre eux.
1. Mallory Gabsi, des frites en bord de Seine
Si ces derniers mois, les fermetures d’établissements ont plutôt été dictées par les (re)confinements, Mallory Gabsi, lui, a dû renoncer à son restaurant parisien éphémère pour cause de succès de foule l’été dernier. Installée sur le quai de Seine, sa péniche a attiré des files interminables de gourmands au mois de juillet, venus pour voir de plus près l’attachant candidat de Top Chef, mais aussi et surtout pour goûter ses frites. Un clin d’oeil à l’émission plutôt qu’aux origines du Bruxellois de 24 ans: « Je n’ai pas voulu proposer des frites parce que je suis belge mais bien parce que durant l’émission, le restaurant dédié à la pomme de terre qu’on avait créé avec Adrien durant « la guerre des chefs » avait cartonné. C’était l’occasion de le concrétiser. » Et d’avouer en souriant qu’il ne s’attendait pas à attirer autant de monde: « Si j’avais su, on aurait prévu une péniche plus grande. » Et si Mallory a conscience d’avoir contribué à cette image lors de son passage dans la capitale française, il confie que même si on peut en rigoler, ça l’ennuie qu’on associe toujours la Belgique aux frites, à la bière et au chocolat. « Je trouve ça réducteur. On a plein de bonnes recettes et de bons cuisiniers, avec un niveau de gastronomie poussé très loin, mais on est toujours ramenés à une gamme plus populaire. » La raison selon lui? « La France est un grand pays, cela a facilité l’exportation de sa cuisine. En Belgique, on est plus petits, mais ça ne veut pas dire que le pays ne sera jamais mis à l’honneur pour sa gastronomie. » Patience, donc.
2. Pierre Marcolini, chocolatier planétaire
On ne présente plus le pétillant chocolatier bruxellois, ni en Belgique, où il fait mentir l’adage qui veut que nul ne soit prophète en son pays, ni à l’étranger, où il a multiplié boutiques et collabs. Non content d’ouvrir plusieurs enseignes à Londres, il a séduit les sujets de Sa Majesté grâce à diverses créations sucrées avec Victoria Beckham. Au Japon, où il a également plusieurs boutiques, il rassemble des centaines de journalistes à chaque conférence de presse, et en Chine, marché notoirement difficile, il est doucement en train de faire entrer la praline dans les moeurs. Grâce à des recettes innovantes et à des ingrédients de qualité, certes, mais aussi à une ambition réfléchie et à une véritable passion pour son métier. Pierre Marcolini se sent investi d’une forme de responsabilité envers la réputation de notre nation, à l’heure où notre monopole sur ce produit est de plus en plus grignoté. « La Belgique jouit d’une expertise, mais ces dernières années, quand on va au Salon du Chocolat à Tokyo ou Shanghai, ce sont des marques françaises qui occupent la plus grande place. C’est dommage, mais pas surprenant, parce que maintenir un niveau d’expertise passe par l’enseignement, or chez nous, l’apprentissage est lourd et coûte cher. Si on ne préserve pas la transmission de savoir, on se fait devancer. » Toujours curieux de se perfectionner, Pierre Marcolini, lui, garde une longueur d’avance sur la concurrence. Et s’il caresse le rêve d’ouvrir une académie d’ici à une quinzaine d’années – terminer sa carrière sur un rôle de transmission « serait la plus belle chose à faire » -, en attendant, il prépare une ouverture de boutique à Pékin: « Etre un ambassadeur de la gastronomie belge fait chaud au coeur, d’autant que ce n’est pas quelque chose qui était réfléchi dès le départ. Ça s’est fait au fur et à mesure, par envie, par ambition, mais aussi grâce au fait que le chocolat belge est une carte de visite extraordinaire. »
3. Cadieux Café, des moules à Motor City
