La céramique, dégât collatéral de la hausse des prix de l’énergie
Au gré de la croissance toujours plus impayable des prix de l’énergie, nombre de secteurs, à commencer par celui de la boulangerie, ont été affectés, devant parfois mettre leur activité à l’arrêt. Autre activité énergivore menacée par le contexte énergétique actuel: la fabrication de céramique.
Et pourtant, il y a peu encore, il aurait été impossible de lui prédire autre chose qu’un avenir radieux. C’est que depuis plusieurs années déjà, la céramique surfe sur un engouement qui ne fait pas mine de faiblir, et l’a non seulement hissée du rang de décoration gentillette et quelque peu désuète à celui d’artefact de prédilection des branchés, mais l’a aussi vue s’infiltrer dans toutes les sous-catégories du lifestyle.
Décoration, évidemment, arts de la table, certainement, mais plus récemment aussi bijoux et mode, avec le plastron inspiré du travail de la Belge Naomi Gilon fièrement arboré par une Julia Fox au sommet de sa popularité. La céramique fonctionnait plein pot, sans mauvais jeu de mots. Mais ça, c’était avant une hausse des prix énergétiques qui rend la perspective de chauffer un four entre 650 et 1300 degrés carrément ruineuse.
Des coûts qui flambent
La céramiste liégeoise Caroline Pholien, qui a récemment rejoint le pool d’artistes 100% féminin de la galerie Magmatic, a pour sa part « rangé l’idée d’acheter un plus grand four, trop énergivore ». Une décision difficile pour celle qui en rêvait depuis trois ans et venait enfin de trouver un atelier qui lui aurait permis de l’installer. Marie Noël, créatrice de la gamme de vaisselle en céramique éponyme, qui compte notamment le chef étoilé Thomas Troupin parmi ses clients, se dit quant à elle « nécessairement consommatrice d’électricité liée aux techniques de cuisson de mes pièces ».
Et ne voit pas d’alternative viable, malgré une pratique de plus en plus coûteuse avec sa technique de cuisson actuelle: « Dépendre de cuissons au bois serait un non-sens, car elles sont consommatrices d’un volume beaucoup trop important d’une matière première à préserver et nécessitent des installations fascinantes mais volumineuses, peu compatibles avec une production « urbaine », qui est mon contexte de travail. Quant au gaz, son prix connaît une augmentation fulgurante actuellement, plus encore que l’électricité si je ne me trompe pas ».
Alors quoi? « Je suis amenée à accuser l’augmentation du prix de l’électricité, et à en être spectatrice, comme beaucoup pour le moment. Inévitablement, je serai amenée à le répercuter dans une certaine proportion sur les prix de mes pièces » regrette Marie Noël.
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Un calcul qui semble évident, mais qui n’est pourtant pas toujours simple à faire pour les artisans.
Payer les pots cassés
Spécialisée dans la création de meubles sur mesure et d’objets en terrazzo, Sophie Rahir regrette le dilemme face auquel la met la situation énergétique actuelle. « Ma matière première ainsi que le bois que j’utilise pour faire mes moules avaient déjà augmenté peu après le début du COVID. J’avais déjà dû augmenter mes prix à ce moment-là, et j’ai dû les augmenter à nouveau pour faire face à la hausse des prix de l’énergie », explique la créatrice, qui y voit une aliénation d’une partie de sa clientèle.
« Pour les petits objets, j’avoue que je ne gagnais déjà pas grand-chose à la vente. J’avais envie que ce soit un produit accessible à tout le monde, que chacun puisse décorer son intérieur avec mes objets originaux et abordables. A titre d’exemple, sur un petit pot mis en vente à 18,50 euros, je ne gagnais déjà que 3 euros. Vu l’augmentation des matières premières et l’explosion du coût de l’énergie, je dois me résoudre à les augmenter. Cela me contrarie vraiment car cette nécessité s’inscrit en faux par rapport à mon rêve initial et je ne souhaite pas que mon artisanat devienne « hors de prix » ; mais ais-je le choix ? Cela fait déjà quelques mois que j’ai dû me résoudre à réduire ma production spontanée de petits objets ; je me limite aux commandes sollicitées, pour quelques particuliers ou certains magasins. Ce type de réalisations n’est plus du tout rentable et si j’en majore le prix, je crais qu’ils ne s’inscrivent plus dans le « prix psychologique » que l’on se fait d’un « petit objet de décoration ». Suivant la taille et la difficulté de conception de ces petites réalisations, j’espère pouvoir limiter l’augmentation de 3 à 5 euros la pièce, mais pour combien de temps… » s’interroge la Liégeoise.
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Et la jeune femme de confier craindre malgré tout les effets de cette augmentation forcée, aussi minime soit-elle. « Je suis essentiellement visible sur les réseaux sociaux, et j’attire donc une clientèle assez jeune, qui vient d’acquérir son premier bien ou son autonomie, qui affectionne les couleurs que je propose et cultive le goût de l’originalité. Force est de constater que lors de ses premières acquisitions d’ameublement, on doit souvent se serrer la ceinture et on ne s’autorise une petite folie que sur un aménagement ou l’autre ».
