« Et alors cette reprise? » Les restaurateurs nous racontent
Après trois mois de fermeture forcée, les restaurants et bars ont été autorisés à rouvrir leurs portes à la clientèle le 8 juin. Les clients sont contents de retrouver leurs adresses préférées ou d’avoir la possibilité d’en découvrir de nouvelles. Mais quel est l’état d’esprit des patrons de restaurants, deux jours après cette reprise. On est allé prendre la température auprès de ceux qui se relèvent les manches, pour notre bon plaisir. Au menu: enthousiasme, inquiétude et gratitude.
Pierre Val, patron du restaurant Tandem et du bar à vins et cave Rubis à Saint Gilles
Après trois mois de confinement, c’est assez simple, matériellement, nous sortons considérablement endettés. Physiquement épuisés avec cette réouverture décidée officiellement il y a quelques jours à peine. Psychologiquement, comme tous les indépendants touchés, je suis passé par toutes les couleurs. Aujourd’hui mon humeur hésite entre la résignation et cette hargne inhérente à nos caractères d’entrepreneurs.
Nous avons abordé cette reprise sans trop se poser de questions. Durant le lockdown tout était suspendu assez légitimement. Puis nous n’avons pas eu le temps de réfléchir compte tenu des délais impartis afin de relancer l’activité. Il a également fallu s’adapter à a situation, cela était inévitable. Toutefois, en mon for intérieur demeure le sentiment que le pire est à venir, tel un couperet.
Le soutien de nos concitoyens est une grande motivation
Pour ce qui est de la rentabilité, je me laisse deux semaines d’expérimentation. Le plus difficile est de relancer le personnel avec un nombre limité de clients. Si cela ne s’avère pas rentable, il faudra réagir vite. Cependant nous n’avons pas hésité, nous souhaitions être présents à la reprise. Il faut dire que le soutien de nos concitoyens est une grande motivation.
Certains pensent qu’étant donné les restrictions, notamment en termes de place, les clients vont se reporter vers des adresses voisines; et de ce fait, tous les restaurants pourraient y trouver leur compte. Moi je pense qu’à aucun moment nous n’allons effectuer une opération positive, nous sommes (tous) à genoux.
Le problème principal est évidemment la trésorerie. Nous aimons notre métier, nous l’exerçons avec passion et nous ne pouvons transiger sur la qualité des produits, ainsi que du service proposé. Cela a un prix : la rentabilité. Afin de proposer cette expérience aux clients, nous avons des marges limitées. Les gens ne sont pas prêts à payer n’importe quel prix et sont tout à fait aptes à reconnaître la qualité. Dans notre métier, pour être riche, il faut servir de la merde et bien cher. Au problème des marges, s’ajoute la pression des frais courants : loyer, salaires, tva. Le coup de grâce pour nous était le fait d’avoir ouvert récemment. Bref, lorsque le lockdown est tombé, nous étions complètement fauchés avant de commencer. Il faut comprendre que les conséquences dramatiques (les faillites et pertes d’emploi) de cette catastrophe sanitaire trouvent leurs sources dans des facteurs structurels. Bref, nous avons tout suspendu, étalé et reporté. D’où mes craintes pour l’avenir. L’autre option qui nous a été proposée était de s’endetter pour payer (notamment) des taxes. Non merci !
Ce qui me porte le plus, ce sont les gens
Mon seul espoir est la solidarité. Au sein de notre secteur. Entre indépendants. Mais ce qui me porte le plus, ce sont les gens. Nous avons reçu tellement de soutien, commercial ou moral, des gens. C’est magnifique… et indispensable !!! Consommez dans les commerces de proximité, nous avons besoin de vous et nous mettrons toute notre énergie afin de vous fournir le meilleur produit/service, comme toujours… Et puis, si vous me le permettez, un message à nos décideurs : de grâce, prenez des mesures STRUCTURELLES afin d’aider les PME, elles vous le rendront mille fois !
Resto Tandem, cantine gourmande, rue Adoplphe Demeur 41, Restotandem.be et Rubis, cave et bar à vin, rue Adolphe Demeur 34, à Saint Gilles, Rubiswinesbar.be
Adrien Dubois et Bertrand Delubac, patrons du Café Caberdouche
Nous sommes très heureux à l’idée de rouvrir notre café et retrouver notre clientèle, plein d’énergie pour la reprise après ces 3 mois d’accalmie. Tant d’un point de vue physique que psychologique, je pense que cette reprise fait du bien à tout le monde.
Étant situés dans un quartier de bureaux, nous sommes restés fermés durant toute la durée du confinement. Mais dès que les perspectives politiques se sont clarifiées, nous nous sommes plongés dans l’organisation de la reprise et le nettoyage de notre café. Nous avons donc abordé cette reprise dans un esprit joyeux – comme ça fait plaisir de se revoir! – et positif.
