Icônes électriques: Polly Jean Harvey Fée follet

Tous les quinze jours, Jérôme Mardaga nous parle d’un des musiciens qui a marqué sa carrière.

Elle aurait pu être la digne fille cadette de Patti Smith. Ou la jumelle tapageuse de Nick Cave. Regard en lame de couteau, verbe sec, nudité musicale incendiaire. Cependant Polly est native du Dorset (Albion) et cela s’entend. Une vraie cow-girl made in England, bottes en caoutchouc et tracteur John Deere avec la Gretsch en bandoulière. Ne nous y trompons pas, Miss Harvey ne chante pas seulement divinement bien, elle manie la hache en experte. Pas de fioritures, nous sommes dans le Dorset, zone rurale océanique, contrée de légendes et d’infinie tristesse (Tristan et Yseult). Polly joue du rythme, rien que du rythme. Un son cru, aéré, en place. Le contre-chant idéal pour ses paroles ingénues (on pense à Men Size par exemple). Une main droite qui percute, une main gauche sobre et bien groupée. Trois accords et la vérité. Elle joue l’amour, l’amour rosse, les courses poursuites autour de la table la culotte aux chevilles, les règles douloureuses. Elle chante les hommes, ces pleutres professionnels qui s’ambitionnent maîtres du monde et de la nature. Elle se tape le cul par terre la cochonne. Sa Gretsch orange cogne, martèle, cisaille et remet ces mythomanes à leur juste place. Débarqués sur le bas-côté les petits mecs, le froc mouillé, la morve aux dents, le regard perdu qui crie « Maman ! ». Polly fonce à travers les murs, Polly enfonce les clous jusqu’à désintégrer le marteau. Polly ne fait pas de prisonniers. Alors les mecs se vengent et lui fauchent sa guitare. Envolée la Gretsch orange, à jamais. Polly refusera toute interview lors de cette funeste traîtrise : « Je suis en deuil, on m’a volé ma meilleure amie. » Car certaines guitares deviennent parfois votre confident, votre boussole pour franchir plus ou moins indemne les tempêtes qui secouent les caps hérissés de nos espérances. Ne jamais hésiter à emmener le biniou dans son lit les soirs de grand vent. Ne jamais culpabiliser parce qu’on le caresse puis qu’on le tabasse. Ne pas rougir en lui murmurant aux ouïes qu’on l’aime et que rien ni personne ne nous séparera. Toujours tenter de s’en servir comme d’une batterie, comme d’un synthétiseur, comme d’une voiture de course. Jusqu’à ce que la guitare se mette à vivre d’elle-même et délivre son feulement céleste. Alors elle vous emmènera dans des endroits qui ne figurent sur aucune carte ni sur Google Earth. La guitare sort toujours gagnante. À mes yeux, Polly Jean Harvey est la parfaite incarnation de ce sentiment, la fragilité lovée dans une main de fer. Polly forever. Pour un sourire, ça coûtera plus cher. Et attention, elle griffe la ribaude.

Jérôme Mardaga

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