Ramy Fischler: « Le design doit disrupter le monde, c’est impossible de rester sage et académique »
Belge installé à Paris depuis plus de vingt ans, il accumule les récompenses et projets prestigieux outre-Quiévrain, mais reste injustement méconnu chez nous.
Le design, c’est tout sauf scolaire. Ça ne s’étudie pas de façon académique – d’ailleurs je pense que plus rien ne devrait s’étudier comme ça. C’est un métier qui doit forcément disrupter le monde, et c’est impossible de faire ça en restant sage et académique. J’ai fui tous les lieux où l’enseignement me semblait trop classique. Le designer est contraint de se redéfinir continuellement. On n’a pas de compétence fixe, c’est une façon d’agir, de penser, une agilité de compréhension du monde qui nous entoure, et la capacité d’y répondre,
Mon truc, c’est de casser toutes les frontières. Distinguer luxe et quotidien, haut de gamme et bas de gamme, pour moi, ça n’a pas de sens. La fin, c’est de répondre aux besoins des gens, avec la meilleure attention, la meilleure qualité, la meilleure éthique possible. J’ai toujours choisi de rester généraliste, je ne me suis spécialisé dans rien. C’est parce que j’interviens dans des dizaines de domaines différents en même temps que je peux faire profiter à mes clients et interlocuteurs de la complémentarité de ces univers.
Le projet que je cherche, c’est celui que je n’ai jamais fait. Je suis toujours très gourmand de découvrir de nouveaux univers. Depuis quelque temps – moins d’un an, c’est très récent -, avec l’âge ou la maturité, je commence tout doucement à limiter ma curiosité. Mais jusque-là, ça n’avait jamais été le cas, et j’ai tout exploré, du jeu vidéo à l’hôtellerie, en passant par le sport et tout un tas d’autres domaines avec lesquels j’avais pas ou peu d’affinités; à chaque fois, on apprend, on se dit: « Si j’y arrive, la prochaine fois, je ferai encore mieux. » J’essaye de resserrer un peu le spectre parce que j’ai moins de temps devant moi; à un moment il faut éviter de se perdre.
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Je préfère parler de « vivant » plutôt que de « nature« . La nature, c’est l’idée de la domestication de l’homme de son environnement. Parler de vivant, c’est prendre conscience qu’on ne peut avoir le dessus sur tout et ça a un impact direct sur notre façon de dessiner le monde qui nous entoure. Ce qui nous entoure définit comment on conçoit la ville, l’habitat, le divertissement, ça impacte tout.
« Où et comment va-t-on prendre du plaisir ici? », c’est une question que je n’ai pas peur de poser. Pourtant, quand on pense un immeuble de bureaux, une institution ou un espace public, personne ne va oser, parce que ça ne paraît pas sérieux. Alors que si les employés ne sont pas heureux, ils partiront chez les concurrents. C’est sur ce type de sujet-là que j’actionne le design, persuadé que même si ça ne paraît pas grand-chose, c’est central. Or, ça ne fait jamais partie du brief. Quand on dit que je suis « visionnaire », je dirais que c’est juste du bon sens.
Le design ne se résume pas à dessiner un objet et créer du storytelling pour le vendre plus cher. Les gens ont souvent l’impression que ça relève un peu de l’arnaque, du capotage ostentatoire ou formalisé qui va donner plus de valeur à un objet qui existe depuis toujours. C’est lié à la manière dont on communique sur le sujet, qui est souvent un peu trop « décorative ».
Il n’y a rien de nouveau dans ce qu’on vit aujourd’hui. Rien, même le téléphone. On entend souvent « Qui aurait pu prédire ça », au sujet des smartphones ou d’autres choses. Eh bien il y a cent ans, on y pensait déjà – sans savoir exactement à quel point cela impacterait notre vie. Ces idées, elles ont été pensées, illustrées, narrées dans la littérature, le ciné ou la BD. Ce que dit l’exposition, à Lille, c’est qu’il ne faut pas sous-estimer la force de l’imaginaire. Elle montre à quel point tous les imaginaires nés de l’émergence de l’industrie et des technologies du début du XXe siècle, pour s’ancrer dans la vie quotidienne, ont mis des décennies à produire un imaginaire qui donne aux gens le sentiment qu’il est important d’acheter de l’électroménager, de posséder une voiture individuelle, ou d’aller sur la Lune. Pourtant, il n’y a rien de naturel à ça – et je ne le dis pas de manière négative, c’est juste une réalité.
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