Qui est Ado Chale, le créateur belge d’incroyables tables en pierre devenues collector?
Ado Chale a toujours été fasciné par les minéraux, jusqu’à les sublimer dans des créations sculpturales. Aujourd’hui épaulé par ses enfants Ilona et Pierre qui reprennent le flambeau, le Belge célèbre ses 65 ans de carrière avec une exposition rétrospective cet automne, à Bruxelles.
Dans la rue Lens, une petite artère située à deux pas de l’avenue Louise, se dresse une maison rose bonbon qui détonne parmi les autres. Sur sa façade, «Ado Chale», écrit en lettres noires, indique la maison-atelier de l’artiste. «Le rose est la couleur emblématique de mon père. Il portait souvent un foulard de cette teinte, ce qui lui donnait un air joyeux et un peu enfantin», sourit sa fille, Ilona Chale (1954).
Solitaire et optimiste
Musicienne et créatrice de bijoux, Ilona coordonne l’atelier depuis une quinzaine d’années, et œuvre à la transmission du travail de son père. «C’est un personnage difficile à décrire dans le détail car c’est un homme énigmatique…, raconte-t-elle. Mon père était très discret. Il appréciait la solitude, se retrouver dans sa bulle. Mais c’était aussi quelqu’un d’extrêmement social, de très optimiste. Il aimait profondément la vie et nous riions beaucoup ensemble.»
Ado Chale est né Adolphe Pelsener, en 1928, à Bruxelles. Il perd son père à l’âge de 12 ans et sera élevé par sa mère avec son frère, à la campagne. Ado se crée très tôt un univers bien à lui, empli de poésie et d’émerveillement, que l’on perçoit à travers son œuvre.
«Toute sa vie, il a vécu dans un monde fascinant et s’est émerveillé comme un enfant, poursuit Ilona. Ce charme qu’on peut lui trouver, c’est cet enthousiasme et son côté surréaliste. Et en même temps, il avait une grande discipline de travail, qu’il exerçait avec passion.»
Une passion pour les pierres
Chineur de la nature, c’est ainsi que sa fille le désigne. «Mon père a commencé son travail sans aucuns moyens, avec des matières qu’il trouvait dans la nature. Du plus loin que je me souvienne, on glanait avec lui la terre et le sable. Nous ramassions des marcassites sur les plages du Pas-de-Calais.»
De cet amour pour les minéraux naîtra un design de mobilier unique qu’il commence à concevoir dès les années 60, principalement des tables en mosaïques de pierre. Si la mosaïque est une technique ancestrale, Ado Chale innove par l’usage de matières rares ou nobles, et parfois banales.
«J’ai des images de mon père dans l’atelier, créant de multiples objets avec ses matières: mosaïques de pierres, tableaux en papier déchiré, design de lampes et d’objets variés.»
Un style jamais égalé
De formes organiques, les tables se parent de mille et une façons: minéraux, boutons d’os et de nacre, clous en laiton, grains de poivre… L’unicité de chaque élément ajouté à la technique artisanale assure une création inédite, un véritable jardin secret.
Outre leur diversité de couleurs et d’éclat, les minéraux sont dotés de multiples vertus et agiraient sur nos émotions. Des tables thérapeutiques? Peut-être. Quoi qu’il en soit, elles possèdent toutes un pouvoir certain: celui de nous faire rêver. Au fil du temps, le style Chale s’est créé, souvent copié mais… jamais égalé.
Naissance de la galerie Chale
Dans les années 60, l’artiste et sa famille ont adopté le nom de Chale, en référence à la première galerie ouverte par sa femme Huguette Schaal, rue de Livourne. Gemmologue, elle va beaucoup influencer son mari dans sa passion pour les minéraux.
Dans ce premier espace, ils vendent des bijoux d’amis artistes mais aussi les premières tables en marcassites d’Ado, qu’il fabrique dans la cave. Un lieu qui pose les prémices d’un univers singulier, mais la production de l’artiste croissant, il s’avérera rapidement trop étroit.
L’artiste et sa famille emménagent dans un hôtel de maître avenue Louise, entièrement repensé par son ami l’architecte André Jacqmain. C’est la naissance de la galerie Chale, qui pendant vingt ans deviendra le centre névralgique de la créativité belge.
Designer des stars
Dans cette galerie, seront exposés les plus grands noms de designers et d’artistes du moment: Jules Wabbes, Olivier Strebelle, Pierre Culot, Jacques Moeschal… Mais aussi de professeurs et d’amateurs d’art, de collectionneurs. «Je me souviens de toutes ces personnalités qui fréquentaient la maison Chale. J’ai baigné dans cet univers artistique sans véritablement m’en rendre compte, car c’était mon quotidien», se souvient Ilona.
A l’origine, la façade de la maison était recouverte d’éléments en céramique du sculpteur Pierre Culot. «Tout se mariait bien: l’architecture de Jacqmain et l’esprit ouvert et éclectique de mes parents. Les tables de mon père se mêlaient à des objets ethniques et contemporains. C’était nouveau à l’époque», poursuit-elle.
Mais qui sont les acquéreurs des tables Chale? Parmi la clientèle on retrouve les Cours de Belgique, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, d’Arabie saoudite… De grandes agences d’architectes et de décorateurs comme Peter Marino ou Alberto Pinto, des maisons de haute couture: Dior, Chanel, Hermès, Vuitton… Mais aussi des célébrités comme Lenny Kravitz ou Arthur, et bien sûr des collectionneurs: Bernard Arnault, François Pinault, etc.
