Fanny Bouvry

Edito | Comment faire de la machine une alliée et collaborer, plutôt que de se laisser aliéner?

Fanny Bouvry Journaliste

L’image a le mérite de frapper les esprits. On y voit l’un de ces bâtiments typiques du Paris haussmannien – avec ses balcons en fer forgé, ses percements réguliers et ses pierres couleur crème en façade – surplombé par une structure futuriste faite de milliers d’alvéoles et de baies tout en rondeurs. Une luxuriante végétation a pris d’assaut les entrailles de cette composition et dégage une fraîcheur bienvenue en pleine ville. Çà et là, dans les rues de la capitale française, d’autres de ces édifices datant du Second Empire sont envahis par ces constructions organiques d’un nouveau genre, comme tout droit sorties d’une planète lointaine. 

S’agit-il là du décor d’un film de science-fiction? Pas vraiment! Ces vues ont en réalité été créées par l’IA, sous l’impulsion de l’agence d’architecture parisienne du Belge Vincent Callebaut. «Notre équipe continue d’explorer, via de nouveaux outils d’intelligence artificielle, le concept de solidarité climatique et énergétique entre des immeubles haussmanniens énergivores et des architectures biomimétiques à énergie positive», décrypte notre compatriote, qui a toujours misé sur la modélisation 3D et les outils informatiques pour développer des concepts bâtis en avance sur leur temps. Des idées encore à l’état d’utopie, comme ici dans la Ville lumière, mais d’autres qui, depuis, sont vraiment sorties de terre! A l’instar de sa tour résidentielle hélicoïdale, inaugurée à Taipei en 2021, dont la forme découle de simulations générées par ordinateur afin que chaque appartement bénéficie de la course du soleil, tout en gardant des espaces ventilés naturellement. 

«L’IA est un cheval fou dont le rôle ne se résume pas à produire de belles images fantasmagoriques. Une fois maîtrisée (…), elle offre des outils pour bâtir des immeubles qui améliorent la qualité de vie de leurs habitants», déclarait le créateur, au printemps dernier, au journal français Les Echos. Et c’est en ces termes que les architectes de chez nous, que nous avons pu rencontrer pour ce numéro, nous parlent également de ces nouveaux modes de création. Pour beaucoup la question n’est plus de savoir si la machine est habilitée ou non à imaginer les espaces à venir. Mais de savoir plutôt comment en faire une alliée et collaborer, plutôt que de se laisser aliéner.

«Quand on a annoncé aux architectes, au début des années 80, qu’on allait utiliser des ordinateurs, ils ont éclaté de rire. C’est la même chose qui se passe ici. Mais l’un ne va pas remplacer l’autre», avertit l’architecte Philippe Samyn dans ces pages. «A une époque les tisserands ont voulu garder les métiers à tisser manuels à tout prix. Aujourd’hui, il n’y a plus personne qui travaille dessus, sauf quelques orfèvres…», renchérit son confrère Pascal Simoens, enseignant en architecture à l’UMons spécialisé dans le numérique. Une observation qui fait écho à notre autre dossier de ce Black Design consacré aux talents belges du design textile. Chez eux aussi l’innovation voisine avec la créativité et l’artisanat pour transcender les étoffes. Le futur flirte avec les références au passé et nous offre le plus beau des présents. On ne doute pas qu’il en sera de même en architecture.

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