Déco | Faut-il opter pour du vintage ou des rééditions?
Dans l’univers du mobilier, les rééditions se succèdent à un rythme effréné. Mais les grands fabricants de meubles déforcent-ils ainsi le marché vintage? Tentative de réponses.
Soriana, Camaleonda, Panthella. Si, il y a quelques années, tous ces noms faisaient surtout penser à des mets italiens, aujourd’hui l’amateur de design averti sait qu’ils se réfèrent à des créations iconiques du siècle dernier. Les labels de qualité qui les ont réédités récemment n’ont lésiné ni sur la dépense ni sur les efforts pour remettre sous les projecteurs les réalisations d’Afra & Tobia Scarpa, Mario Bellini et Verner Panton: teasers, somptueuses campagnes publicitaires, impressionnants stands et présentations lors de cocktails à Milan… A force de matraquage, on retrouve dans tous les magazines les mêmes meubles intégrés aux intérieurs de rêve publiés.
« Le connaisseur sait que la qualité d’une réédition ne vaudra jamais celle d’un original »
Damien François, propriétaire de la boutique liégeoise Vintage Addict, spécialisée dans le design du XXe siècle
C’est le cas du canapé Togo de Michel Ducaroy, de la chaise Chandigarh de Pierre Jeanneret et de la Lounge Chair des Eames. Trois icônes qui semblent incontournables dans un aménagement digne de ce nom. Certains les ont acquis neufs et réédités, d’autres avec des marques d’usure dues à la seconde main, et, plus rarement, en tant qu’exemplaire ancien unique.
« Le connaisseur sait que la qualité d’une réédition ne vaudra jamais celle d’un original, » avertit Damien François, propriétaire de la boutique liégeoise Vintage Addict, spécialisée dans le design du XXe siècle. Même si elles se ressemblent, à mes yeux, les rééditions n’ont rien à voir avec les originaux. Les matériaux de base et le degré de finition sont incomparables. Le cuir a très peu de structure, le duvet a laissé la place à la mousse, la veinure du bois semble être la même partout alors que l’exécution originale d’un meuble est comme celle d’un tableau ; il n’existe pas deux exemplaires parfaitement identiques.
Les coups de pinceau ne sont jamais les mêmes. Une réédition moderne n’est rien de plus qu’un motif imprimé. » Mais Damien François n’irait pas jusqu’à dire qu’elle a moins de valeur. Elle est le fruit de l’esprit de notre époque, qui se caractérise par des exigences nouvelles en matière de qualité: « Il y a septante ans, on ne s’arrêtait pas à l’origine des matériaux, au recyclage ou à l’écologie. Et puis, vous avez encore la sécurité commerciale à laquelle les fabricants donnent la préférence aujourd’hui. Ils misent plutôt sur des créations éprouvées qui ont déjà eu du succès plutôt que d’investir dans des nouveautés. En réalité, les matières premières et la finition de l’époque sont tout simplement devenues hors de prix et à cet égard, le vintage est terriblement bon marché. »
Mieux que l’original
Depuis 1964, Cassina se spécialise, avec l’I Maestri Collection, dans l’achat des droits de production de meubles iconiques dans le monde entier. Au cours des dernières décennies, ils ont réédité des créations de Charlotte Perriand, Frank Lloyd Wright, Le Corbusier et Pierre Jeanneret en étroite collaboration avec leurs héritiers. Luca Fuso, CEO de l’éditeur italien, réfute ce que la plupart des distributeurs vintage qualifient de « quick win » (gain rapide): « Ce n’est jamais un processus facile. Nos rééditions sont des reconstructions authentiques qui sont le fruit d’une recherche philologique minutieuse et d’une étude approfondie de croquis et prototypes. Nous discutons en permanence de chaque détail avec les héritiers des créateurs, de manière à respecter le modèle d’origine tout en recourant à des matériaux actuels. En collaboration avec des historiens du design et des archivistes, nous nous demandons constamment ce que les auteurs feraient s’ils étaient encore en vie aujourd’hui. » Cela explique pourquoi le le canapé Soriana d’Afra & Tobia Scarpa ne se compose plus de polyuréthane comme à l’origine, mais de BioFoam® et de PET recyclé.