Au bout du monde
Outre les marcassites de la Côte d’Opale, Chale collecte ses matières aux quatre coins du monde. De ses multiples voyages en Inde, en Europe, en Afghanistan ou aux Etats-Unis, il rapporte des trésors qui nourrissent son imaginaire, dans la nature ou chez les lapidaires.
«Tout au long de sa vie, mon père a accumulé des stocks de matières colossaux, dans lesquels nous puisons toujours aujourd’hui», raconte son fils Pierre Barbion Chale (1984), qui assure désormais la création des tables, depuis sept ans. Il nous emmenait toujours dans ses périples à la recherche de ces trésors.»
La légende raconte qu’il en a tellement rapporté qu’il aurait pu recouvrir toute l’avenue Louise d’une mosaïque d’agates! Il rachetait les fonds d’ateliers de touches de piano, de boutons d’os, de nacre, d’ivoire, de bois d’ébène, etc. Jusqu’au désert d’Arizona, duquel le chineur rapportait du bois de séquoia pétrifié datant de 225 millions d’années. Il l’utilisait à l’état brut, pour en faire des tables uniques.
Sa fille témoigne: «Ce pur intuitif a donné corps à ses projets en symbiose avec la matière. C’est dans cet état brut, cet état pur qu’il a transmis ses émotions.»
De père en fils et fille
En 2017, Bozar dressait une première expo rétrospective sur l’artiste, présentant une sélection de meubles et d’objets.Aujourd’hui, à 96 ans, Ado Chale n’est plus en mesure de travailler dans son atelier.
Son jeune fils Pierre, qui a repris la fabrication des créations, raconte: «Avec tous ces stocks de matières, il y en a au moins pour cent ans de création. Il avait probablement anticipé une reprise.» Artiste lui-même, Pierre avoue être tombé dans la marmite étant petit.
Il se souvient de l’atmosphère de l’atelier: «J’ai eu beaucoup de chance d’évoluer dans cet univers poétique. Enfant, j’accompagnais mon père dans l’atelier, c’était la caverne d’Ali Baba pour moi, tous ces sacs et ces tiroirs remplis d’innombrables matières. J’ai tant aimé ce lieu et son atmosphère, je l’aime toujours autant. Quand mes amis me rendent visite à l’atelier, ils viennent parfois avec leurs enfants. Je leur donne toujours un petit pot qu’ils peuvent remplir de ce qu’ils veulent: boutons, clous, pierres… Ils sont fascinés, les enfants ont le pouvoir de s’émerveiller de tout.»
Puis il confie sa fierté de perpétrer le travail de son père, mais également de l’humilité à adopter. «Je dis souvent que mon père est le compositeur et moi l’interprète. Je ne recompose pas son œuvre, j’interprète son image en restant fidèle à sa propre main.»
Nouveaux meubles
Pierre souligne l’importance du respect envers la matière, les pierres. «Une mosaïque, c’est une rêverie. Elle est très personnelle, chacun y laisse sa sensibilité. C’est une forme d’introspection.» Le style Chale se perpétue à travers des créations identiques à celles des débuts.
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«Il faut plusieurs semaines voire plusieurs mois pour créer une table. La pierre se place elle-même, elle possède son propre rythme, je ne fais que l’accompagner.» Le métier, Pierre l’a appris en observant son père, qui ne lui a jamais donné de directives, pas plus à lui qu’à personne. «Il me disait toujours «ne va pas dans les musées, parce que tu risquerais d’être influencé». Je ne l’ai pas vraiment écouté, mais j’ai saisi l’importance de garder son œil primitif», conclut-il.
Récemment, les enfants ont eu l’idée de produire des meubles de leur père qui n’avaient jamais été réalisés, sur la base de croquis des années 60 et 70. Des modèles inédits donc, qui seront visibles lors de l’exposition d’automne. Un monde magique qui s’ouvre au public le temps de quelques semaines, dans le showroom de l’artiste situé dans les anciennes écuries de l’Hôtel Solvay de Victor Horta. Des créations aussi fascinantes que merveilleuses, présentées comme un trésor dans son écrin.
Exposition du 18 octobre au 16 novembre dans les écuries de l’Hôtel Solvay, 36, rue Lens, à 1050 Bruxelles.
En bref: Ado Chale
Il naît en 1928 à Bruxelles.
Artiste et designer autodidacte, il crée du mobilier et des objets en matériaux rares et précieux.
En 1966, il emménage avec sa famille dans un hôtel de maître avenue Louise, la Galerie Chale, réaménagée par l’architecte André Jacqmain.
Depuis 2007, les écuries de l’Hôtel Solvay de Victor Horta lui servent d’espace d’exposition et d’entrepôt, juste en face de son atelier.
En 2002 et 2014, il expose à la galerie Yves Gastou, à Paris.
En 2017, le Palais des beaux-arts de Bruxelles organise une exposition rétrospective, accompagnée d’un livre biographique écrit par sa fille Ilona Chale.
A l’automne 2024, une grande rétrospective se tient dans les écuries de l’Hôtel Solvay, à Bruxelles.
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