La Motor City n’est pas que le berceau de la Motown et de l’industrie automobile, c’est aussi le seul endroit où pratiquer le Trabollen (ou « feather bowling » pour les locaux) aux USA. Proche du curling, la discipline, originaire de Flandre-Occidentale, a contribué à faire la renommée du Cadieux Café dès la fin de la Prohibition, l’établissement ayant fêté ses 100 ans en 2020. Fort d’une des plus grandes communautés de Belges du pays, avec environ 55.000 expatriés, le Michigan est l’écrin idéal pour servir une dose de belgitude aux nostalgiques et autres curieux, qui peuvent pratiquer cette activité, certes, mais aussi savourer une Trappiste fraîche ou goûter à du lapin à la flamande ou une casserole de moules. Etats-Unis obligent, ces dernières sont proposées en formule all-you-can eat tous les lundis, le record étant détenu par un ogre en ayant mangé 3,5 kilos d’affilée. Et si la famille Devos a aujourd’hui fait place à deux Américains, John Rutherford et Paul Howard, ces derniers ne sont pas moins déterminés à porter haut les couleurs de notre gastronomie. « Les gens sont surpris quand on leur explique que les frites viennent de Belgique et non de France », rit John Rutherford, qui souligne que les spécialités belges, surtout les bières et le chocolat, ont excellente réputation. Tout comme Eddy Merckx: « Il est une vrai légende ici, d’ailleurs on a une gigantesque photo de lui dans le bar. Peut-être qu’il nous rendra visite un jour. » Invitation lancée.
4. Patrick Van den Berghe, les carbonnades thaïlandaises
C’est lors d’une mission de consultance auprès des Forces spéciales thaïlandaises alors qu’il était para-commando que Patrick Van den Berghe a découvert cette contrée. Sa mission terminée, il n’a plus voulu rentrer, et après avoir d’abord travaillé comme manager d’un bar pour 5 euros par jour, en 1993, il a fini par racheter la guesthouse d’un couple de Belges et la transformer en son Patrick’s Belgian Restaurant. Près de trente ans plus tard, il se rappelle amusé la contrebande des débuts, quand il fallait charger les amis et la famille de passage d’amener dans leurs valises les ingrédients nécessaires à la préparation de carbonnades ainsi que des herbes telles que l’estragon. « Aujourd’hui, on trouve tout à l’import, même parfois de meilleure qualité, qu’il s’agisse de viande, de vin ou de fromage », assure le Gantois. Qui, chaque été et au moment des fêtes de fin d’année, voit un afflux de compatriotes ravis dans son restaurant. Les incontournables de la gastronomie noir-jaune-rouge selon lui? Les carbonnades et le vol-au-vent, même s’il concède qu’en Thaïlande, vu les températures, le steak-frites rencontre plus de succès.
5. Thomas DeGeest, gaufres and the city
Si on avait dit aux habitants de Bierbeek, un petit village proche de Louvain, qu’un jour, un de leurs compatriotes serait le roi de la gaufre outre-Atlantique, ils ne l’auraient probablement pas cru. Et pourtant, c’est bien le destin qui attendait Thomas DeGeest, souriant quinqua à la tête de l’empire Wafels & Dinges avec son épouse Rossanna Figuera. Présente dans six villes américaines (dont 10 établissements rien qu’à New York), l’enseigne a vu le jour à l’été 2007. Officiellement, parce qu’Albert II était scandalisé de la piètre qualité des gaufres US et a fait appel au Département des Gaufres du Ministère des Affaires Culinaires, qui a nommé Thomas DeGeest Chevalier de l’Ordre des Gaufres. Officieusement parce que ce dernier, ingénieur agricole de formation, a été transféré à Big Apple, est tombé amoureux de la ville et de son épouse, et le couple a choisi de se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat. « On a choisi les gaufres parce que c’est vraiment la nourriture la plus joyeuse qu’on puisse imaginer », raconte Thomas, qui s’amuse de voir que la légende de la mission royale convainc certains clients américains. « Si seulement notre famille royale se préoccupait vraiment des gaufres, le monde irait mieux! »
6. Xavier Denonville, une croquette made in Cambodge
