Jean-Marc Roberts

Si Jean-Marc Roberts se berce au rythme du Petit Prince, c’est parce qu’il aime semer les champs de l’enfance. Ses romans intimistes nous livrent, peu à peu, les fruits de son puzzle personnel. La Prière égrène le thème de l’amour filial, tout en caressant le détonateur des pièges passionnels et idéologiques. Attentif aux jeunes pousses littéraires, le directeur des éditions Stock tend à couver ses auteurs. C’est dans son bureau enfumé, que se dévoile cet homme pudique et sensible.

Première émotion de lecteur ?
L’Ecume des jours de Boris Vian.

Et d’éditeur ?
Le premier roman de Vassilis Alexakis, Le Sandwich, que j’ai fait éditer en 1974.

En quoi la littérature vous nourrit-elle ?
Elle m’a appris, non pas à me trouver, mais à chercher qui je suis. Je n’aime pas les réponses… Fils unique, j’ai été élevé par des grands-parents qui n’étaient pas capables de me les fournir. Alors, je parlais seul en promenant mon chien. Mes romans sont nés à voix haute. Il faut un bon grain de folie pour écrire (rires) !

De quoi vous sauve-t-elle ?
De rien, on est son propre thérapeute. Un livre peut juste offrir de l’espoir ou donner envie d’écrire.

Qu’y a-t-il de plus troublant en elle ?
C’est un pléonasme, une évidence, sinon ce ne serait pas de la littérature.

Quel héros vous faisait rêver ?
Le Petit Nicolas. Le fils unique que j’étais se reconnaissait dans cet enfant, destiné à une vie ordinaire, qui parvenait à passer à travers les gros problèmes. Ado, j’étais plutôt attiré par O, dans Histoire d’O. Outre la découverte de la langue et de l’écriture, il renferme mon premier trouble érotique.

Qu’est-ce qui vous ravit dans la littérature contemporaine ?
Quand un écrivain me donne envie d’écrire ou de faire le métier d’éditeur.

Qu’est-ce qui vous agace ?
La médiatisation omniprésente des « faux livres ».

L’auteur que vous auriez aimé rencontrer ?

Nabokov, le plus grand écrivain du XXe siècle.

Celui que vous auriez souhaité éditer ?
Françoise Sagan. J’adorais cette femme ! C’était la plus généreuse et la plus malicieuse des personnes. Elle m’a aidé, juste comme ça, pour le plaisir. Ses livres sont d’une modernité incroyable.

L’éditeur, figure paternelle ?
Je dirais plutôt maternelle. Telle une sage-femme, il assiste à la gestation et aide à l’accouchement. A l’instar d’une maman, il protège ses enfants et refuse de dire qui est son préféré.

Un conseil à de jeunes auteurs.
N’écoutez personne, suivez votre instinct ! Ne lisez pas seulement les classiques, mais également les contemporains, sinon vous vous exposez à une grande infirmité. Les vivants reflètent le monde d’aujourd’hui et de demain.

Ecrire, c’est…
Ma respiration.

Plume ou clavier ?
Uniquement au stylo plume, avec des cartouches. J’écris sur des cahiers brouillons, puis je recopie tout en trois versions, avant de laisser reposer mon texte.

Où écrivez-vous ?
Chez moi, dans ma cuisine, mon bureau ou une chambre d’hôtel. Pas au café, les inconnus me dérangent. Avant, j’écrivais en musique, mais depuis Une petite femme, je me relis à voix haute.

Douleur ou libération ?
Ce n’est pas une douleur, mais le mot libération est trop fort. C’est un plaisir. Quand j’écris, je suis en immersion de 6 heures du matin à minuit.

En quoi votre enfance vous a-t-elle forgé ?
J’ai eu une chance folle, car elle était si romanesque. Imaginez un père américain, une mère faisant du théâtre, des grands-parents fous et un fils unique qui passe six mois à Atlanta, quatre ans à Bordeaux avant de s’installer à Paris. Pas étonnant que l’imagination soit si importance pour lui.
« Il passa de l’enfance à l’âge adulte, sans s’en rendre compte », et vous ?
Vieillir m’est insupportable. A 17 ans, je voulais en avoir 30. Quelle horreur d’avoir 54 ans ! J’ai des enfants âgés de 6 à 30 ans, or j’aimerais encore pouvoir passer trente ans avec eux.

Que signifie grandir ?
Privé d’adolescence, j’ai perdu mon grand-père adoré, quand j’avais 12 ans. Il représentait la seule figure masculine. J’ai dû jouer le rôle du petit homme fort de la maison. J’accompagnais ma mère dans les cabarets, en veillant sur elle quand elle buvait trop. Cela fait grandir d’un coup. Mon enfance n’a pas été malheureuse, mais je préfère le présent. Je déteste la nostalgie.

