Rencontre avec Jonas Van Put, gagnant du concours Serax: « Se limiter à l’esthétique ou à la fonctionnalité serait une occasion manquée »

© Jef Jacobs

En mai dernier, Jonas Van Put remportait le concours de design organisé par Le Vif Weekend et Serax. Son projet? Une coupe minimaliste et linéaire pour fruits. Cette création est désormais en vente chez Serax. Une nouvelle consécration dans une année charnière pour le designer.

A la cérémonie des Henry van de Velde Awards fin janvier dernier, au milieu de la joie attendue des lauréats, Jonas Van Put débordait visiblement d’enthousiasme. Le designer venait d’y recevoir le prix «Young Talent» pour un portfolio qui s’est considérablement enrichi depuis ses débuts en 2015. «Cette année écoulée a parfois eu l’air irréelle, confie-t-il. Quand on m’a appelé pour m’annoncer la nouvelle, j’ai demandé s’ils étaient sûrs d’avoir contacté le bon Jonas.» Pourtant, le rapport du jury est limpide: «Le travail de Jonas Van Put témoigne d’un goût affirmé pour l’expérimentation, dans une rencontre fluide entre esthétique et fonctionnalité. Son langage formel est honnête et réfléchi, ses créations intègres, nuancées et surprenantes.»

Pour trouver un exemple de cette approche, on peut notamment remonter à ses années d’étudiant. En s’appuyant sur le théorème de Pythagore, il a calculé à quelle hauteur devait se situer le regard pour permettre de voir deux fois plus loin. Cette réflexion a mené à la création de l’Observer, une chaise qui permet d’avoir une vue sur huit kilomètres. Cette pièce orne une douzaine de jardins, dont un privé en Suisse.

Autre œuvre emblématique: la BuzziJungle, une ‘tour de conversation’ verticale qui égaye les bureaux de plusieurs multinationales et le jardin de la créatrice de mode Eva Maria Bogaert. Son portfolio comprend également un monolithe-miroir inspiré de son roman fétiche 2001: l’Odyssée de l’espace, ainsi qu’un grand nombre de commandes privées et de collaborations. Parmi elles, le fameux daybed pour Fortlaan93 et, plus récemment, une série de meubles pour la maison italienne Fendi Casa – ses premiers pas à l’international.

Désormais, il y a aussi la coupe à fruits qui lui a valu de remporter le concours de design du Vif Weekend et Serax.

L-Tray, 65 euros en format S et 90 euros en format L. Disponible sur serax.com

Le design est né de votre quête du plat à fruits idéal. Qu’est-ce qui vous manquait?

Quand j’achète des fruits, j’ai envie de les exposer. Pas seulement pour voir comment ils mûrissent, mais aussi pour apprécier l’association de couleurs et de formes. Empilés dans un plat, je perdais cette vue d’ensemble. Je les posais donc à même mon îlot de cuisine, mais cela prenait beaucoup de place et une pomme finissait toujours par tomber. J’ai commencé à travailler avec un simple profilé en L pour soutenir les fruits – généralement ronds – et les disposer en ligne. J’ai apporté un twist aux extrémités. C’est un objet minimaliste avec seulement trois découpes à la scie.

Comment définiriez-vous votre rôle de designer?

Il s’agit de poser des questions, d’en susciter et de me remettre en question. Cette création a-t-elle une vraie raison d’exister? Le design doit avoir un impact sur les gens. Idéalement, il rapproche les individus, mais il peut aussi émouvoir, faire rêver, questionner, et bien sûr être purement fonctionnel. Se limiter à l’esthétique ou à la fonctionnalité serait, à mes yeux, une occasion manquée, car on travaille avec des matériaux précieux.

Daybed pour Fortlaan93. ©PIET-ALBERT GOETHALS

Votre travail est souvent qualifié de design d’expérience. Pourquoi?

Le lien entre l’humain et son environnement est le fil rouge de mes créations. Je tente de partir d’un récit, d’une image rêvée ou d’une fascination, à laquelle je réponds ensuite par le design. Récemment, le bureau de paysagistes Bloesem m’a demandé de concevoir un élément de séparation d’espace avec douche extérieure. J’essaie alors d’aller au-delà de la simple fonction, en recherchant d’autres sens. Dans ce cas-ci, je me suis inspiré des cascades, ce qui a conféré au projet une certaine poésie, tant dans la forme que dans la sémantique.

