Dandy Dantzig

Le regard, accentué par des lunettes et un col roulé noirs, Charles Dantzig savoure une eau gazeuse. Sympathique, cet amoureux des lettres et de Gatsby le magnifique cultive le mystère. Son Dictionnaire égoïste de la littérature française a désormais un frère hybride : l’Encyclopédie capricieuse du tout et du rien. Soit un recueil de listes inédites, révèlant un esprit boulimique, critique, sensible et aigu. Jubilatoire !

Charles Dantzig, un pseudo pour sortir de l’ordinaire ou pour s’inventer sa vie ?
Je ne réponds jamais à cette question…

L’odeur qui vous ramène à l’enfance ?
Les effluves de l’Atlantique, au Pays Basque.

Celle qui vous ramène à vous-même ?
Mouchoir de Monsieur, le plus vieux parfum de Guerlain, et Blenheim Bouquet de Penhaligon. J’aime l’odeur poivrée de cette fragrance que portait Winston Churchill.

Un rêve d’enfant ?
Entrer au pays des fées, ce que j’ai finalement fait en devenant écrivain.

Qui vous a donné le goût des mots ?
Ce n’est pas une chose acquise, mais innée, qui part de l’envie de comprendre le monde. J’ai appris à lire tard, vers 6 ans. Scandalisé^par mon retard, je me suis mis à engloutir les livres !

« Qui écrit une liste, cherche à émouvoir », est-ce la philosophie de cette encyclopédie ?
Oui, la littérature étant la seule forme fondée sur l’émotion. Je ne considère pas l’écriture comme une vérité immuable, d’autant qu’elle découle d’un être humain changeant.

Comment a commencé cette manie des listes ?
Ce n’est pas une manie, mais un véritable projet littéraire. En 1996, m’est apparue l’idée de faire de la littérature à partir de quelque chose de rudimentaire, qui n’était pas fait pour ça. N’aimant pas les livres raisonnables, je préfère l’idée foutraque d’un livre un peu énorme, à la Pantagruel.

Est-ce devenu un jeu, une drogue ?
Un jeu, puis une drogue, qui a duré douze ans et dont je suis à peine sevré. Créer ces différentes catégories correspondait à une complication délicieuse. Un livre relève d’une parade amoureuse, avant de se transformer en combat entre le livre et son auteur.

Cette encyclopédie n’est-elle pas une biographie masquée ?
C’est effectivement une tentative d’autobiographie. Je suis pourtant si pudique, que c’est le nom d’une maladie chez moi. Mais c’est la première fois, que je souhaite dire certaines choses, non par narcissisme, mais parce qu’un « je » est parfois un « nous ».

Etes-vous capricieux au sens « d’une oeuvre d’art s’écartant des règles ordinaires » ?
Ce serait mal élevé de dire oui… Je ne cherche pas à me singulariser, or je suis comme ça. Au départ, c’est mortel tant les gens veulent vous mettre dans un moule, une identité, une ressemblance et une médiocrité. Le brio et le goût du brillant peuvent exaspérer et être dangereux. Mais quand on réussit à jouer avec ça, ça devient une attitude.

Qu’aimez-vous collectionner ?
La collection est une forme de mort ! Si je possède plus de 5000 livres, c’est parce que je les lis et non par vénération de l’objet livre. Les livres sont des objets vivants.

Quel livre vous a mis au berceau de l’écriture ?
Un amour de petite souris, que j’ai lu à 5 ans. Il m’a révélé que j’avais une fantaisie en moi et m’a conduit vers la poésie de Max Jacob. Faisant partie d’une famille de lecteurs, j’étais libre de papillonner dans la bibliothèque. Vers 9-10 ans, j’ai découvert la poésie de Verlaine et je connaissais Les Fleurs du Mal par coeur. L’argent de Zola a été mon premier roman d’adulte, qui finissait mal.

Votre livre de référence ?
Le Satiricon de Petrone est fascinant car, c’est le premier roman occidental. Il nous est parvenu incomplet. Tout comme ce livre, mon encyclopédie contient des trous, des fragments et des provocations, dans lesquels le lecteur peut entrer. Au lieu d’être à la marge du livre, il en est le centre.

L’auteur contemporain dont le livre est à sauver du feu ?
Loin d’être moribonde, la littérature contemporaine française propose de grands talents : Dany Laferrière, Chloé Delaume, Philippe Vilain, Félicien Marceau, Vincent Delecroix et le poète belge, William Cliff.

