Un vin rouge, pomme de discorde entre la Slovénie et la Croatie

Le Teran © AFP

C’est un raisin noir, qui donne un vin apprécié des connaisseurs. Et qui enflamme les relations entre la Slovénie et la Croatie, deux pays longtemps alliés au sein de l’ex-Yougoslavie mais qui depuis leur indépendance cultivent les querelles de voisinage.

Dernier avatar de ce différend: le Teran, un vin rouge pour lequel Ljubljana détient une appellation protégée au sein de l’Union européenne. Le cépage du même nom est également cultivé chez le voisin croate, dans la région d’Istrie, qui réclame sa part de notoriété.

Annoncée en janvier, l’intention de la Commission européenne de permettre aux vignerons croates de mentionner, sous condition, le nom du cépage teran sur leurs étiquettes, a sonné comme une quasi déclaration de guerre pour la Slovénie.

Attendu jeudi et vendredi en Slovénie, le président de l’exécutif européen, Jean-Claude Juncker, aura sans nul doute l’occasion de déguster le précieux breuvage. Et de se voir exposer en détail les griefs de Ljubljana.

Un vin rouge, pomme de discorde entre la Slovénie et la Croatie
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« La lutte pour le teran est vitale pour nous. Elle incarne le combat pour la place de la Slovénie au sein de l’UE », a prévenu le ministre de l’Agriculture slovène, Dejan Zidan.

Membre de l’UE depuis 2004, la Slovénie, un pays de 2 millions d’habitants, avait conditionné son feu vert à l’adhésion de la Croatie (4,2 millions d’habitants), en 2013, à des avancées dans plusieurs dossiers empoisonnant les relations entre les deux voisins depuis leurs indépendances, proclamées de concert en 1991.

Le premier d’entre eux concerne un tracé frontalier sur la côte adriatique, en baie de Piran, dont Ljubljana réclame la moitié. La Croatie a accepté en 2009 le principe d’un arbitrage international, avant de dénoncer la procédure à la suite d’un scandale impliquant un juge slovène, en 2015.

En janvier, le chef de la diplomatie slovène Karl Erjavec a prédit « une escalade des tensions » si Zagreb venait à ne pas respecter la décision de la Cour d’arbitrage de La Haye, attendue cette année.

« Pensez-vous que les touristes viendront massivement dans ce contexte ? » avait-il alors ajouté, dans ce qui a été interprété par Zagreb comme une menace voilée de compliquer le transit des millions d’estivants traversant la Slovénie pour se rendre sur la côte croate. Ce que M. Erjavec a formellement réfuté.

Bomber le torse

A l’automne, le ministre n’avait pas manqué de servir du teran à son homologue croate Davor Ivo Stier, lors d’une visite officielle. Ce dernier lui a rendu la politesse en lui faisant parvenir pour les fêtes un boîte de chocolats croates arborant le tracé frontalier façon croate. M. Erjavec l’a renvoyée à l’expéditeur.

Un vin rouge, pomme de discorde entre la Slovénie et la Croatie
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Zagreb a également vu d’un mauvais oeil l’érection il y a un an par la Slovénie d’une clôture anti-migrants sur leur frontière commune.

Jusqu’où iront les bisbilles entre Slovènes et Croates, qui historiquement ont toujours eu de bonnes relations ?

« Ce sont deux peuples qui par leur histoire et leur culture ont beaucoup de points communs et d’intrications économiques et humaines », indique à l’AFP l’historien et juriste français Joseph Krulic, spécialiste de l’ex-Yougoslavie.

« Ces querelles un peu picrocholines permettent aux deux gouvernements de bomber le torse pour montrer qu’ils sont fidèles aux intérêts nationaux. Mais il n’y a aucun risque que cela dégénère, d’autant moins qu’ils sont désormais tous deux membres de l’UE », ajoute-t-il.

M. Stier l’a lui-même souligné: « les Slovènes et les Croates sont un rare exemple de deux peuples qui ne se sont jamais affrontés dans l’histoire, et c’est notre grande richesse commune. »

Mais les revendications croates sur le teran, qui selon Zagreb est cultivé en Istrie depuis des siècles, touchent tout particulièrement l’opinion publique slovène, relève Ales Kuhar, de l’université de Ljubljana. « Nous pensions que ce dossier était clos. Le teran a une importance symbolique très forte pour la Slovénie, un petit pays qui n’a pas tellement d’éléments forts d’identité nationale », relève ce chercheur.

Pour le quotidien slovène Delo, les deux pays font avant tout preuve d' »immaturité ». « On est dans le +narcissisme des petites différences+, comme disait Freud. Le fond est très proche, alors les différences s’exacerbent », confirme M. Krulic.

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