Rien ne prédestinait Xavier Denonville et son épouse Joanne, deux trentenaires bruxellois ayant eu le coup de foudre sur les bancs de l’école, à ouvrir un restaurant au Cambodge. C’est en 2012, au hasard d’un voyage scolaire où le couple accompagne le père de Xavier, professeur en humanités, qu’ils découvrent cette destination. Deux ans plus tard, ils posent leurs valises à Siem Reap, où des millions de touristes se pressent chaque année pour admirer les temples d’Angkor Vat, pour y concrétiser leur rêve. « D’abord, on voulait proposer une cuisine belgo-asiatique mais en arrivant, on a vu qu’il y avait près de mille restaurants répertoriés sur TripAdvisor, et on a vite réalisé qu’il y avait déjà une offre de cuisine fusion de haut niveau, confie Xavier. On s’est dit qu’on allait rester sur ce qu’on connaissait et proposer de la cuisine belgo-belge, d’autant que notre pays et ses produits ont vraiment le vent en poupe à l’étranger. Il y a une culture du bon vivant et on fait partie des nationalités les plus appréciées. » Avant la pandémie, certains soirs, le couple accueillait plus de vingt nationalités différentes dans son établissement, dont le nom a été pensé en fonction de l’atmosphère cosmopolite de Siem Reap. « Si on avait appelé notre resto le Schieve Lavabo, ça aurait été impossible à prononcer pour des Chinois ou des Américains. Bel Air, c’est facile à dire et c’est le diminutif de Belgian atmosphere », sourit Xavier. Qui confie qu’importer l’atmosphère (et les produits) belges dans la jungle cambodgienne est parfois un casse-tête – « On a 31 bières belges à notre carte; il faut trouver des brasseurs qui acceptent d’envoyer des bacs mixtes. » Pour les croquettes de crevettes aussi, il a fallu ruser: « Importer des crevettes grises nous coûtait 120 euros du kilo; on aurait dû facturer 80 euros la croquette pour rentabiliser. » La solution? « De toutes petites crevettes roses provenant d’un lac tout proche. Ce n’est pas tout à fait le même goût, mais on s’adapte. »
7. Matthias Speybrouck, haute cuisine en chine
Décrite comme « légère et fascinante » par le guide Michelin et comme une « symphonie de textures riches et complètes », la cuisine de Matthias Speybrouck, chef du restaurant courtraisien Va et Vient, a séduit l’organisation Toerisme Vlaanderen, qui lui a proposé un délicieux défi à relever: prendre de manière éphémère les commandes du TRB Forbidden City, un des meilleurs restaurants de Chine, installé comme son nom l’indique dans la Cité interdite. C’est ainsi qu’une semaine durant, à l’automne 2017, le chef s’est retrouvé à devoir gérer une brigade dont il ne parlait pas la langue et à devoir trouver une méthode alternative pour leur inculquer l’exécution de ses recettes. « Il a d’abord fallu passer toute la liste d’ingrédients par Google Translate puis l’envoyer à l’équipe sur place. Même comme ça, certains ingrédients ne leur étaient pas familiers, donc j’ai pris des photos en détaillant en chinois le nom de chacun et son positionnement dans la mise en place de l’assiette. » Appuyé par une seule personne parlant anglais, Matthias Speybrouck a également fait face au rythme plus soutenu des restaurants chinois. « Là où chez Va et Vient, on sert 45 couverts, ici, c’était le double. Tout prend des proportions plus grandes, mais heureusement, la Belgique y a une excellente réputation, les Chinois savent qu’on mange bien chez nous et qu’on y trouve les meilleures bières du monde. » Même si, pour le Courtraisien, cette réputation gagnerait à être encore plus répandue. « On est quand même souvent oubliés car le Belge n’est pas assez chauvin. Il serait temps qu’on tape sur la table », souligne Matthias. D’autant que pour lui, cela ne fait pas un pli, les meilleures asperges du monde se dégustent en Belgique.
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