Celui que vous lisez en ce moment.
Hamlet. Je m’adonne, avec éblouissement, à une relecture complète du théâtre élisabéthain. Passionné, je ne lis bien que si je lis tout. Comme quand on est amoureux et qu’on veut, tout le temps, être avec l’autre.

Celui à emporter dans votre tombe.
Un manuel de recettes de cuisine pour accommoder les vers (rires).

Que signifie être écrivain ?
C’est essayer de mener un combat contre la mort.

Qui sont vos Muses ?
La mort justement, parce que je la combats. La danse, car je la cherche.

Pourquoi écrivez-vous que « tout livre est une tombe » ?
Tout livre est un cri, une protestation. Après chaque livre, on peut mourir car on a poussé un cri. On ne gagne jamais, mais certains livres chantent à travers le temps. Pétrone ou Homère ont réussi à passer par-dessus les cimetières.

A quel héros romanesque auriez-vous aimé ressembler ?
A Robert de Saint Loup, dans La Recherche du temps perdu de Proust. Grand ami du narrateur, ce jeune homme plein de charme et d’élégance est très amical, distrait et mystérieux. Il est tué au front lors de la guerre de 1914-1918.

Celui à qui vous ressemblez dans la vie ?
Si je vous dis Méphisto, j’aurais l’air d’un vantard. Si je vous dis Don juan, j’aurais l’air d’un tombeur. Alors, je n’ai pas à vous répondre…

Le mot qui vous définit le mieux.
Solitaire et je le déplore.

Qu’est-ce qui fait la poésie d’une vie ?
Les poètes. La vie n’est pas une poésie en soi. Au contraire, elle est informe, gluante, tuante. On ne connaît même pas son propre sens. En tant qu’écrivain, on essaye justement de lui donner un sens rassurant, une forme au monde.

Votre vision de l’amour ?
Il faut de temps en temps s’adonner à cette délicieuse erreur. Peu importe qu’on se trompe, ça signifie qu’on a eu un élan. Ce qui compte, c’est d’être transporté vers autre chose que soi.

Pourquoi l’amour est-il « la soeur de la douleur » ?
On a le sentiment que l’amour est éternel, or il est fugace. Il nous donne cette forme de stupidité, qui se transforme en douleur. Le pansement s’appelle le mariage.

Quel genre d’amoureux êtes-vous ?
Point séducteur, je suis plutôt maladroit en raison de ma pudeur. Chercher à séduire me gène. Honteuse, la drague fait dans la balourdise.

Etes-vous romantique ?
Romantique sarcastique. Le romantisme est une école injustement attaquée. Hugo, Musset ou Théophile Gauthier sont remarquables. Ils possèdent cet élan romantique, mélangé au sens macabre. Un de mes préférés est Voltaire. C’est un romantique avec une grande part d’effusion. Je suis un effusif !

Qu’est-ce qui vous séduit chez une femme?
Qu’elle pose peu de questions.

Si « l’amour est une oeuvre d’art », quel artiste pour faire votre portrait ?
Stephen Conroy.

L’actrice que vous rêveriez d’interviewer pour un magazine féminin.
Bette Davis.

Membre d’un jury, quel crime auriez-vous aimé juger ?
J’ai été appelé à siéger dans un jury d’assises, et j’ai eu horreur de ça. La morgue, jouée ou non, de l’avocat général, les insinuations spécieuses du président, la faiblesse des avocats de la défense, le sérieux de certains jurés… Sans compter que je me sens mal à l’aise dans les locaux d’institutions d’État. Dès que l’accusé a été présenté, j’ai penché de son côté. Heureusement, on ne m’a pas retenu au tirage au sort. Je suis contre les jurys populaires, tant est vorace la passion qu’ont les hommes de juger.

Quelle est pour vous « l’exception belge » ?
C’est un pays qui marche sans avoir jamais marché. Tout pays est la Belgique, d’une certaine façon : un assemblage plus ou moins forcé de peuples qui s’entendent plus ou moins. Parfois l’artifice prend, comme au Royaume-Uni, parfois il craque, comme en Yougoslavie. La Belgique suit la première, en plus hoquetant. Depuis que je suis né, j’entends dire que la Belgique va imploser, et elle est là. Son destin est peut-être celui-là.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm.

Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, par Charles Dantzig, Grasset, 793 pages.

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