En Flandre-Orientale, une ferme ancienne métamorphosée sans trop de travaux
La vie d’Abraham Taghdis se lit comme un livre. Le propriétaire du restaurant gantois Uncle Babe’s est né en Iran, a grandi à L.A. et travaillé un peu partout avant de se poser dans la campagne de Zaffelare, dans une propriété datant du XIIIe siècle.
Autour d’une tasse de café fumante, Abraham Taghdis, Abe pour les intimes, nous raconte sa vie. Comment ses parents, un pilote iranien et une professeur américaine, ont fui Téhéran en pleine révolution parce que la situation devenait dangereuse pour leur enfant. Comment, après un détour par Londres, ils se sont retrouvés aux Etats-Unis où ils ont fini par divorcer. Une séparation parentale qui l’a conduit à s’installer à Los Angeles.
Il y a été élevé par son père, ses oncles et sa tante, en tant qu’enfant roux à la peau claire dans une communauté de la diaspora iranienne – tout en passant ses étés en Virginie, majoritairement blanche, avec sa mère. Son parcours d’études l’a ensuite mené à Bruxelles, puis à Daytona et à Boston. Avant d’arriver en Belgique pour s’occuper de son père, aujourd’hui décédé.
L’appel de la nature
Qu’un ingénieur aéronautique américain, avec un tel passé, décide d’ouvrir un restaurant de burgers à la périphérie du Patershol, à Gand, ça se conçoit. Mais qu’il choisisse comme home sweet home une propriété protégée à Zaffelare, qui existait déjà en 1281 selon l’inventaire du patrimoine flamand, cela coule moins de source.
«Quand j’habitais encore en ville, près du restaurant, je pensais que j’avais besoin de la proximité des cafés, des magasins et des gens. Lorsque tout cela a disparu pendant le lockdown, rien ne m’a manqué. Tout était calme, j’ai soudain entendu le chant des oiseaux, j’ai de nouveau dormi comme une fleur. Je me suis rendu compte que j’aspirais en fait à une certaine forme de paix», nous avoue-t-il.
Cuisine d’exception
Fan de l’architecture US du milieu du siècle dernier, l’ancien ingénieur a d’abord cherché un logis dans un esprit bungalow, dans la zone verte autour de la cité… pour finalement tomber sur quelque chose de totalement différent! «Les locataires de l’époque avaient conservé quelques belles pièces, ce qui m’a permis de voir le potentiel qu’il y avait dans ce lieu», raconte le propriétaire.
Sur le plan structurel, rien n’a changé, le bâtiment – où, selon les habitants, les impôts ont été collectés pour le trésor gantois au cours des siècles – étant en effet protégé.
Les techniques, la cuisine et l’étage des chambres, qui avaient été rénovés dans les années 70 et 90, ont eux été revus, avec l’aide de l’architecte Tom Van den Daele. «J’aime accueillir des gens chez moi et la cuisine a donc dû être totalement repensée, poursuit notre hôte. Comme beaucoup de mes meubles sont en noyer ou en chêne, je voulais une combinaison des deux pour les faces et les poignées.»
Ce n’est toutefois pas l’îlot en acier inoxydable, qui occupe presque toute la largeur de la cuisine, que le Gantois d’adoption considère comme sa pièce maîtresse, mais bien sa machine à mettre sous vide et sa cuisinière industrielle Wolf. «C’est l’une de ces choses que l’on voit dans tous les magazines culinaires américains. Toute la cuisine a été conçue avec cette cuisinière comme point de départ», s’amuse Abraham.
Influences multiples
Van den Daele a également redessiné la salle de bains. Le niveau nuit a en effet été réorganisé en un espace ouvert et lumineux comprenant la chambre principale et une chambre d’amis. La pièce d’eau, moderne et sombre, se trouve dans un volume en pierre naturelle rappelant celui d’une ferme, sous la charpente dégagée.
Au rez-de-chaussée, des photos de famille jaunies sont accrochées aux murs à côté d’images de la photographe documentaire américaine, presque centenaire, Barbara Norfleet, d’œuvres contemporaines du street artist gantois Sam Scarpulla et d’une horloge annuelle du New-Yorkais Scott Thrift. Un goût pour le design et l’art vintage américain, européen ou japonais qu’Abraham ne tient cependant pas de ses parents.
«Je suis l’enfant de deux cultures et j’ai vécu dans des endroits très différents, dit-il. Je pense que lorsque je cherchais mon identité, j’ai été principalement influencé par ce que je voyais dans les films et les séries américaines. C’était une déco des années 60 ou 70. Je me souviens aussi très bien des canapés de l’aéroport de Los Angeles où je prenais l’avion pour rendre visite à ma maman. Ils étaient signés Eames. Je n’en étais pas conscient à l’époque, mais plus tard, ils m’ont spontanément attiré.»
Port d’attache
Cette vie en mouvement a-t-elle enfin trouvé un port d’attache dans cette bucolique bâtisse en brique de Flandre-Orientale? «Je me suis longtemps questionné sur le concept de «maison», répond le maître des lieux . Cela fait treize ans que je vis en Belgique. Et même si je me sens le bienvenu, je reste un étranger.» Cette demeure, qui daterait de 900 ans, lui apporte toutefois une sorte de paix.
«Mon grand-père maternel était mineur, l’autre berger. En dehors de cela, il n’y a pas d’histoire ou de récit familial auquel je puisse me raccrocher. Je me laisse donc peut-être un peu emporter par l’histoire de cet endroit, analyse-t-il. Le fait de savoir que je joue un rôle dans la préservation de ce patrimoine avec ses vieilles pierres, ses poutres, ses arbres fruitiers et ses douves… Pour la première fois, je me sens vraiment à ma place.»
En bref: Abraham ‘Abe’ Taghdis
Il est né en Iran et a grandi aux Etats-Unis. Puis, il a travaillé comme ingénieur en aéronautique aux Emirats arabes unis, au Ghana et en Belgique.
Il y a dix ans, il a ouvert l’un des premiers restaurants de burgers de qualité à Gand, Uncle Babe’s.
Désormais, il habite à Zaffelare avec son chien Turtle.
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