Ces marques et boutiques belges qui font le pari du « web only »
Elles s’appellent Alexa Fairchild, The Corner Shop, Story to Line ou Yarns. De nouvelles griffes et boutiques en ligne, qui sont belges et ne vendent que sur Internet. Une stratégie riche de promesses, mais qui n’est pas toujours aussi simple qu’il y paraît…
Il y a dix ans, la plupart des consommateurs ne savaient pas vraiment en quoi consistait l’e-commerce. Aujourd’hui, la dernière enquête de Comeos sur l’achat en ligne en Belgique révèle qu’un internaute sur deux ne pourrait plus s’en passer. Bien qu’encore à la traîne par rapport aux autres nations, notre pays connaît une croissance constante sur ce secteur. » De l’ordre de 13 % sur la dernière année « , précise Elke Timmerman, directrice business et carrière au MAD, la plate-forme bruxelloise consacrée à la mode et au design. Quelque 74 % des utilisateurs auraient ainsi fait du shopping sur la Toile, au cours des douze mois qui précédaient l’étude de la Fédération belge du Commerce et des Services…
Aujourd’hui, un internaute sur deux ne pourrait pas se passer de l’e-commerce
Autant de statistiques qui stimulent les créateurs de mode – et les boutiques, en général – à disposer (enfin) de leur propre e-shop. » En 2013, nous avons fait venir des acheteurs internationaux pour les mettre en contact avec quinze griffes belges sélectionnées pour l’occasion. Seule l’une d’entre elles possédait alors une boutique virtuelle « , se souvient Elke Timmerman, qui aide par ailleurs les jeunes pousses à se digitaliser, notamment à travers le programme Boost.
Aujourd’hui, très nombreux sont les nouveaux labels qui se focalisent en priorité sur le Web. Logique, le champ des possibles y est immense. Ils peuvent désormais y atteindre et séduire un internaute habitant à des milliers de kilomètres. La marge bénéficiaire est également plus importante, puisqu’il n’y a aucun intermédiaire dans le processus de vente. Yeba, la jeune griffe de maroquinerie pour femmes actives, a ainsi ajusté sa stratégie, en septembre dernier : pour pouvoir continuer à offrir ses sacs à un prix relativement accessible, la créatrice a préféré se passer de son réseau de revendeurs. Elle se concentre désormais sur son site de vente en ligne et certaines collaborations spécifiques.
Autre avantage de ces vitrines sur le Net ? Le consommateur prépare de plus en plus souvent ses emplettes depuis son smartphone. Il parcourt les différents produits, se renseigne sur la marque, les prix… » On constate encore l’existence d’une peur à l’idée de franchir le seuil de certaines enseignes, réputées pour leur sélection moyen à haut de gamme « , constate la collaboratrice du MAD. De ce point de vue, les plates-formes en ligne permettent aux personnes intimidées d’avoir accès à ces boutiques, de penser leur achat consciencieusement, de choisir dans quelle pièce elles souhaitent investir, plutôt que de dépenser à tout va dans la fast fashion. » La mode belge n’est pas ce qu’il y a de plus évident à vendre aux consommateurs, cela fait l’objet d’un acte réfléchi « , reconnaît l’experte, en rappelant que le MAD, Flanders DC et WBDM (Wallonie Bruxelles Design Mode) ont lancé, l’automne dernier, une campagne de communication autour du hashtag #jachètebelge, pour sensibiliser la population à cette question.