Nous devrons forcément adapter notre gestion à la demande. Et nous espérons que, malgré les craintes engendrées par cette crise, notre café se remplira de nouveau en respectant les mesures sanitaires prises (hygiène, espacement des tables etc). En revanche, il me paraît difficile de dire que nous serons rentables dans les mois qui arrivent.
Nous avons abordé cette reprise dans un esprit joyeux – comme ça fait plaisir de se revoir! – et positif
Au moment du confinement, nous avons perdu une partie de nos stocks que nous avons distribué à notre personnel. Pendant, nous avons bénéficié de l’aide octroyée à l’horeca bien que cela ne suffise pas à couvrir notre loyer et nos emprunts. Le terme de notre emprunt, lui, a été décalé de quelques mois.
Notre principale crainte quant à cette reprise est que la demande ne soit pas suffisante et que les mesures restrictives soient appliquées trop longtemps. Nous espérons que les pouvoirs publics pourront octroyer une aide de relance économique, que les banques joueront le jeu et que notre clientèle sera compréhensive.
Café Caberdouche, Place de la Liberté à 1000 Bruxelles. Caberdouche.com
Roxane Gernaert, cofondatrice de Knees To Chin, cinq adresses à Bruxelles
Nous sortons de ce confinement libérées, mais à la fois un peu anxieuses. Et nous abordons la reprise step by step, resto après resto. En fait nous avons rouvert notre petit restaurant rue de Livourne 10 jours après l’annonce du confinement, en take away et delivery only. Les débuts étaient vraiment un peu « glauque », ambiance très spéciale, les rues désertes, pas mal d’inquiétudes. Et puis l’ambiance s’est un peu adoucie grâce au beau temps et aux mesures un peu moins strictes, les gens ont commencé à bouger progressivement.
C’était un tel plaisir de revoir notre clientèle, petit à petit, qui était super encourageante
Et puis rue de Flandre a également ré ouvert il y a un peu plus de 2 semaines, toujours en take away/delivery, ça évolue un peu plus doucement, mais sûrement. Donc nous vivons un peu moins le côté « reprise » aujourd’hui, étant donné que nous avons eu la chance de pouvoir continuer à travailler pendant cette période, même si c’était à équipe et régime très réduits. Saint Boniface ouvre ce mercredi – 10 juin – et là ça sera le vrai pari pour nous : place assises, terrasse ensoleillée… Est-ce que la clientèle sera au rendez-vous ? Nous avons bien préparé le terrain et la petite équipe qui sera en place pour que tout se déroule en toute sécurité.
À savoir si cette reprise sera rentable pour nous? Nous l’espérons évidemment. Le take away/delivery a démarré doucement et est en bonne voie. Le challenge va être l’ouverture de nos restaurants en service « sur place ». Cela va demander de renforcer les équipes, mais avec une inconnue au niveau de l’affluence de la clientèle et avec un nombre de tables réduit.
Notre team est notre roc. Et notre équipe est encore en majorité au chômage économique, et nous manquent professionnellement, mais aussi et surtout humainement
Knees to chin était en pleine phase de développement. Nous avions pas mal de projets sur le feu que nous avons dû mettre sur pause.Tout ça n’est que partie remise, mais c’est difficile, on se sent un peu « coupées dans notre élan ». Et puis, chez Knees to chin notre team est notre roc: pour tous ces beaux projets nous sommes toujours entourées de près par toute notre équipe, qui aujourd’hui sont encore en majorité au chômage économique, et qui nous manquent professionnellement, mais aussi et surtout humainement.
1.0#kneestochin #saintboniface is BACK ON WEDNESDAY 10/6 🔥! safe eat-in (no reservation needed), take-aways or deliveries with @ubereats ! We are definitely BACK ! CAN’T WAIT !! See you SOON 💥kneestochinhttps://www.instagram.com/kneestochin5352176082327073118121842848_535217608Instagramhttps://www.instagram.comrich658
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Nos craintes? Je pense que ces mesures risquent de rester actives pour encore quelques mois, et cela peut à la longue être difficile pour assurer la rentabilité. En fait on est face à une situation jamais vécue et donc face à de nombreuses inconnues. C’est donc très difficile de pouvoir se projeter sur un plan d’action concret pour assurer l’avenir. C’est cette inconnue qui crée ces inquiétudes.
Mais nous avons foi en notre concept et notre produit. Son côté « mobile », facile à emporter et livrer, et notre service rapide, on l’espère, continuera à attirer notre clientèle à venir nous rendre visite. Que ce soit pour un rouleau de printemps en take-away sur le pouce au détour d’une balade, avec un verre en terrasse au soleil place Saint Boniface, ou un lunch à partager entre collègues livré rapido au bureau.
