« Il y a des choses qu’on n’apprend pas à l’école »: rencontre avec Lionel Jadot, designer, architecte, artiste belge

Le designer belge Lionel Jadot dans son bureau de Zaventem Ateliers
Le designer belge Lionel Jadot dans son bureau de Zaventem Ateliers. © TITUS SIMOENS
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Architecte, designer ou artiste? Il se définit plutôt comme un «mixed grill». A Zaventem Ateliers, son lieu de création, Lionel Jadot collaborent avec de nombreux designers producteurs. Parmi leurs derniers projets communs: une expo qui vient de s’achever à la Design Week parisienne et la transformation de la Royale Belge en hôtel, en chantier. Rencontre.

Les étiquettes, ça cloisonne la réflexion. Je ne fonctionne pas avec une seule casquette, qu’elle soit celle d’architecte, de designer ou autre. C’est lié à l’éducation assez libre que mes parents m’ont apportée. Jamais personne n’a jugé les expériences que je pouvais faire et cela m’a donné la possibilité de croire très vite en mes rêves. Je pense que nous sommes arrivés à une période de l’évolution de l’humanité dans laquelle les étiquettes ont tendance à disparaître. Les attitudes humaines de chacun peuvent être mises plus facilement en avant, sans rester cantonnées à un métier. On fait davantage confiance à l’émotionnel et à l’instinctif.

‘J’ai besoin d’être entouré de plein de choses sur lesquelles mon cerveau peut rebondir.’

Il y a des choses qu’on n’apprend pas à l’école. A 18 ans, j’ai terminé mes humanités aux beaux-arts. Le plan était de partir à Florence faire une académie de design mais pendant l’été, ma mère est tombée malade et est décédée six mois plus tard. Elle travaillait avec mon père, dans l’atelier familial de fabrication de sièges sur mesure. J’ai décidé de rester en Belgique et de reprendre l’affaire avec lui. Avec notre équipe, on gérait la création, la fabrication, la livraison, le contact avec des décorateurs internationaux… Le fait de ne pas partir en Italie a été la meilleure décision de ma vie. Je n’aurais jamais appris autant en si peu de temps là-bas.

Etre autodidacte est un avantage. Je réponds vite aux questions car je ne dois pas me conformer à un process appris passant par a, b, c et d. Je peux commencer un projet en me focalisant sur un détail car c’est ce qui va m’inspirer à ce moment-là. Il m’arrive de dessiner d’abord la poignée d’un meuble alors que le projet fait plusieurs milliers de mètres carrés…

Lionel Jadot, Sit in my Valley, 2020 . Copyright: Seppe Elewaut

Superposer les talents, ça crée des collisions d’idées. Et donc de l’émotion. La collaboration est dès lors primordiale. Zaventem Ateliers regroupe des designers indépendants mais nous nous retrouvons autour de certains projets et nous constatons que plus on unit nos énergies créatives, plus on est fort. Si on dessine tout d’une seule main, cela devient ennuyeux. L’exemple parfait est celui que nous vivons actuellement avec la conception d’un hôtel de plus de 200 chambres dans l’ancien bâtiment de la Royale Belge à Bruxelles. Tout Zaventem Ateliers y travaille. Résultat, il y a une super histoire à raconter autour de ce beau projet belge qui ne sera pas composé de choses sorties d’un catalogue et produites en Chine.

Un pays a besoin d’artisanat, cela crée de l’humanité. J’observe un regain d’intérêt des jeunes pour ces métiers et c’est génial car les gens ont besoin de connaître l’origine des choses et de voir qu’elles sont produites avec passion. Toutefois à Zaventem Ateliers, il s’agit plutôt de designers producteurs qui imaginent et fabriquent leurs projets eux-mêmes − et non d’artisans qui travaillent à façon −, mais ce qui est important, c’est que chacun met dans son travail de l’amour, des larmes, ses tripes. Cela donne une autre saveur.

Zaventem Ateliers. Copyright: Stan Guldemont

Quand il n’y a pas de stress par rapport au business, les choses se font. En juin, à la Design Week de Milan, Zaventem Ateliers s’est installé dans une ancienne usine. L’entrée se faisait par l’arrière, où on avait garé nos mobil-homes. Les gens passaient par ce petit village forain pour accéder au bâtiment de 3 000 m2 où nous présentions du design de haute qualité. Cette dichotomie a créé une émulation auprès de la presse et du public. Cela ne faisait pas showroom et du coup, les gens ne passaient pas en coup de vent. Ils s’arrêtaient, buvaient un verre… C’est le secret de Zaventem Ateliers: ce n’est pas un design market, ni une galerie, c’est un lieu de rencontre. On n’est pas dans l’attente absolue d’une vente. Et en fait, finalement, le business arrive. A Milan, on a vendu plein de choses, tous.

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Le chaos est nécessaire à la création. J’ai besoin d’être entouré de plein de choses sur lesquelles mon cerveau peut rebondir. Tous les jours, je ramène chez moi un truc − un bout de bois, l’œuvre d’un jeune artiste… Déjà à 6 ans, je récupérais les rebuts qui traînaient dans l’atelier de mes parents et je construisais mes propres jouets. J’ai développé une tendresse pour ces miettes laissées pour compte et j’estime qu’un labo comme le mien ne doit pas forcément être organisé et rangé. Ancestralement, les Japonais laissaient toujours quelque chose de non-fini dans leurs créations pour stimuler l’imagination. Et puis, ils estimaient aussi qu’il fallait garder de l’humilité, ne pas créer quelque chose de parfait, sinon, on s’assimilait à un dieu. Dans la même veine, j’estime qu’il faut savoir laisser le hasard prendre le lead.

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