Le revers de la médaille
Mais attention, il ne suffit pas d’avoir son propre e-shop pour vendre à tire-larigot. Encore faut-il créer du trafic et amener l’internaute à dégainer sa carte de crédit. Car s’il est possible d’atteindre potentiellement le monde entier, la concurrence est également nettement plus vaste. Le challenge ? Se faire entendre dans le brouhaha existant, puis motiver le client à venir réaliser ses achats chez vous. En outre, une boutique virtuelle représente des frais. Certes, elle ne nécessite pas de loyer mensuel ou de vendeuse à temps plein, mais elle n’est pas pour autant gratuite. » Il est important de se méfier des coûts cachés « , met en garde Stéphanie Fellen, qui s’est occupée pendant plus de quatre ans du concept store online et éthique Made & More. La Liégeoise a mis la clé sous le paillasson en novembre dernier, histoire de reprendre son souffle et de mieux repartir. » Fabriquer une plate-forme a un prix, si on veut que le site s’adapte au format de l’appareil, qu’il s’agisse d’une tablette, d’un smartphone ou d’un ordinateur. Elle doit également être performante, en termes de chargement des pages… Sinon, jamais le visiteur n’ira jusqu’au bout du processus d’achat. »
Indispensable par ailleurs : se donner les moyens de ses ambitions. » C’est du boulot de s’occuper d’un site Web, poursuit Stéphanie Fellen. Regardez le nombre de personnes qui officient pour des pure players comme Zalando, c’est impressionnant ! Il faut prévoir des visuels en suffisance, veiller à être bien référencé, soigner sa communication sur les réseaux sociaux… » Autant de charges qui nécessitent de gérer sa comptabilité de main de maître et d’avoir les reins solides, financièrement parlant.
Un dernier écueil à éviter, c’est celui qui consisterait à se bercer d’illusions. » Ce n’est pas parce que l’on vit à l’ère d’Internet et que nous avons tous un smartphone en main, que tous les achats vont se réaliser virtuellement « , tempère l’entrepreneuse, qui met en avant le comportement réel des consommateurs. » Ils achètent de plus en plus en ligne, c’est certain, mais la tendance générale est que 80 % du shopping se fait encore dans des boutiques physiques. » Peut-être qu’un internaute va découvrir une marque sur Instagram, via une influenceuse. Le lendemain, il ira faire un tour sur le site du label, analyser ses produits. Il se rendra ensuite en magasin, pour essayer un pull. Mais comme il n’aura pas envie de l’acquérir sur place, il ne le fera que le soir venu, sur son téléphone. Et la conclusion de s’imposer : » Il faut être omni-channel et penser sa stratégie à 360 °. L’expérience en boutique doit être unique et personnalisée. Et l’image de marque se doit d’être cohérente sur l’ensemble des canaux de vente. » Soit autant de défis supplémentaires, pour toute griffe qui souhaite réussir.
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Pourquoi faire comme tout le monde, alors que la plupart aspire à autre chose ? En se lançant fin novembre dernier, le label belge Alexa Fairchild n’a pas eu peur de bousculer le sérail. Pas de collection saisonnière, une ligne principalement unisexe et sans âge, une distribution pour l’instant exclusivement online. Ici, on s’adresse aux tribus avides de liberté, de touches street et nomades. Un esprit sportswear en prime, les amateurs de surf et d’équitation devraient y trouver leur compte. p>
A la direction artistique, il y a Alexa Fairchild, jeune femme passionnée par la mode et l’univers équestre – la grande blonde rêve d’ailleurs de participer aux jeux Olympiques de Tokyo, en 2020. A ses côtés, toute la famille. Son père, Steven, est le fils de l’ancien président de Fairchild Publications, éditeur des illustres magazines fashion Women’s Wear Daily et W. Il a fait carrière dans de grandes maisons (Armani, Ralph Lauren, Calvin Klein, Valentino), pour devenir directeur de la création et vice-président senior de la griffe de bijoux Pandora. Sa mère, Erin, a dirigé la communication et le marketing de Valentino et Calvin Klein, avant de s’occuper de ses deux filles. Elle se charge désormais de mettre le nouveau label sur les rails. p>
Du plus petit détail aux grandes décisions stratégiques, rien n’est laissé au hasard, la marque se donne les moyens de réussir. » Nous faisons fabriquer nos pièces de façon artisanale en Italie, en privilégiant la qualité, la durabilité et la transparence, et ce sur l’ensemble de notre chaîne de valeurs « , confient mère et fille. p>