Knees to chin, rue de Livourne 125 à 1000 Bruxelles, rue de Flandre 28 à 1000 Bruxelles, chaussée d’Alsemberg 148 1060 Saint Gilles, rue Francart 18 à 1050 Ixelles, au Wolf, rue Fossé aux Loups 50, à 1000 Bruxelles. kneestochin.com
Antoine Bradfer, l’un des deux fondateurs de Cocina, trois adresses à Bruxelles
Nous sommes soulagés de pouvoir reprendre notre activité. Mais derrière le soulagement, nous sommes très attentifs sur la situation à moyen terme ou nous naviguons dans une zone totalement inconnue en termes de gestion des coûts et avec des rentrées réduites. Il a fallu aussi gérer une situation de crise pendant trois mois, pour réduire au maximum les coûts, gérer un personnel très inquiet de la situation, et essayer de développer des revenus complémentaires pour payer les factures.
Pour cette réouverture, nous en avons profité pour essayer de revenir aux valeurs fondamentales de nos établissements : authenticité, générosité, produits de qualité. Nous avons beaucoup travaillé pour améliorer notre logistique et la relation avec nos partenaires.
Nous abordons la reprise avec une grosse motivation et une énorme joie de revoir nos clients, nombreux au rendez-vous pour cette réouverture
En ce qui concerne la rentabilité, nous allons beaucoup souffrir de la règle du 1,5m. En fonction du nombre de personnes à table, cela fait une énorme différence. Pour être rentable, il faudrait presque interdire les tables de 2 qui utilisent une place énorme dans le restaurant. Heureusement que les règles autorisent finalement les tables de 10 personnes. Évidemment, nous devons contenter tout le monde ! Les établissements sans terrasse souffriront également davantage, quand le soleil décidera à nouveau de sortir. Pour compenser, il faut alors limiter ses coûts, augmenter ses horaires d’ouverture pour encourager la rotation de table et le nombre de couverts d’un service… le tout sans abîmer l’expérience du client qui doit profiter de son moment à 100% !
Peut-être que certains restaurants qui tournent moins bien à la normale profiteront de cet effet « boule de neige », se reportant sur les adresses voisines en cas de premier choix complet. Mais pour les restaurants remplis toute l’année, cela représentera toujours une perte de 40 à 30% de leur nombre de couverts. En agrégé, peut-être que l’impact du secteur sera moins ressenti, mais les acteurs seront tous touchés différemment. Faut-il encore qu’il y ait assez de clients désireux de retourner au restaurant…
Les problèmes et contraintes auxquels nous avons dû faire face sont l’inquiétude et peur de travailler du personnel. Mais aussi la pénurie de certains produits chez les fournisseurs.
Par exemple la farine, ou la levure, essentielle pour des pizzas, se sont révélées presque aussi compliquées à obtenir que des masques
Nous avons essayé de faire jouer nos contacts en Italie pour nous aider à l’approvisionnement alors que le pays était encore plus touché. Nous avons racheté au préalable les fins de stocks de certains grossistes sentant le vent tourner.
Dans un autre registre, le flou artistique sur les mesures d’aide et les diverses démarches administratives sont aussi problématiques. Enfin la longue incertitude sur la date et les conditions de réouverture, et ces conditions, comme la contrainte de l’espacement des tables.
Nos craintes? Avoir épuisé notre capital UV annuel pendant les trois mois de confinement ! Plus sérieusement, nous avons peur que les mesures actuelles persistent trop longtemps. Un restaurant est un lieu d’échange par nature, nous délivrons une expérience, un moment de plaisir, de partage. Ce n’est pas juste du remplissage d’estomac.
Un restaurant est un lieu d’échange par nature, nous délivrons une expérience, un moment de plaisir, de partage. Ce n’est pas juste du remplissage d’estomac
Nous devons, dès que les conditions le permettront, retrouver l’essence même de notre métier. Les conditions de réouverture sont viables à court terme, tant que le secteur est sous-perfusion étatique (chômage, passerelle, report), mais nous aurons besoin sans nul doute d’un rendement à 100% de notre capacité normale pour surmonter cette situation. Le manque à gagner gigantesque et l’accumulation des frais fixe que nous n’avons pas réussi à faire tomber mettent à mal le travail de nombreuses années… il faudra donc être courageux encore longtemps avant de se reposer. Notre espoir: voir arriver la lumière au bout du tunnel !
Cocina Flagey, Aperitivo Bar & Pizzeria Rue Lesbroussart, 16 et Cocina, Negozio et Trattoria, rue de Washington 149, 1050 Ixelles, www.cocina.be
Rencontre avec Antonio Coppola, du Bistro Nazionale, qui nous livre sa recette du Vitello tonnato
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