Pour le fondateur de Slow Food, le système alimentaire actuel est criminel et ne fonctionne pas

Carlo Petrini, fondateur du mouvement Slow Food © Belga Image

Slow Food, qui cherche à promouvoir un modèle alimentaire respectueux de l’environnement, célèbre cette année ses 30 ans. Son fondateur, Carlo Petrini, « l’un des 50 hommes pouvant sauver la planète » selon le Guardian, revient pour l’AFP sur les valeurs de son mouvement et ses défis.

En 1986, Slow Food naissait à Turin et dix ans plus tard le Salon du goût. Quel bilan faites-vous à l’occasion de ce double anniversaire?

Le travail le plus important qu’a fait Slow Food est d’avoir fait revenir le concept de « gastronomie » sous sa forme holistique, multidisciplinaire. L’idée d’une gastronomie, sous forme seulement de recettes, d’étoiles, est une idée très pauvre. La gastronomie veut aussi dire l’agriculture, la zootechnie, la biologie, la génétique, l’économie, la politique… C’est la façon dont Jean-Anthelme Brillat Savarin l’avait formulée en 1825, mais malheureusement tout le monde a ensuite réduit ce concept.

Aujourd’hui notre réseau s’est consolidé et diffusé (…) et la philosophie de Slow Food touche 160 pays. Ce qui au contraire n’a pas été complètement résolu, c’est la prise de conscience vis-à-vis d’un système alimentaire qui est criminel.

Dans le monde, un milliard de personnes souffrent de malnutrition ou de faim, tandis que deux milliards de personnes souffrent de maladies liées à une suralimentation ou une mauvaise alimentation. Ce n’est pas un système qui fonctionne. Pour produire de manière intensive, on détruit des écosystèmes, l’environnement, la biodiversité, et on génère d’énormes souffrances du fait des prix tellement bas payés aux agriculteurs. Et la honte la plus grande est le gaspillage alimentaire.

Quel regard portez-vous justement sur la crise agricole?

La politique des prix dans le secteur agricole est une politique de spéculation. Le lait est à un prix ridicule et celui du blé est celui d’il y a 30 ans! Il est vendu en dessous du coût de production. Les agriculteurs, les éleveurs sont dominés. Il faut renforcer l’économie locale, réduire les filières, rapprocher les citadins des fermiers, sinon l’alimentation devient un simple produit, de la spéculation financière, qui détruit la dignité des travailleurs de la terre. En Italie, l’an passé, plus de 500 petites fermes ont fermé. Il faut changer de paradigme. (…) Nous devons arrêter cette spéculation, la politique doit intervenir pour défendre des centaines d’entreprises agricoles. »

Terra Madre, né sous l’impulsion de Slow Food et qui promeut une agriculture durable, a un rôle très important auprès des communautés locales dans les pays en voie de développement, notamment en Afrique. Ce soutien doit être une priorité?

La situation en Afrique est dramatique, l’explosion démographique est énorme. En moins de 50 ans, la population aura doublé. Deux Africains sur trois ont moins de 25 ans. Le phénomène de migrations est lié aux changements climatiques, à la violence, à la guerre, à la pauvreté… et va encore augmenter. L’Europe, qui a une grande responsabilité historique avec le colonialisme et le néo-colonialisme, a mené une politique de vol, et doit en changer pour adopter une politique de coopération, de restitution, autrement cette situation dramatique rebondira sur le Vieux Continent.

L’agriculture a un rôle extrêmement important à jouer, pour l’économie de l’Afrique, pour donner du travail. Tout le monde pense que comme l’Afrique est un continent qui a faim, il faut mettre en oeuvre une agriculture intensive. Mais l’agriculture intensive est celle qui enlève le travail de millions de personnes, des femmes en particulier. Sur ce continent, où il y a encore des millions d’hectares de terres incultes, il faut miser sur l’agriculture à petite échelle, qui préserve la biodiversité, l’agriculture familiale, les rapports directs avec les villes. C’est ça le message de Slow Food mais aussi de toutes les organisations qui ont à coeur le futur de l’Afrique.

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