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Proposer de la maille d’un genre nouveau ; tel est l’objectif de Laure Garcia Mendez, qui a mis sur pied Yarns (traduisez récit, mais aussi fil, laine), en octobre dernier. » J’avais envie de casser les codes qui saturent le marché actuellement. » En finir avec les volumes oversized et épais qui cachent la silhouette, proposer des modèles différents que les mohairs, les empiècements graphiques et les larges côtes. p>
» Je désirais quelque chose de plus féminin, qui puisse remplacer la chemise dans un cadre professionnel, tout en étant habillée de façon correcte et avec style « , raconte celle pour qui les points de tricot n’ont plus de secret, après avoir travaillé cinq ans pour le studio de l’enseigne belge Essentiel Antwerp, spécialisation maille et jersey. En marge de son job au sein de Maison Ullens, où elle officie encore et toujours à presque temps plein, la trentenaire crée des modèles intemporels riches de mille détails, comme ces lavallières, ces petits plis ou ces poignets travaillés. Un mélange de laine et de viscose, pour pouvoir être porté par tous les temps. L’ensemble est fabriqué à 100 % en Belgique et en France, avec un souci de la qualité, du confort et de la facilité de l’entretien. p>
Pour l’instant, la marque est presque exclusivement vendue sur son propre e-shop. Plus facile pour raconter l’histoire de la griffe, moins coûteux aussi. Mais Laure Garcia Mendez de ne fermer aucune porte, s’il s’agit de boutiques spécialisées dans la création belge. Et pourquoi pas un jour, qui sait, d’enseignes internationales ? Lentement, mais sûrement. p>
www.yarns.be p>
Si Millie Rolin Jacquemyns s’est dirigée vers le luxe et la mode à la sortie de ses études en communication, c’est pour la capacité du secteur à raconter des histoires, à livrer de beaux messages. Après avoir fait ses armes chez Louis Vuitton et Diane von Furstenberg, tout en donnant un coup de main comme bénévole au MAD, la plate-forme bruxelloise dédiée à la mode et au design, la jeune femme souhaite se concentrer sur l’économie locale. » Il y a des marques de luxe qui ont réussi à s’implanter à l’international, mais j’avais envie de soutenir les futurs talents. Il y a quelque chose de fabuleux quand ces créateurs émergents vous parlent de leur parcours, de leur inspiration… » p>
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Vient l’idée de créer un site qui rassemblerait ces derniers et leur permettrait de bénéficier l’un l’autre de la visibilité de chacun. Neuf mois de gestation et naît Story to Line, à l’automne 2017. On y trouve des noms comme Gioia Seghers, Façon Jacmin ou Yeba, valeurs montantes du paysage mode belge. Ils seront quarante en septembre prochain, avant d’accueillir des équivalents venus de France, d’Allemagne et de Grande-Bretagne, d’ici un an. » C’est un double défi : cela implique de convaincre le client d’acheter un label belge peu connu du public, mais aussi qu’il le fasse en ligne, reconnaît celle qui prend désormais plaisir à s’habiller avec de belles pièces imaginées chez nous. Mais j’ai l’ambition d’être le Net-à-Porter des jeunes créateurs d’Europe. J’ai l’impression que quelque chose peut se soulever, on revient à une consommation plus éthique, plus locale. » p>
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C’est parce qu’elle trouvait dommage que toutes les femmes portent les mêmes marques que Marie Taevernier a lancé The Corner Shop, il y a un an. Sa plate-forme en ligne rassemble des griffes repérées aux quatre coins du monde, qui ne sont pas évidentes à dénicher dans le Benelux. Des looks à l’esprit minimaliste, faciles à porter, avec ce petit détail qui fait la différence. » Il existe tellement de labels qui sont uniques et permettent de se distinguer de ce que l’on voit partout « , constate celle qui a débuté chez Dries Van Noten et Vogue Amsterdam, avant d’intégrer le monde des relations publiques dans le secteur du lifestyle. » Je repère ces pépites dans des salons, mais surtout sur Instagram « , précise-t-elle. Pour conserver ce caractère exclusif, l’entrepreneuse ne sélectionne qu’une pièce par taille et veille à ce que ses découvertes ne soient pas facilement disponibles chez nous par ailleurs. » J’ai arrêté ma collaboration avec Baum und Pferdgarten, qui pourtant cartonnait, parce que cette marque danoise commençait à être trop connue ici… » La fondatrice de The Corner Shop a également dû affronter la frilosité des Belges en matière d’e-commerce. » Comme j’achète exclusivement sur Internet, je pensais que tout le monde faisait pareil, mais ce n’est pas le cas, concède-t-elle. Les clients aiment essayer une pièce avant de l’acquérir. » Pour répondre à ce besoin, Marie Taevernier ouvre régulièrement des pop-up stores. Ou comment faire venir une consommatrice jusqu’à sa boutique online. p>
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