C’est aussi le discours qu’on entend chez Louis Poulsen. Selon Monique Faber, qui dirige le département Product & Design, une technique contemporaine permet même, dans certains cas, de produire une variante que le créateur souhaitait initialement, mais qu’il n’a pas pu réaliser en son temps. Ainsi, la réédition permet de mettre la barre plus haut. Luca Fuso partage cet avis: « A l’origine, de nombreuses pièces de notre collection étaient destinées à des projets spécifiques et le public ne les aurait jamais connues si nous ne les avions pas étudiées et adaptées à la production en série. La réédition de telles créations signifie que nous pouvons concrétiser des souvenirs de chefs-d’oeuvre. »
Question de prix
Mais ce succès des rééditions ne plombe pas nécessairement pour autant le marché du vintage. Car la popularisation du design booste en réalité l’attrait des clients pour les pièces rétro également. C’est l’avis du distributeur d’articles vintage Boris Devis et de ses collègues: « Les lancements internationaux comme ceux du Camaleonda ou du Soriana sont payants: ils éveillent l’intérêt pour le design, mais aussi pour le passé. De plus, l’admiration suscitée par le fait que ces meubles existent depuis un demi-siècle renforce l’attrait pour les modèles originaux. » Ainsi, le principe traditionnel de l’offre et de la demande s’active. Le marché des versions d’origine, limité, reste une niche, mais si, à l’échelle mondiale, la demande explose, les prix connaîtront immédiatement une hausse fulgurante. Boris Devis nuance cependant: « Si une réédition est vendue moins cher que le prix vintage courant, il se peut que l’amateur opte pour un nouveau modèle. S’il est lancé à un prix plus élevé, nous remarquons une affluence de nouveaux clients, souvent plus jeunes, qui cherchent une solution alternative abordable à la pièce de créateur mise sous les projecteurs. Mais, quoi qu’il en soit, le connaisseur ou le collectionneur continuera à chercher quelque chose d’unique ou inédit pour compléter sa collection. C’est une passion. »
Sabrina Dolla, directrice design à la maison de vente aux enchères Artcurial, voit également les choses de cette façon: « Les rééditions légitiment les designers auprès du grand public et accroissent la valeur des originaux, difficiles à trouver chez des collectionneurs. Aujourd’hui, la patine et l’historique sont inestimables. » Ainsi, l’an dernier, un collectionneur était prêt à débourser 443 000 euros pour un dressoir de Charlotte Perriand, un record mondial pour Artcurial et pour la créatrice française qui a présenté celui-ci en 1962.
Copies pas conformes
En bref, une réédition n’est pas une menace pour le monde du vintage. Le véritable péril vient plutôt d’ailleurs. « Tout le monde veut avoir la même chaise, et puis se ravise en entendant le prix, observe la décoratrice bruxelloise Caroline Notté. Ensuite, la question des bons fakes à prix abordable ne tarde pas à se poser. C’est surtout ce marché qui m’inquiète. » C’est une préoccupation qui se manifeste également chez Via Antica, rue Blaes: « Comme le design n’est pas accessible à tous, les fabricants de meubles bon marché n’ont pas peur de commercialiser leur interprétation de pièces populaires, généralement des copies flagrantes. Plus il y a de rééditions, plus il y a de copies sur le marché, et plus il est difficile pour des profanes de les distinguer d’originaux et de comprendre les grandes variations de prix. Nous devons constamment continuer à montrer les différences ainsi que la valeur ajoutée de créations authentiques auprès du grand public, et ce, qu’il s’agisse d’un original ou d’une réédition plus tardive ou contemporaine. En effet, l’authenticité aura toujours de la valeur. En revanche, une copie n’en aura jamais aucune. »
Reste à se demander si entre vintage ou nouvelle édition, l’un est à privilégier. Chacun des deux mondes prêche bien sûr pour sa chapelle et cela dépend de ce que l’on désir acquérir, selon Yves Chung, dirigeant de Pellegrini Design à Herentals. « Par exemple, contrairement au cuir, le textile se patine mal, explique-t-il. Dans ce cas, il vaut toujours mieux opter pour du neuf. » Et puis, il y a aussi les nouvelles séries limitées. Ainsi, à l’occasion des 75 ans du LCW des Eames, Yves Chung a acheté une édition d’anniversaire du siège édité par Vitra. D’abord pour son propre intérieur, mais aussi comme investissement pour l’avenir. « En tant que particulier, en principe, c’est faisable. Mais pour les marchands, les meubles sont des produits qui ne se prêtent pas à la spéculation, estime Boris Devis. Vous avez besoin d’espace pour stocker vos acquisitions et, à long terme, c’est moins intéressant commercialement. »
Maintenant, il s’agit de deviner ce que les générations futures chercheront pour aménager leurs appartements et maisons. « Elles ne ressentiront pas la même nostalgie du siècle dernier que nous, prédit Damien François. Les gens qui sont nés au XXIe siècle ont déjà grandi entre les rééditions et les copies de cette époque-là. Peut-être resteront-ils attachés à nos icônes, ce qui reconfirmera leur intemporalité. A moins qu’ils ne recherchent des meubles de siècles précédents en contre-réaction. Qui sait… ils jetteront peut-être leur dévolu sur d’anciennes pièces Ikea rares? »
Petit lexique
- Un original est une création personnelle d’un concepteur en particulier ou la forme la plus ancienne d’un modèle, dont on peut faire des rééditions mais aussi des copies.
- Une réédition est une nouvelle version protégée par des droits d’auteur, et souvent optimisée, d’un original.
- Les experts parlent de meuble vintage s’il a été fabriqué il y a entre 20 et 99 ans. Une réédition peut donc aussi être vintage. La valeur dépend du nombre de pièces produites à l’époque et du design.
- Une copie est la reproduction d’un dessin ou modèle original sans l’approbation de l’auteur, ou de ses héritiers.
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