Et de regretter que « la plupart de mes clients habituels réfléchiront avant de passer commande, contraints avant tout d’économiser. Dans l’aménagement intérieur, la plupart se dirigeront vers de grandes distributions, du style IKEA, ou encore des achats en ligne d’objets qui viennent de plus loin. Les petits artisans seront de plus en plus boudés. Nous ne sommes pas considérés comme « essentiels », le fonctionnel et le bon marché seront privilégiés. Tout comme pour les boulangers, la grande distribution risque de faire loi. Le produit unique et « fait main » seront mis de côté. Je le constate déjà : beaucoup de devis me sont à présent refusés, quoique très réduits en terme de marge bénéficiaire ».
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Une approche terre-à-terre de la céramique
Caroline Pholien, elle, choisit de se convaincre « pour se consoler » que « réaliser de petites choses et donc plus abordables, est peut être plus judicieux aujourd’hui. J’aime l’idée de pouvoir continuer à se faire plaisir. Proposer davantage d’oeuvres de petites tailles moins chères, plutôt que d’aller vers le plus grand, plus cher est donc mon choix ».
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Et si, « heureusement ou malheureusement, si la céramique est nécessaire à mon équilibre, elle ne l’est pas forcément pour la clientèle » celle qui a récemment réalisé une série de bougeoirs inspirés du tarot rappelle qu’il ne serait pas temps d’oublier que la pratique de la céramique est ancestrale et existait déjà bien avant la révolution industrielle. « Le » progrès technique nous a permis de posséder chacun un petit four individuel. Avant, les cuissons étaient mutualisées, elles faisaient l’objet de grandes réunions autour d’un feu… peut-être y reviendrons nous ».
Marie Noël, elle, aime à croire qu’une ébauche de solution se cache dans une approche elle aussi plutôt rétro de la discipline en ces temps de surconsommation effrénée. Soit « un développement de petite échelle, qui ambitionne avec le sourire sur la qualité plutôt que sur la quantité. Je produis sur commande, animée par le souci de ne pas « produire pour produire » (en toute objectivité, le monde n’a pas besoin d’une céramiste de plus). Produire doit donc avoir du sens : au-delà de l’esthétique pratique, celui des circuits courts, de la circularité et de la durabilité générale de la démarche. J’essaie donc de vivre au jour le jour et d’assumer des échéances cohérentes, un risque maîtrisable-maîtrisé sur des petits volumes de pièces qui ont une destination avant même d’être tournées ».
Et après?
Le pot de terre contre le pot de fer
Dans un contexte qui a vu les prix de l’énergie grimper en flèche suite aux répercussions des sanctions européennes envers la Russie post-invasion de l’Ukraine, Sophie Rahir qualifie les mesures prises par l’Union de « nécessaires », mais met en garde contre les retombées « fatales » de ces dernières. Car la métaphore du pot de fer contre le pot de terre ne se limite pas aux céramistes.
Il est certain que ne pas sanctionner reviendrait à détruire la démocratie. Mais en mesure-t-on aujourd’hui les répercussions vitales, mentales et sociétales pour demain ? Je ne le crois pas. Je peux constater combien les personnes qui évoluent autour de moi vivent en permanence dans l’anxiété et le stress. Consacrer le moindre euro gagné au paiement des factures, ne pas savoir « comment s’en sortir », souffrir d’un manque de perspectives et d’une incapacité à se projeter dans un avenir, même proche, se résoudre à des boulots alimentaires car entreprendre devient utopique… tout ceci ne contribue-t-il pas également à l’extinction progressive de nos démocraties ? » s’interroge Sophie Rahir.
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Pour Marie Noël, « il semblerait que l’entièreté de la société va s’endetter. Comme une marée qui va submerger toutes ses couches sociales. Le souhait le plus simple que je pourrais formuler serait de s’animer de positif, et celui le plus naïf peut-être, serait l’annulation de cette dette. Un reset. Plus de justesse, de justice, d’humanité, et moins d’absurdités ».
Pour qu’il n’y ait pas moins d’artisanat à la clé: « même si on a pu constater un regain pour l’artisanat ces dernières années, bien peu réalisent qu’un artisan créé tout sur mesure, de A à Z ; différentes rencontres avec le client, réflexion, esquisse, conception, devis, préparation et puis tout le travail de réalisation, voire même de placement et ajustement parfois, le tout effectué entièrement par nos soins, pointe Sophie Rahir. Grand est le risque que seule une tranche aisée de la population puisse encore s’offrir de l’artisanat. Je sais que les prochains mois seront encore plus complexes et que j’essuierai de nombreux refus de mes clients à la prise de connaissance de mes devis ». Et la jeune femme de mettre en garde: « ça commence déjà, malheureusement ».
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