Devenir père c’est…
Le plus grand moment de ma vie ! On fait un enfant pour soi, puis on le prépare à partir. Je suis devenu père à 24, 30, 45 et 48 ans. Issus de trois mères différentes, mes enfants sont tous uniques. A chaque moment, j’ai vécu quelque chose d’indescriptible.

Qu’aimeriez-vous leurs transmettre ?
Surtout rien… c’est la meilleure façon de leur transmettre quelque chose. J’aime qu’ils soient différents de moi, qu’ils trouvent leur propre voix. J’admire ma fille médecin, mon fils trader à Londres et mon jeune fils, danseur étoile.

Via ce roman, qu’aimeriez-vous dire à votre aîné ?

On écrit pour donner des nouvelles, pour délivrer des secrets ou pour rétablir un dialogue. Ce livre ne peut que renforcer le lien que je partage avec lui. Mes héros sont mes doubles. A travers eux, j’essaye de me connaître, de me comprendre, mais pas de m’excuser.

Où « vous réfugiez-vous après une déception ou un chagrin » ?
Auprès des miens, des amis, des livres et des films. J’aime qu’on m’aime et qu’on me rassure. L’écriture est une non-vie, un refuge pour me retrouver.
« Il n’y a pas de plus grand destin que celui de l’amour », pourquoi ?
Comme dirait Annie Ernaux, que je vénère, « l’amour est le plus grand luxe ». La passion fait perdre la tête, c’est la plus folle et la plus enviable des situations. Elle n’est que de courte durée, mais il n’y a rien de meilleur.

Qu’avez-vous fait de plus fou par amour ?
Attendre dans une chambre d’hôtel que le téléphone sonne et ce, de 7 heures du matin à 13 h 30 !

Qu’y a-t-il de marquant dans l’amour adolescent ?
C’est le premier qu’on espère, mais pas le dernier qu’on vit. On n’imaginait pas que cela pouvait exister. C’est comme goûter au chocolat pour la première fois.

Qu’est-ce qui rend les femmes séduisantes ?
Plus libres, ce sont elles qui décident. J’aurais d’ailleurs adoré être une femme.

Laquelle ?
Françoise Sagan. Je suis né en même temps que Bonjour tristesse. Elle a vécu, moi un peu moins. Je suis joueur, mais pas flambeur.

Qu’y a-t-il de plus séduisant en vous ?
(Gêné) Je ne sais pas, peut-être mon aspect ludique. Avec moi, on ne s’ennuie pas.

Défauts.
Menteur, je suis aussi de mauvaise foi.

Qualités.
Point égocentrique, tant je m’intéresse aux autres.

La beauté c’est…
L’imperfection. Quant à la séduction, elle est naturelle.

Le plus mystérieux dans l’amour ?
Il y a toujours une part d’ombre dans l’amour. On ne connaît jamais l’autre… Si on croit l’avoir compris, c’est que c’est fini. J’aime le mélange des peaux, des religions, des nationalités, car je suis pour toutes les mixités.
Ce roman dresse-t-il un parallèle entre l’aveuglement amoureux et idéologique ?
C’est le sujet même du roman. On se tue par amour et on peut tuer par amour pour une cause extrême. Cet aveuglement fait perdre la tête ou pousse certains à se faire sauter la tête. Exceptés mes enfants, je n’aime pas les appartenances. Je ne supporte pas les extrémismes, or je vis dans un pays où l’antisémitisme coule par intraveineuse. Ce n’est pas tant le terrorisme qui m’effraye, que ceux qui fabriquent les kamikazes.

Qu’est-ce qui vous rend plein d’espoir ?
L’élection d’Obama, pourquoi n’avons-nous pas un type comme ça en France ? La misère du monde se traduit par un refus à la différence. Et puis, le regard de mes enfants.

Si vous étiez un parfum ?
La violette.

Un tableau.
Une toile de Morandi. J’aime l’apparente simplicité et fluidité de ses aquarelles.

Un film.
Toto le héros de Jaco Van Dormael, un pote extraordinaire. J’ai l’impression que cette histoire parle de moi.

Pourquoi ne possédez-vous aucun bien ?
Parce que s’ancrer, c’est la mort.

Dernière fois que vous avez pleuré.
Quand Jean-Louis Fournier a eu le Prix Femina, j’ai sangloté dans ses bras.

Quelle est votre Prière ?
Que mon plus jeune enfant grandisse vite et bien. Et que je puisse devenir grand-père.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

La Prière, par Jean-Marc Roberts, Flammarion, 118 pages.



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