Le Henry van de Velde Award a aussi salué votre engagement pour les échanges fructueux entre les métiers créatifs. Vous êtes notamment l’un des piliers de l’Atelier Overdruk. De quoi s’agit-il?

L’Atelier Overdruk est une communauté de créateurs aux profils variés – une trentaine au total. Depuis 2023, nous occupons une ancienne imprimerie à Berchem. Cette diversité de talents est extrêmement inspirante: on a toujours quelqu’un avec qui échanger, et cela donne lieu à des collaborations.

«Mes étudiants me rappellent inconsciemment qu’il est inutile de se prendre trop au sérieux, il faut continuer d’expérimenter avec une approche ludique.»

En ce moment, je planche par exemple sur une table à manger en chêne belge avec l’Atelier Scheldeman, et avec la restauratrice de métal Lucy ’t Hart, je compile les fiches d’entretien de mes œuvres. Une collaboration s’annonce aussi avec les scénographes d’Andampersand. Et je développe un projet avec la créatrice de sacs Lies Mertens.

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C’est très enrichissant de poursuivre un but par le biais de la cocréation. C’est aussi pour cela que j’aime tant enseigner aux étudiants, comme je le fais à IDEA à Malines. Je suis entouré de personnes avides de progresser. Concevoir, c’est penser en termes de résolution de problèmes. Créer, c’est se confronter à soi-même. Le processus créatif bouscule. Ce que je veux leur transmettre, c’est qu’un projet doit être réfléchi, mais qu’il faut surtout y prendre du plaisir. C’est un aspect que j’ai moi-même tendance à oublier quand je suis absorbé par les commandes. Mes étudiants me rappellent inconsciemment qu’il est inutile de se prendre trop au sérieux, il faut continuer d’expérimenter avec une approche ludique.

A quoi ressemblerait votre portfolio idéal?

D’un côté, il y aurait un focus sur le design de produit en collaboration avec des entreprises. De l’autre, j’aime concevoir et fabriquer des objets ou des sculptures qui flirtent avec la frontière entre art et design. Je crois profondément à la puissance des collaborations.

Par le passé, j’ai créé avec Jaap Bontekoe plusieurs œuvres semi-publiques, comme une sculpture-assise pour le site Asiat ou encore une structure à la fois ludique et fonctionnelle pour le club Onder Stroom.

Mon rêve serait de créer davantage pour l’espace public. Le designer nippo-américain Isamu Noguchi est une grande source d’inspiration pour moi. Sa polyvalence s’exprimait dans sa capacité à intégrer des sculptures dans des contextes fonctionnels et architecturaux. Cette approche me pousse à concevoir des objets non seulement esthétiques et pratiques, mais qui enrichissent aussi l’expérience que les gens ont d’un lieu.

L’Observer, une chaise qui permet de voir à huit kilomètres. ©Luca Beel

Quels sont vos projets pour cette année?

Il y en a beaucoup, même si je ne peux pas tout dévoiler. Je travaille actuellement avec ma compagne, la designer Dorien Eeckhout, sur une collection de mobilier d’extérieur. Nous sommes tous deux passionnés de randonnée en montagne, et les vias ferratas ont inspiré cette nouvelle série. Ce printemps, je démarre aussi le développement d’un canapé en collaboration avec Paul Rogers, dont le langage formel s’inspire du daybed que j’ai conçu pour Fortlaan93. Et puis, lors du Salone del Mobile, ma deuxième collection pour Fendi Casa a été présentée. Le reste, je le garde encore un peu pour moi. Bref, cette année s’annonce à la fois passionnante et très amusant.

Jonas Van Put (35 ans), en bref
Il a étudié l’architecture d’intérieur à l’université d’Anvers, et le design de mobilier à IDEA à Malines.
Il est créateur indépendant depuis 2015.
Il a cofondé l’Atelier Bontekoe Van Put (2017-2023) avec Jaap Bontekoe.
Parmi ses créations, on trouve la BuzziJungle, le monolithe-miroir, le daybed de Fortlaan93, du mobilier pour Fendi Casa.
Il enseigne le design d’intérieur à IDEA.
Lauréat du Henry van de Velde Young Talent Award 2025.

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