« Détruisons le patriarcat, pas la planète »: le grand retour de l’écoféminisme
A l’heure des marches pour le climat et de l’après-#MeToo, il fait son grand retour. Né dans les années 70, l’écoféminisme tend à démontrer le rapport entre l’exploitation de l’environnement par les humains et l’oppression des femmes par les hommes. Ce qu’il faut en savoir.
Les origines
Le mouvement est né aux Etats-Unis, dans la foulée de la révolution culturelle des années 70, où émerge la conscience environnementale autour des antinucléaires. Le terme « écoféminisme » est utilisé pour la première fois en 1974 par la pionnière du féminisme en France à l’époque, Françoise d’Eaubonne, qui établit de façon évidente un lien entre femmes et environnement. Dans son ouvrage, Le Féminisme ou la Mort (éditions Horay), elle explique que la société patriarcale « s’étant emparée du sol, donc de la fertilité et du ventre des femmes, il était logique que la surexploitation de l’une et de l’autre aboutisse à ce double péril menaçant et parallèle : la surpopulation (excès des naissances) et la destruction de l’environnement (excès des produits) ». Quatre décennies plus tard, nombreuses sont celles à encore faire le constat de cette supériorité mâle. « C’est l’oppression croisée de la domination patriarcale sur la nature et de la domination masculine sur les femmes qui entraîne la crise environnementale actuelle. En effet, le capitalisme et le néolibéralisme ont abouti à une surexploitation de l’environnement et à une surexploitation du travail féminin domestique, sans lesquels l’économie marchande ne pourrait se développer, ni même subsister », constate Frédou Braun, chargée de projets chez Corps écrits ASBL.
Coopération et respect
« Détruisons le patriarcat, pas la planète. » A presque 50 ans, le slogan semble ne pas avoir pris une ride. « Féminisme et écologie représentent deux formes d’idéal et de changements profondément subversifs. Tous deux remettent en cause le patriarcat pour le remplacer par un système durable de coopération, d’équilibre et de respect. Peu de gens considèrent cette convergence des luttes. L’écologie et le féminisme devraient aller de pair et ont un potentiel de transformation profond de la société, mais seule la transition écologique est reconnue comme puissante et innovante. Le féminisme est vu comme une revendication au bénéfice uniquement des femmes. Cette différence de perception en dit long sur la hiérarchie qui existe encore dans la société entre les femmes et les hommes », rappelle Isabella Lenarduzzi, entrepreneuse sociale et fondatrice de JUMP, oeuvrant pour l’égalité entre les genres au travail.
Le masculin l’emporte
La pensée écoféministe a démontré le rapport entre capitalisme et asservissement du deuxième sexe et de la nature. Qui dit capitalisme dit exploitation de ressources, et donc natalité. D’où l’importance de soumettre les femmes à enfanter, mais aussi à travailler à moindre coût, quelle que soit l’époque, les inégalités salariales étant toujours d’actualité. « Le contrôle et l’exploitation des ressources naturelles passent par l’idée que l’humain est supérieur à la nature et que celle-ci doit être à son service. Quant à la domination de l’accès au corps des femmes, il se « justifie » par le fait qu’elles seraient au service de la société, donc des hommes. Ces comportements sont intrinsèquement violents et basés sur une hiérarchie entre sexes et genres, le masculin étant l’étalon de valeur et la norme. Il est encore considéré plus digne et prestigieux que le féminin », constate amèrement Isabella Lenarduzzi.
L’écoféministe en 2019
Si la philosophie est loin d’être nouvelle, elle a connu un essoufflement dans les années 90 et semble faire son grand retour, toutes générations confondues. « Aujourd’hui, on constate que les femmes prennent de plus en plus conscience de la logique consumériste et de ses conséquences néfastes sur leur santé et sur celle de la planète: utilisation de cosmétiques à base de pétrole, pratiques médicales qu’elles ne souhaitent pas forcément, prise d’hormones, alimentation aux pesticides … Elles partagent le souhait d’une vie ayant un sens, avec davantage de liens humains, moins de biens matériels, un souci de l’urgence face aux crises actuelles et à venir. L’écoféminisme porte l’espoir d’un réajustement des rapports entre les hommes et les femmes, et entre l’humain et la nature. En se débarrassant des pratiques de hiérarchisation qui soutiennent les logiques de domination, le courant ouvre la voie à une compréhension de la différence, qui évacue la justification du pouvoir patriarcal exercé sur les femmes et sur la nature », se réjouit Frédou Braun.
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